Le 15 octobre 1946, le monde apprend une nouvelle sensationnelle: Herman Göring, qui avait été condamné à la mort par pendaison, s’était suicidé la veille de son exécution en évitant le déshonneur de la potence et en partant à ses propres conditions. L’accusé, connu dans le Troisième Reich comme le nazi numéro deux, aspirait à être le numéro un lors du procès de Nuremberg. Il était le seul accusé à avoir ouvertement combattu le tribunal militaire international, ne cédant pas sur ses opinions et ne se repentant pas un seul instant. Göring était très différent des autres accusés, qu’il méprisait pour leur «mollesse», «trahison des idéaux», «lâcheté» et «haute trahison». Il était un véritable Ennemi, un Mal personnifié que l’accusation a dû combattre dans une longue et épuisante bataille. Göring était un adversaire exceptionnel: malgré la haine pour lui, tous ceux qui entouraient le nazi numéro deux à Nuremberg en 1945-1946 reconnaissaient sa vaillance, sa fermeté et son caractère intransigeant d’officier de combat, d’as de l’aviation. Son comportement lors du procès est une chronique du bombardier en piqué, jusqu’à l’éperonnage dans le dernier acte.
«Martyre»
Dans sa dernière déclaration, Hermann Göring a dit: «Le vainqueur est toujours le juge et le vaincu le condamné. Je ne reconnais pas la décision de ce tribunal [...] Je suis heureux d’avoir été condamné à l’exécution [...] car ceux qui sont en prison ne seront jamais des martyrs.»
Son comportement au procès avait d’abord pour but compréhensible d’être condamné seulement à une peine d’emprisonnement. Puis il s’est rendu compte qu’il ne s’en sortirait pas aussi facilement. Il a accueilli le verdict avec bravade: «La peine de mort ne signifie rien pour moi. J’ai cessé d’avoir peur de la punition quand j’avais 12 ans.»
Dans sa lettre écrite avant son suicide et adressée à Churchill, il écrira:
«Vous pensez avoir habilement tout arrangé en jetant la vérité historique aux pieds d’une poignée de sophistes juridiques ambitieux et en permettant qu’elle soit transformée en une sorte de traité dialectique débordant de toutes sortes d’astuces, alors que vous savez très bien, en tant que Britannique et homme d’État, que par de telles méthodes les problèmes vitaux des nations ne pouvaient pas été résolus ou évalués dans le passé et qu’ils ne le seront pas non plus dans l’avenir. Je connais trop bien votre puissance et l’agilité de votre esprit pour vous considérer comme capable de croire les vulgaires slogans par lesquels vous soutenez la guerre contre nous et tentez de magnifier votre victoire sur nous par ce spectacle à trois francs six sous.»
Göring était inquiet, mais se sentait toujours en forme.
Espoir trompé
Plus vraisemblablement, il était motivé par... l’ambition. Jadis seulement lui et personne d’autre ne pouvait être appelé nazi numéro 2. Ensuite le Reichsminister Hess, puis le Reichsführer Himmler ou le Reichsleiter Bormann, et même le chef de la propagande du Reich Goebbels ont commencé à le revendiquer... Maintenant, trois d’entre eux étaient morts, et Hess avait perdu la face avant même son arrivée à Londres. Mais surtout, il n’y avait plus d’Hitler. Ce qui voulait dire…
... qu’au tribunal militaire international, lors du plus grand des procès de Nuremberg, lui, le Reichsmarschall Göring, n’était finalement plus le numéro deux. Il a été automatiquement élevé au rang de nazi numéro un.
Au fur et à mesure du déroulement du procès, la tactique de Göring était peut-être le spectacle le plus fascinant. Il se moquait des accusations, puis mentait carrément, puis provoquait les participants du procès. Il jouait son rôle sur la grande scène de l’Histoire: au moins, c’est ce qui lui semblait. Mais sa fin a été simple et banale. Le jour de l’énoncé du verdict, on a d’abord parlé des autres, et après la pause déjeuner, à 14h50, on a finalement dit: «Le tribunal militaire international vous condamne à la mort par pendaison.» Le juge a ajouté: «La culpabilité de cet homme est sans précédent et les crimes sont si odieux qu’il ne peut y avoir aucune justification.»
Les dernières déclarations ont déjà été faites, les lettres écrites. Churchill n’a pas répondu.
Il ne restait qu’à devenir un martyr. Göring aurait eu le courage d’aller à la potence pour le devenir. Mais il pouvait en effet avoir été moralement brisé. Il a cessé de croire en son martyre imminent. Ou peut-être que sa fierté l’a incité à prendre une autre voie: arriver le premier et faire les choses à sa façon, ne pas tomber dans les mains des vainqueurs.
Le projet Nuremberg. Le début de la paix a déjà publié un article sur la vie du nazi numéro 2 (ГИПЕРССЫЛКА). Rappelons maintenant les principales étapes du parcours de Göring: de l’aviateur héroïque au «pilote abattu».
Jeune ancien combattant
En 1914, le Fahnenjunker Hermann Göring, âgé de 20 ans, demande à être transféré dans l’aviation.
Dans son escadron aérien, il devient mécanicien, puis observateur, et un an plus tard il est promu pilote de reconnaissance, de bombardier et, enfin, de chasse. C’est un jeune homme vraiment intrépide. Il abat 22 avions ennemis. Chevalier de trois ordres, il atteint le rang de commandant d’escadron de chasseurs et de capitaine.
Après la guerre, il reste dans l’aviation, effectuant des vols de démonstration, entre à l’université et épouse Carin von Kantzow qu’il a arrachée à son mari suédois. Grand (à l’époque, un homme de 178 cm était considéré comme un homme grand), incontestablement beau, charmant, courageux, ambitieux... Sa vie aurait pu prendre une tournure tout à fait différente.
Frère d’armes
En 1922, il rencontre Hitler à Munich et croit immédiatement dans ses idées. Il y a une autre circonstance: c’est Carin qui a cru en Hitler. Elle devient presque plus nazie que Göring.
Le Führer a besoin de héros de guerre dans son parti. Göring était le plus brillant de tous. Hitler le nomme immédiatement chef suprême des SA: Ernst Röhm et Göring se détesteront à jamais. C’est Göring qui transforme ces sections d’assaut en un semblant d’armée et y impose la discipline. Le 9 novembre 1923, il participe au putsch de la Brasserie, marche main dans la main avec Hitler et est gravement blessé. Sa femme l’emmène à l’étranger pour le faire soigner. Il se rétablit, mais commence à prendre rapidement du poids... Il est impatient de retourner en Allemagne, mais le Führer ému lui demande de ne pas le faire et de «se réserver pour le national-socialisme». Alors qu’Hitler est en prison, Carin lui rend visite et reçoit la confirmation que Göring reste son principal et plus proche collaborateur.
Nazi numéro deux
En 1927, il retourne en Allemagne. La carrière au sein du parti se déroule comme sur des roulettes. Héros, as de l’aviation, étendard et pièce d’exposition primée, étalon, même si son apparence a souffert à cause des kilos en trop. C’est lui qui devient président du Reichstag et destitue le gouvernement de von Papen, ouvrant ainsi à Hitler la voie au pouvoir. C’est lui qui crée la police politique secrète, la Gestapo, et qui est le premier à la diriger.
C’est lui qui a lancé la nuit des Longs Couteaux et qui a débarrassé Hitler des SA et lui-même de Röhm. En 1935, il atteint une position unique au sein du Reich: il est déclaré héros et collaborateur le plus proche d’Hitler à plusieurs reprises et bénéficie d’une immunité et de droits illimités.
Il voulait devenir Reichsforstmeister et il l’est devenu. Il voulait être général et il l’a fait en sautant les grades. Il devient maréchal du Reich et dirige la Luftwaffe. Et en juin 1941, il est officiellement désigné comme le successeur d’Hitler en cas de décès ou autre malheur. Le 30 juillet 1941, Göring signe un document sur la «solution finale» à la question juive, qui prévoit l’extermination d’environ 20 millions de personnes.
Et puis, Hitler commence à douter de Göring: ce dernier manifeste de plus en plus sa seconde nature.
«Argent de poche»
Voici un extrait intéressant de l’interrogatoire de Göring:
«Où trouviez-vous de l’argent?
J’étais le deuxième homme du pays et j’étais toujours abondamment pourvu en argent. Je signais moi-même les dotations.
Et c’est ainsi que vous avez obtenu des fonds étrangers, des devises étrangères?
Oui. J’étais moi-même l’autorité finale pour l’autoriser.
Est-ce que cela faisait l’objet d’une procédure appropriée ou plus globalement est-ce que cela était enregistré?
Seule une autorisation était nécessaire, mais dans mon cas, la question ne se posait même pas.
Lorsque vous voyagiez à l’étranger et aviez besoin d’une grande quantité de monnaie étrangère, comment l’obteniez-vous?
Je n’ai jamais eu besoin d’avoir des sommes importantes. Si je prévoyais un voyage à l’étranger, je calculais la somme d’argent dont j’aurais besoin, puis je demandais des devises.
Comment obteniez-vous de l’argent avant la guerre?
Comme toute personne privée qui allait à l’étranger. J’emportais dans ma poche l’argent liquide dont j’avais besoin les premiers jours, et pour le reste, je recevais une lettre de crédit.
Comment avez-vous payé les tableaux?
Toujours en liquide.
Quel était votre revenu annuel?
En tant que maréchal du Reich, je recevais 20.000 marks par mois, en tant que commandant des forces aériennes, je recevais 3.600 marks par mois, hors taxes. En tant que président du Reichstag, 1.600 marks. En outre, il y avait des redevances pour mes œuvres littéraires. Le revenu provenant de mes livres s’élevait à environ un million de marks.
Votre mode de vie a-t-il coûté plus que ces sommes?
Certaines de mes dépenses étaient couvertes par d’autres moyens, mes résidences à Berlin et à la Carinhall étaient entretenues par l’État.»
Train de vie et son coût
L’«appartement de fonction» de Göring est construit à 60 kilomètres de Berlin par deux architectes: Werner March, qui a conçu le stade olympique de Berlin, et Friedrich Hetzelt, qui a conçu le bâtiment de la Gestapo à la Prinzalbertstrasse. La principale résidence de campagne du nazi est appelée Carinhall, en l’honneur de sa première femme (après sa mort en 1931, ses cendres ont été enterrées dans un magnifique mausolée dans la propriété). C’est quelque chose entre un palais et un château. À proximité se trouvent les terrains de chasse de la forêt de Schorfheide et deux lacs, le Grossdöllner et le Wuckersee. De magnifiques portes de sept mètres de haut.
Gymnase, ménagerie, et même un sauna russe. Et dans le grenier et à la cave, il y a un chemin de fer pour enfants. À la fin de la bataille de Stalingrad, Göring fête son anniversaire en jouant avec les trains avec ses invités.
Sur un simple coup de tête, il s’envole pour Paris et pilote lui-même l’avion. Celui-ci est, bien entendu, accompagné d’une escadrille d’avions de chasse.
Il a aussi son propre musée. Les tableaux, il ne les achète pas: les chefs-d’œuvre de l’art mondial sont pris comme trophées dans les villes conquises. Par-dessus tout, Göring aime les statues, surtout les lions.
Il essaye de cacher sa collection en 1945, d’abord dans une mine, puis dans les tunnels près de la résidence d’Hitler, où il a une autre «cabane», mais en vain. Les personnes qui sont responsables de la livraison volent la précieuse cargaison, et les œuvres d’art «remonteront à la surface» pendant plusieurs décennies.
«Et les achats de tableaux ne vous ont pas fait dépasser vos revenus?
J’avais d’autres revenus...»
Göring et son épouse admirent les lions pas seulement sous la forme de statues: le couple élève également sept «félins» en tant qu’animaux de compagnie. Ces lions se promenaient de temps à autre librement dans toute la maison. Une des lionnes s’échappe en mai 1945 et effraye pendant longtemps les gens dans une forêt à côté où elle s’est installée.
C’est Hitler qui a caractérisé Carinhall mieux que tous les autres: «Mon Berghof [résidence secondaire du Führer dans les Alpes bavaroises qui était loin d’être petite ou pas chère, ndlr] ne peut certainement pas être comparé à cela. Peut-être pourrait-il devenir une cabane de jardin ici?»
Le Führer commence à s’interroger en regardant tout ce luxe.
Autres revenus
Si l’on demandait à n’importe quel Allemand de l’époque quelle était l’entreprise la plus importante, la plus riche et la plus puissante en Allemagne, il répondrait sans hésiter: la Reichswerke Hermann Göring. Cette gigantesque corporation financière et industrielle est créée à l’initiative de Göring. Des fonds publics ont été utilisés pour sa mise en place, l’objectif étant de fusionner la production d’acier en un seul cycle: de l’extraction du minerai de fer à la production militaire. Les banquiers et les propriétaires d’entreprises allemandes ont tenté de résister, mais Göring dispose d’un outil efficace pour résoudre les conflits économiques: la Gestapo. Après une semaine d’écoutes téléphoniques, l’auteur du «miracle financier allemand» Hjalmar Schacht démissionne, les magnats de l’acier sont mis au pas. D’ailleurs, cette entreprise, qui effectue le contrôle technique des réseaux radio et téléphonique du Reich, s’appelait Institut de recherche Hermann Göring.
Les industriels et les financiers ont cru aux supplications de Schacht, aux discours d’Hitler, aux charmes de Göring et investi dans le nazisme dans l’espoir de consolider la position de leurs entreprises et de leurs actifs. Ils sont désormais soumis à l’économie planifiée, leurs bénéfices sont limités à 6% au maximum et l’Anschluss ajoute un autre détail intéressant: de nombreuses entreprises autrichiennes détenues par des banques allemandes et des investisseurs privés sont désormais la propriété de la Reichswerke Hermann Göring. La même chose se produit avec la propriété industrielle dans d’autres pays occupés: les usines Skoda en Tchécoslovaquie, Renault en France... À la fin de 1941, la Reichswerke Hermann Göring possède un capital de 2,4 milliards de marks, constituant la plus grande entreprise d’Europe.
Ce n’est pas Göring qui est le propriétaire de cette société. Il choisit le statut d’administrateur pour l’État allemand et reçoit des dividendes en tant que gérant et surveillant. Bien entendu, la société exploite le travail forcé des prisonniers des camps de concentration et des personnes déportées de toute l’Europe. L’usine de la Stahlwerke Braunschweig emploie 10.000 esclaves, l’exploitation minière 47.000. La corporation de Göring continue de croître, dévorant de nouvelles entreprises de construction navale, de bâtiments, de production d’acier, de fonderie de fer et de transport.
La définition la plus précise de la position d’Hermann Göring sous le régime nazi est celle de principal bénéficiaire. Mais aussi de principal fonctionnaire corrompu.
Intouchable
Le refroidissement d’Hitler envers son favori coïncide avec le déclenchement de la guerre contre l’Union soviétique.
En 1941, les stratèges et économistes avisés ont les plus sombres pressentiments quant à l’issue et aux conséquences de cette campagne. En 1942, Hitler commence à éloigner Göring du pouvoir réel. L’influence et le pouvoir du nazi numéro deux se réduisent considérablement avec la nomination de l’architecte Albert Speer au poste du ministre de l’Armement et de la Production de guerre. Göring n’apprécie guère Speer et s’oppose vivement à lui, mais c’est à cet ennemi juré qu’il déclare fin 1942: «Nous devrions nous réjouir si, après cette guerre, l’Allemagne conserve ses frontières de 1933».
À la fin de la bataille de Stalingrad, Göring doit donner sa parole à Hitler qu’il fournira des provisions, des munitions et des médicaments aux unités encerclées au moyen d’un pont aérien. Mais ce n’est plus possible. La guerre sur le terrain a été gagnée par les soldats soviétiques, la guerre sur le front intérieur a été perdue par l’économie allemande. Et dans les airs, ce sont les pilotes soviétiques qui sont les maîtres.
Il est toujours impossible de toucher Göring, même s’il a perdu clairement du terrain et a cessé progressivement d’apparaître à Berlin. Dans sa grande propriété, il consacre son temps libre à la chasse, au sauna, aux trains miniatures, à la cave à vin et... à la morphine en quantité illimitée. Afin de pouvoir traduire Göring devant le tribunal militaire international, les alliés doivent le soigner de la toxicomanie. Il en résulte des sautes d’humeur, des accès de rage et une apathie prolongée. Il devient dépendant de la morphine après le putsch de la Brasserie, au cours duquel il est gravement blessé, ce qui entraîne une inflammation de l’aine et d’autres conséquences désagréables. Depuis lors, il a toujours une réserve de comprimés et d’ampoules sur lui.
C’est presque la désagrégation complète de la personnalité, ce qui s’accompagne d’extravagances excentriques. Il peint ses ongles et met du rouge à lèvres. Il commande presque chaque jour à des tailleurs de nouveaux vêtements extravagants, par exemple des bottes rouges avec des éperons dorés, des pantalons bleus avec des rayures, des pardessus avec des cols en renard et en castor, des manteaux blancs avec des revers bleus et rouges... Albert Speer se souvient: «Je me souviens encore comment j’ai été frappé par ses ongles couverts de vernis rouge et par son visage poudré. Entre-temps, je m’étais habitué au fait que son manteau de brocart vert avait toujours une énorme broche». La prétention du Troisième Reich à hériter de la Rome antique se manifeste à ce niveau presque caricatural: Göring incarne pleinement l’image d’un patricien romain débauché à l’âge du déclin de l’empire.
Un détail curieux: impitoyable et indifférent au monde extérieur, le nazi numéro deux est un excellent père de famille. Son second mariage est certainement heureux: il épouse l’actrice Emmy Sonnemann en 1935, et elle devient officieusement la Première Dame du Troisième Reich.
Sa fille Edda idolâtre son père. En outre, il sauve régulièrement son frère Albert de l’arrestation. Ce dernier sauve à son tour plusieurs dizaines de Juifs de la mort, ce qui n’est pas un secret pour le nazi numéro deux.
Il a presque été éliminé. Et soudain, le 23 avril 1945, Hitler, qui venait de traiter tous ceux qui l’entouraient de lâches et de traîtres et qui a décidé de rester à Berlin jusqu’au bout, reçoit un radiogramme: «Mon Führer! Compte tenu de votre décision de rester à Berlin, acceptez-vous que je prenne immédiatement, en tant que votre successeur, en vertu de la loi du 29 juin 1941, la direction générale du Reich avec une totale liberté d’action à l’intérieur et à l’extérieur? Si je ne reçois pas de réponse avant 22 heures, je considérerai que cela confirme que vous n’avez aucune liberté d’action et que les conditions que vous exigez dans votre décret sont réunies, et j’agirai pour le bien de notre pays et de notre peuple. Vous savez ce que je ressens envers vous dans cette heure la plus difficile de ma vie. Je suis incapable de l’exprimer par des mots. Que Dieu vous protège et vous ramène rapidement, quoi qu’il arrive. Avec toute ma dévotion, Göring.»
Cet ultimatum provocateur est considéré par Hitler comme la preuve d’une intention traîtresse de prendre le pouvoir. Le même jour, Göring est arrêté pour haute trahison et, le 29 avril, Hitler le dépouille de ses grades, décorations et postes et l’expulse du parti.
Göring est libéré par les siens, les pilotes, et huit jours plus tard, il est aux mains des Alliés, qui doivent prendre soin de sa santé. Mais il a quand même eu le temps de donner l’ordre de faire sauter Carinhall. Le 8 mai, il va fièrement à la rencontre d’un lieutenant américain et donne son nom. Le lieutenant se présente à son tour: «Lieutenant Shapiro». Göringg soupire lourdement: «Mais bien sûr, un Juif.»
La dernière bataille
Le psychologue Gustave Gilbert et le psychiatre Douglas Kelly ont enregistré en détail le comportement de Göring lors du procès de Nuremberg, ses réactions et la manière dont il interagissait avec les autres accusés. Comme il s’est avéré par la suite, Kelly n’a pas pu résister au charisme de son patient. Il est devenu un messager entre Göring, sa femme et sa fille, transmettant leurs lettres, et était frappé par le contraste entre la profonde tendresse de Göring en tant que père de famille et l’insensibilité totale et l’absence de remords de Göring en tant que Reichsmarschall. Par la suite, Kelly, qui ne s’est jamais libéré de l’emprise des charmes de son patient, s’est suicidé.
Dans son Journal de Nuremberg, Gustave Gilbert a cité ses conversations régulières avec Göring et a consigné ses observations. Selon lui, le nazi numéro deux différait sensiblement des autres accusés: il se caractérisait par la cohérence et l’intégrité de ses opinions, qu’il ne voulait absolument pas réviser. Son QI était impressionnant: 138.
«Il s’est intéressé de près aux questions du test et, après le test préliminaire (de mémoire), il s’est transformé en un adolescent excité et suffisant, qui s’efforçait d’impressionner son professeur. Lorsque je lui ai fait remarquer qu’il avait réussi à mémoriser la progression des chiffres qui lui était présentée, il a fait un sourire appréciateur. Ayant commis une erreur lors de l’un des essais numériques, il s’est tapé la cuisse en signe de frustration avant de tapoter avec impatience sur la couverture de la couchette et de demander un troisième, puis un quatrième essai. +Non, laisse-moi réessayer, je peux le faire, je peux vraiment le faire!+. Et lorsque, à ma surprise non dissimulée, il a réussi le test, Göring, voyant ma réaction, n’a pas pu contenir sa joie. Il débordait de fierté. Et il est resté dans cet état jusqu’à la fin du test. Mes remarques sur le fait que peu de ses collègues avaient été capables de faire une telle chose l’ont rendu aussi enthousiaste qu’un élève de CP. Je lui ai fait savoir que jusqu’à présent personne n’avait fait mieux. Göring a même admis que les psychologues américains savaient bien une chose ou deux.»
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Il a utilisé des restes d’influence, jusqu’à l’intimidation, pour créer une ligne générale d’opposition au tribunal. Il a provoqué les juges avec un «humour de potence» cynique et provocateur et des remarques impertinentes depuis le banc. Il s’enrageait lors des sessions, accusant de trahison ses complices qui avouaient des actes criminels. Paradoxalement, il est resté fidèle à Hitler, déclarant que son suicide n’était pas un acte de lâcheté et de faiblesse, mais de force d’âme et d’héroïsme («Je ne veux pas le justifier, mais le serment que j’ai fait pour lui perdurera dans les bons et les mauvais moments. [...] Après tout, il était le Führer du Reich allemand. Et pour moi, il est tout à fait inconcevable d’imaginer Hitler dans une cellule comme celle-ci, en attente d’un procès en tant que criminel de guerre devant être traité par des juges étrangers. Même s’il me détestait juste avant la fin, ça ne change rien. Il était le symbole de l’Allemagne. Peu importe que ce soit plus dur pour moi, je suis prêt à tout prendre sur moi tant que je ne vois pas Hitler vivant devant le tribunal, non, non, une telle chose est absolument impensable pour moi»). Commentant l’issue potentielle du procès et le comportement de ses «collègues», il a vanté la bravoure d’un kamikaze: «Comment peut-on faire une chose aussi lâche pour sauver son propre cou de la corde! Penser qu’un Allemand ferait une chose aussi lâche, pour quelques années de vie misérable, pour quelques années de plus à transformer le pain en merde, pardonnez ma franchise! Pensez-vous que je ferais une telle chose pour prolonger ma vie? Je me fous royalement de savoir si je vais être pendu, noyé, mourir dans un accident d’avion ou être saoulé à mort! Mais il doit y avoir une certaine idée de l’honneur dans ce monde maudit! [...] Je me fous de ce que l’ennemi nous fait, mais je me sens mal quand je vois comment les Allemands se trahissent les uns les autres!». Göring est resté sur ses positions jusqu’au bout, refusant de faire des compromis, même sur des détails mineurs, et refusant de reconnaître les faits irréfutables.
Gustave Gilbert se souvenait: «Au cours des conversations que nous avons eues avec lui dans sa cellule, Göring a essayé de donner l’impression d’un réaliste résolument positif qui avait tout mis en jeu et avait perdu net, mais qui voyait sa défaite comme un sportif habile habitué non seulement aux victoires, mais aussi aux défaites. Toutes les accusations ont été invariablement rejetées avec le même argument cynique sur le fameux "droit du vainqueur". Göring a avancé de nombreuses excuses très plausibles. Il disait ne rien savoir des crimes de masse nazis et tentait constamment de "démasquer" les puissances alliées. Son humour devait probablement être un moyen de convaincre son interlocuteur que celui-ci avait affaire à un homme naturellement bon vivant et incapable de commettre des atrocités. Cependant, le mépris non dissimulé de Göring à l’égard des autres dirigeants nazis, qui jaillissait de temps en autre, témoignait de sa vanité pathologique.»
«Le soir précédant son exécution, Göring a demandé à l’aumônier de la prison l’absolution et un dernier repas, selon la coutume luthérienne. L’aumônier Gerecke, qui s’attendait à un autre spectacle, a refusé de lui donner l’absolution au motif qu’il ne voulait pas se plier à ceux qui ne croyaient en rien et voulaient faire un autre show. Göring n’a donné aucune indication, ni par la parole ni par le geste, qu’il était désolé de ce qu’il avait fait. Un jour plus tard, alors que Göring avait déjà prouvé à tous que son souhait n’était rien d’autre qu’un simulacre de sacrement puisqu’il s’était suicidé immédiatement après les événements décrits, l’aumônier Gerecke a vu qu’il ne s’était pas trompé sur Göring. Tout comme moi. Car Göring est allé dans l’autre monde comme il avait vécu, comme un psychopathe qui s’était moqué de toutes les valeurs humaines et qui avait continuellement essayé de tromper tout le monde avec ses tours de passe-passe».
La dernière nuit
La date et l’heure de l’exécution étaient gardées secrètes pour tout le monde, y compris pour les condamnés. Mais apparemment, un de ceux qui étaient au courant n’a pas su tenir sa langue.
L’exécution était prévue pour le 16 octobre 1946 à deux heures du matin.
Le 15 octobre, le directeur de la prison, le colonel Burton Andrews, informe les condamnés que leurs demandes de grâce ont été rejetées. À 21h30, le docteur Ludwig Pflücker, médecin de la prison, accompagné du lieutenant McLinden, garde pénitentiaire, est venu voir Göring, qui était détenu dans la cellule n°5. McLinden ne comprend pas ce dont parlent Pflücker et Göring, car il ne parle pas allemand. Pflücker remet au prisonnier un somnifère, que ce dernier prend en présence de McLinden et du médecin.
Après l’énoncé du verdict, tous les prisonniers sont suivis avec beaucoup d’attention et des contrôles constants sont effectués. Les observateurs constatent que Göring est couché sur le dos, sans bouger, les mains sur la couverture comme cela est exigé par les règles de la prison. Dans les archives de l’enquête militaire, le garde Bingham a témoigné: «Lorsque j’ai regardé dans la cellule, j’ai vu que Göring était allongé sur le dos dans son lit, avec des bottes, un pantalon et une veste et tenant un livre. Il est resté immobile pendant environ 15 minutes, puis il a commencé à bouger ses mains de manière agitée en portant sa main droite à son front et en le frottant». Le garde Johnson a relevé la garde: «Il était exactement 22h44, comme je l’ai constaté en regardant l’horloge à ce moment-là. Après deux ou trois minutes, il [Göring] a semblé s’engourdir et un soupir étranglé s’est échappé de ses lèvres».
Lorsque le médecin et un officier arrivent, Göring est déjà mort. Ils trouvent des bouts de verre dans sa bouche et une enveloppe à son chevet qui contient une lettre à sa femme, Emma, un message au peuple allemand et une note au commandant Andrews.
«Nuremberg, le 11 octobre 1946
À l’attention du commandant,
J’ai toujours eu la capsule de poison sur moi, même depuis mon transfert jusqu’à la prison. Dès mon transfert à Mondorf, j’avais trois capsules. J’ai laissé la première dans mes vêtements pour qu’elle soit trouvée lors d’une fouille. Je mettais la seconde sous le cintre lorsque j’ôtais mes vêtements puis la récupérais lorsque je devais me rhabiller. Je l’ai si bien dissimulée à Mondorf et ici dans ma cellule que, malgré les inspections fréquentes et minutieuses, elle n’a pu être trouvée. Pendant les auditions, je la gardais sur moi, dissimulée dans mes bottes.
La troisième capsule se trouve encore dans ma petite trousse de toilette, dans le pot contenant de la crème pour la peau. J’aurais pu la prendre à deux reprises à Mondorf si j’avais voulu.
Aucun des soldats chargés des inspections n’est à blâmer, car il était presque impossible de trouver la capsule. Cela n’aurait été que pure chance.
Hermann Göring.»
On ne sait toujours pas si Göring a écrit la vérité ou non. De temps en temps, le monde est bombardé de nouvelles informations sensationnelles: par exemple, le lieutenant Jack Wheelis, qui avait les clés de la salle de stockage de la prison, aurait permis à Göring d’y entrer et de prendre le poison qui y était stocké, en échange de quoi il aurait pris sa montre et d’autres objets.
En février 2005, Herbert Lee Stevens, ancien garde américain de 78 ans, a déclaré que, pendant qu’il servait dans la prison de Nuremberg, il avait rencontré une jeune Allemande prénommée Mona et qu’à deux reprises elle avait transmis des notes à Göring. La troisième fois, elle lui avait donné un médicament. Tous ces «colis» auraient été cachés dans un stylo-plume.
Le corps de Göring a été incinéré avec les corps des autres exécutés et les cendres ont été dispersées dans le vent. La lettre a, bien sûr, été remise à sa femme. Son message au peuple allemand est conservé dans les archives américaines. Il semblerait pourtant que le peuple allemand n’a pas perdu grand-chose.