Serafima Ponomareva, étudiante du MGIMO, a été au front, a laissé sa signature sur le mur du Reichstag et a travaillé comme interprète au procès de Nuremberg à l'âge de 18 ans. Aujourd'hui, elle en a 94. Elle a partagé ses souvenirs avec le projet «Nuremberg. Le début de la paix». Nous présentons sa version des événements sans corrections et dans leur intégralité: comme elle s'en souvient. Aujourd'hui, voici le deuxième épisode du cycle multimédia sur cette interprète. Découvrez comment Serafima Ponomareva s'est retrouvée au procès des criminels nazis dans le premier épisode.

L'article a été préparé conjointement par l'Agence internationale Sputnik Kazakhstan et la rédaction du projet «Nuremberg. Le début de la paix».

«Il était impossible d'écouter calmement»

Avant de travailler au procès de Nuremberg, Serafima connaissait déjà les crimes des nazis: elle avait collecté des documents dans huit camps de la mort. Elle avait visité Mauthausen, Majdanek, Sobibor et Buchenwald. Après avoir parcouru tous les camps de concentration et mis par écrit les témoignages, les interprètes ont ensuite transmis les informations recueillies aux spécialistes qui préparaient les preuves pour l'accusation.

Le 19 novembre 1945, le maréchal Joukov a annoncé à Serafima et à ses collègues qu'ils allaient faire un travail important. C'est ainsi qu'ils se sont retrouvés à Nuremberg. Depuis ce jour et jusqu'au 16 février 1946, Serafima Ponomareva a été une participante directe au procès et une témoin de ce qui s'y passait. À Nuremberg, une interprétation simultanée a été utilisée pour la première fois: il s'agit du type d'interprétation le plus difficile. Serafima et ses collègues ont dû l'apprendre sur le terrain.

«En novembre 1945, Joukov nous a réunis et a annoncé que nous partions en mission. Quelle a été notre réaction? S'il faut y aller, nous y allions. Nous avons été à Dresde aussi, quand des peintures ont été enlevées de la galerie de Dresde et nous avons regardé toutes ces toiles... Nous étions à Halle... Nous étions dans toutes les villes d'Allemagne. C'était notre travail.

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À 8 heures du matin, nous étions au quartier général, on nous a mis dans de grosses voitures allemandes. Un colonel est monté, il y avait aussi un général, environ six personnes au total. On a roulé pendant longtemps, et puis soudain: "On descend, c'est Nuremberg." Un bel immeuble de marbre blanc... Pourquoi Nuremberg? Parce que la ville de Berlin était complètement détruite, il n'y avait pas de bâtiments... Et puis autrefois, même avant le régime nazi en Allemagne, c'est dans ce bâtiment que se tenaient les tribunaux. Ce bâtiment est resté intact, et c'est là-bas que le procès se déroulait.

Nous ne savions même pas où on nous emmenait, car nous étions des subordonnés! Je me souviens d'une immense salle, aussi grande que l'espace entre ma maison et la maison voisine. Nous avons été introduits dans cette salle et installés derrière un écran, avec des écouteurs.

À 10 heures du matin, le procès a commencé. Nous avons vu des véhicules blindés arriver et amener les criminels. Ils étaient debout, derrière eux se tenaient des gardes. Chaque criminel était gardé par deux de nos officiers. Il y avait aussi des avocats, notre procureur Roudenko [Roman Andreïevitch Roudenko, procureur en chef de l'URSS au procès de Nuremberg, ndlr].

Parfois jusqu'à 37 personnes étaient interrogées par jour. Je me souviens qu'un jour nous étions très fatigués, ils sont venus à 40. Nous étions très fatigués, nous ne pouvions que boire de l'eau et c'est tout, nous ne nous levions pas, parfois nous ne déjeunions même pas. Du reste, nous ne demandions rien. Les interprètes n'ont pas été changés. C'est pourquoi nous étions fatigués: il n'y avait pas d'interprètes, où les trouver? Personne ne formait à cela. M'auraient-ils pris, moi, jeune fille de 17 ans, s'il y avait eu des interprètes qualifiés? Petit à petit, des interprètes militaires ont commencé à arriver d'Union soviétique.

Les interrogatoires se poursuivaient pendant 12 heures, nous nous reposions toutes les deux heures. Tous en sortaient en sueur. Et, partant chaque jour, nous signons une lettre comme quoi nous ne dirions jamais à personne ce que nous avions entendu. Tout était classé. Le soir nous signions une lettre, allions nous reposer, le matin on nous ramenait. Et comme ça pendant deux mois... Je n'avais plus de force du tout, c'était très difficile.

Les moments les plus difficiles, c'était lorsqu'ils racontaient comment on exterminait les enfants. C'était dans le camp polonais de Majdanek, je me souviens de ce procès. Les orateurs ont dit qu'il y avait une énorme usine de tabac à Majdanek où nos enfants [fabriquaient] des cigarettes. Nos enfants soviétiques, dont les parents ont été emmenés travailler en Allemagne. En une journée, 10.000 enfants y ont été exterminés, car quelqu'un – l’instigateur était un de nos officiers capturés – a dit: "Ne mettez pas de tabac dans les cigarettes, mais du sable." Et les cigarettes étaient remplies de sable. Lorsque cela a été découvert, ils ont mis les doigts des enfants entre les portes et ont planté des aiguilles sous leurs ongles.

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Maintenant j'en parle calmement, mais à l’époque c'était impossible à écouter calmement. Et pas un seul enfant n'a dit qui leur avait appris cela. C'était effrayant à regarder, nous, les traducteurs, ne pouvions pas le supporter. Il y avait des moments comme ça. Des moments effrayants d'intimidation des gens.

Je n'ai parlé à personne du procès, pas même à mon mari. J'ai raconté quelque chose à mes enfants, mais globalement, je n'ai jamais rien dit à personne. Personne ne savait même que j'avais participé au procès de Nuremberg. Il n'y a qu'une mention dans mon livret militaire: décorée par l'Ordre de la Guerre patriotique du premier degré. Pour une participation à long terme au procès. Ville de Nuremberg. Allemagne.»


Préparé par:
Aïgiouzel Kadir, correspondante,
Abzal Kaliev, caméraman,
Agence de presse internationale Sputnik Kazakhstan;
Irina Kareva et Lessia Orlova, éditrices du projet «Nuremberg. Le début de la paix».