Il y a 75 ans, le tribunal le plus important de l’histoire terminait ses travaux et condamnait les principaux criminels nazis. Voici ce qui s’est passé le 1er octobre 1946 dans la salle d’audience et dans les couloirs du tribunal de Nuremberg.

Ambiance pesante

Le 31 août, le tribunal a entendu les dernières déclarations des accusés et s’est retiré pour rendre son verdict. À mesure qu’approchait le jour fixé, l’angoisse des criminels nazis grandissait, a noté le psychologue Gustave Gilbert, qui travaillait à Nuremberg: «De jour en jour, l’ambiance dans la prison devenait de plus en plus pesante: les prévenus attendaient le verdict et cette atmosphère accablante ne s’est pas améliorée même après l’assouplissement considérable du régime carcéral, lorsqu’on a autorisé les accusés à rencontrer leurs épouses et leurs amis.»

Le psychologue militaire américain Gustave Gilbert (à gauche) s"entretient avec l"accusé Hermann Goering lors d"une pause.
© AP Photo

Hermann Göring a ainsi reconnu sa défaite et ne cachait plus sa nervosité. Joachim von Ribbentrop «était simplement pénible à regarder et plus encore à écouter» (il a demandé à Gilbert d’intervenir pour défendre les accusés). Wilhelm Keitel avait l’air très déprimé et n’a pas voulu voir sa femme. Fritz Sauckel, Alfred Rosenberg, Hans Fritzsche et Walther Funk «parcouraient leur cellule pendant des heures, après quoi ils s’allongeaient sur leur lit et se figeaient en fixant le plafond d’un air absent». Erich Raeder répétait qu’il n’avait pas d’illusions et qu’il n’attendait rien d’autre que la peine de mort. Seul Hjalmar Schacht n’a pas perdu confiance en une issue favorable du procès à son égard.

La tour de Babel

La lecture du verdict a commencé le 30 septembre. «Ce jour-là, je suis arrivé très tôt au Palais de justice et à peine entré dans le bâtiment, j’ai senti que la situation était hors du commun, a écrit le secrétaire de la délégation soviétique, Arkady Poltorak. Il y avait beaucoup plus de véhicules lourds de police à l’entrée. Tous les contrôles ont été renforcés! Ils étudiaient attentivement les laissez-passer, les comparant avec les passeports. Tous sans exception ont été soumis à cette procédure: les représentants de la presse, les membres du personnel du tribunal, les avocats et le public.»

Selon lui, dans le public, il y avait beaucoup de ceux qui n’avaient assisté au procès que pendant les premières semaines. «Maintenant, ils sont de retour. Dans la salle, c’est à nouveau la tour de Babel: des représentants de presque tous les pays du monde s’y sont rassemblés», a noté Poltorak.

Relève de la garde devant le Palais de justice de Nuremberg où a lieu le procès.
Relève de la garde devant le Palais de justice de Nuremberg où a lieu le procès.
© Sputnik, Evguéni Khaldeï

Pour accueillir plus de public, toutes les tables supplémentaires ont été retirées la veille pour être remplacées par des chaises, a indiqué Alexandre Zviaguintsev, spécialiste du procès de Nuremberg. Des cartons d’invitation ont été imprimés en deux couleurs afin qu’une personne ne puisse assister qu’à l’une des deux séances les plus importantes et le dernier jour, lorsque les verdicts individuels ont été prononcés, les billets pour la galerie n’étaient valables pour les visiteurs qu’une demi-journée.

Vers 8h30 du matin, les défenseurs ont pris place, puis des sténographes et des interprètes sont apparus. Dans les cabines vitrées s’affairaient des techniciens. La tribune de la presse était pleine à craquer. Les accusés ont été amenés un par un dans la salle. Ils avaient l’air «extrêmement tendus» et, selon le secrétaire de la délégation soviétique, se comportaient comme s’ils ne se connaissaient pas.

Les juges sont ensuite sortis de la chambre du conseil. Le président du tribunal, Lord Geoffrey Lawrence, tenait un grand porte-documents contenant le texte du verdict.

Les juges y ont travaillé pendant plusieurs mois, discutant en détail quasiment chaque paragraphe du verdict et le sort de chaque accusé. La partie relative aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité est celle qui a suscité le moins de discussions. En revanche, l’accusation de complot a fait l’objet de débats houleux et la section sur les crimes contre la paix a nécessité deux mois de rédaction. Rosenberg, Frick et Seyss-Inquart avaient une chance d’éviter la mort, tandis que Funk et von Schirach pouvaient facilement finir pendus.

Si le verdict ne faisait aucun doute, les débats ont concerné le choix des chefs d’accusation pour chaque accusé ainsi que la durée des peines d’emprisonnement. Les juges soviétiques, qui avaient généralement adopté une ligne assez sévère pendant le procès, faisaient maintenant preuve d’une assez grande souplesse et étaient prêts à faire des compromis, mais pas à acquitter les accusés, ce qui entraînera plus tard une protestation ouverte.

«Heure après heure, les juges [et leurs adjoints] se relaient pour lire ce document historique. Une journée entière s’est écoulée, mais l’énoncé du verdict n’est pas encore terminé», a souligné Poltorak.

Le premier jour a été consacré exclusivement au fondement juridique du procès et à un aperçu général des faits, que les juges ont divisé en «sections ordonnées», explique le juriste américain Philippe Sands. «L’enchevêtrement complexe d’événements historiques et d’actions humaines a été simplifié en un récit qui décrivait clairement la prise du pouvoir par les nazis, leurs actes d’agression en Europe, la conduite criminelle de la guerre. Il a fallu 453 séances publiques pour passer complètement en revue ces douze années de chaos, de violences et de meurtres. 94 témoins ont été entendus: 33 de l’accusation et 61 de la défense», précise Sands.

Le verdict a validé pour la première fois en droit international le concept de crimes contre l’humanité. Ceux qui étaient présents dans la salle ont écouté silencieusement les descriptions de meurtres, de vols, de mauvais traitements, de travail forcé, de persécutions: tout cela était désormais considéré comme des crimes internationaux.

Geoffrey Lawrence, principal juge britannique lors du procès de Nuremberg, dont il assure la présidence.
Geoffrey Lawrence, principal juge britannique lors du procès de Nuremberg, dont il assure la présidence.
© Portail «Crimes des nazis en URSS», Evguéni Khaldeï // Archives de l'État russe de documents cinématographiques et photographiques (RGAKFD) / Arch. N° B-3094

Le tribunal a utilisé la formule explicitée par le procureur en chef britannique, Hartley Shawcross: les crimes internationaux «sont commis par des personnes et non par des organisations abstraites». Le droit international ne peut s’exercer que si ces personnes sont punies et chacun a des obligations au regard du droit international «qui vont au-delà de l’obéissance aux lois nationales imposées par un État en particulier».

Le matin le plus sensationnel

Le lendemain matin, le 1er octobre, les juges en sont venus à la responsabilité individuelle des accusés. Certains des prévenus écoutaient attentivement le verdict, d’autres s’agitaient et se balançaient sur leur siège, d’autres encore se tenaient comme si ce qui arrivait ne les concernait point.

Il ressortait des attendus que Schacht, Papen et Fritzsche ont été acquittés par le tribunal militaire international. «À mesure de la lecture de la formule de leur acquittement, un bourdonnement s’élevait dans la salle. Cette réaction du public m’a semblé hétérogène, tout comme l’était la salle d’audience», a raconté Poltorak.

Le secrétaire de la délégation soviétique ne s’est pas déclaré surpris par le verdict. «Lors des réunions d’organisation du tribunal, qui n’étaient pas publiques, de multiples discussions sur les questions concernant la responsabilité de Schacht, Papen et Fritzsche ont très clairement révélé la position des juges, a expliqué Arkady Poltorak. Plus d’une fois au cours de ces séances, le juge soviétique a dû contrecarrer les déclarations de juges des pays occidentaux, qui ont exprimé sans équivoque leur opinion, laquelle s’est finalement concrétisée dans un verdict d’acquittement pour ces trois accusés.»

Conférence de presse des accusés Franz von Papen, Hjalmar Schacht et Hans Fritzsche, acquittés par le Tribunal de Nuremberg.
© Bundesarchiv, Bild 183-V01715 / CC-BY-SA 3.0

Lorsque le tribunal a ordonné de libérer les trois accusés, Fritzsche et von Papen ont dit au revoir à leurs voisins de banc, et seul Schacht est passé devant Göring, sans même regarder dans sa direction. Le reste des accusés est resté dans la salle d’audience: un jugement de culpabilité avait été prononcé contre eux.

«Il règne une grande excitation dans le palais de justice. Ce matin est le plus sensationnel de tous et la presse mondiale est pressée de relater ce scoop au monde entier, a écrit Poltorak. Le bruit a couru qu’une conférence de presse [improvisée] avait lieu dans l’une des salles du palais, dont les “héros” sont les acquittés. Je suis allé là-bas. La salle était remplie de correspondants de différents pays, principalement américains et anglais. Les questions se succédaient. Les personnes interrogées répondaient d’un air vainqueur. Ils mentaient comme ils avaient menti quand ils étaient sur le banc des accusés.» Les journalistes soviétiques n’ont pas assisté à cette «conférence de presse».

Aussi silencieuse qu’un bloc opératoire

Après le déjeuner, à 14h50, le tribunal a entamé sa 407e et dernière séance.

Des membres soviétiques du Tribunal militaire international, le lieutenant-colonel Alexandre Voltchkov (à gauche) et le général de division de justice Iona Nikitchenko, dans la salle de réunion pendant les procès de Nuremberg, Allemagne, décembre 1945.
Des membres soviétiques du Tribunal militaire international, le lieutenant-colonel Alexandre Voltchkov (à gauche) et le général de division de justice Iona Nikitchenko, dans la salle de réunion pendant les procès de Nuremberg, Allemagne, décembre 1945.
© Sputnik

«L’atmosphère dans la salle a radicalement changé, a écrit Arkady Poltorak. On a enlevé des projecteurs, qui étaient allumés de temps en temps afin de pouvoir filmer et prendre des photos (il était interdit de photographier à la dernière séance) dans la salle où les rideaux étaient tirés. Seule la lumière bleutée des tubes néon, sans aucune ombre, tombait sur les murs, sur les visages des procureurs, des défenseurs, des employés du secrétariat et des nombreuses personnes du public.

Le banc de l’accusé est vide. La salle est aussi silencieuse qu’un bloc opératoire. Ici ou là, quelqu’un tousse, et cette toux retentit comme une salve inattendue.

Tout le monde attend que le tribunal commence à annoncer son verdict à chacun des condamnés. Tous les yeux sont rivés sur les deux portes: celle par laquelle les juges du tribunal international doivent entrer et celle par laquelle les prévenus vont entrer un à un.

Hermann Goering et Rudolf Hess sur le banc des accusés lors du procès de Nuremberg.
© AFP PHOTO

Voici les juges qui entrent. Lawrence hoche légèrement sa tête et tout le monde s’assoit.»

La partie du jugement qui comprenait les peines pour les accusés a été lue uniquement par le président. Les accusés ont été amenés dans la salle d’audience un par un pour entendre leur verdict, après quoi on les sortait, et ce dix-huit fois. Un autre prévenu, Martin Bormann, a été jugé par contumace. En cas de crise cardiaque, perte de conscience ou hystérie, un médecin et une infirmière se trouvaient dans la salle et deux militaires avec un brancard et une camisole de force se tenaient dans l’ascenseur qui amenait les accusés.

«Pour la première fois dans ce procès qui a duré un an, les dix-huit condamnés qui n’attendaient plus que leur verdict concret n’ont pas été considérés comme un seul groupe, mais comme des individus, souligne Philippe Sands. Ils n’ont pas été conduits tous ensemble dans la salle, mais chacun a attendu son tour dehors, près de l’ascenseur. Chacun est entré dans la salle, a écouté son verdict et est reparti.»

Audience du tribunal militaire international
Audience du tribunal militaire international
© Sputnik, Evguéni Khaldeï

Dans leurs discours de clôture, les procureurs en chef ont exigé que tous les accusés soient condamnés à mort (à l’exception du procureur américain Robert Jackson, qui n’a pas proposé de peine spécifique, mais a seulement dit que de «reconnaître ces personnes comme innocentes revenait à dire qu’il n’y avait pas eu de guerre, qu’il n’y avait pas eu de meurtres, qu’aucun crime n’avait été commis».)

Chacun des condamnés a réagi différemment. D’après les souvenirs de Poltorak, Göring «a jeté un dernier coup d’œil haineux aux juges» et a quitté tranquillement la salle après avoir légèrement vacillé. Gris et effrayé, Ribbentrop s’est tourné avec peine vers la sortie. Keitel se tenait droit «comme une bougie» et était impénétrable. Rosenberg a perdu son sang-froid. Frank a étendu ses bras. En attendant le verdict, Streicher a écarté largement ses jambes et tendu sa tête en avant. Jodl «a sifflé haineusement».

Hess, qui a été condamné à la prison à vie, ressemblait à «une sorte d’histrion», alors que Funk, qui était apparemment prêt pour la peine de mort, était donc «manifestement confus» et a presque sangloté en apprenant qu’il allait rester en vie.

Photo de la page de verdict du Tribunal militaire international (en russe) // Archives d'État de la Fédération de Russie F. R-7445. Op. 1. D. 1647. L. 1-350
Photo de la page de verdict du Tribunal militaire international (en russe) // Archives d'État de la Fédération de Russie F. R-7445. Op. 1. D. 1647. L. 1-350
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«J’ai suivi de près le comportement de Rosenberg, Keitel, Kaltenbrunner, Frick, Frank, Jodl, Sauckel, Streicher et Seyss-Inquart, qui ont été condamnés à mort, a raconté l’avocat soviétique Mark Raguinski. À l’exception de Seyss-Inquart, eux, les meurtriers de millions de personnes, ne pouvaient cacher leur peur. Les gardes ont dû soutenir Ribbentrop, Rosenberg et Jodl des deux côtés, car ils ne pouvaient pas se tenir debout.»

«Je regarde l’horloge. Les aiguilles argentées du cadran indiquent 15 heures 40 minutes. Le procès est terminé. Les juges partent, se souvenait Poltorak. Il y a un bruit épouvantable dans les couloirs du Palais de justice. C’est la foule multilingue de journalistes qui se précipite vers le télégraphe et les téléphones. Se bousculant les uns des autres, ils s’empressent de transmettre le bilan de près d’un an d’activité du tribunal international à leurs journaux et agences respectifs:

douze prévenus –Göring, Ribbentrop, Keitel, Rosenberg, Kaltenbrunner, Frick, Frank, Streicher, Sauckel, Jodl, Seyss-Inquart et par contumace Martin Bormann– sont condamnés à mort par pendaison; trois prévenus –Hess, Funk et Raeder– à la réclusion à perpétuité; deux prévenus –Schirach et Speer– à vingt ans d’emprisonnement; Neurath à quinze ans et Dönitz à dix ans.»

À noter que le tribunal a choisi la pendaison comme mode d’exécution. Cette mesure a toujours été considérée comme une honte. Dans l’Antiquité, on décapitait les militaires et depuis l’avènement des armes à feu, ils ont été fusillés. De cette façon, les juges ont montré que les criminels nazis ne méritaient aucun respect, même dans la mort.

Les accusés Wilhelm Frick, Julius Streicher et Walther Funk lors de la lecture du verdict du Tribunal de Nuremberg le 1er octobre 1946.
© AP Photo

Hormis le sort des accusés, le tribunal a statué sur le cas des organisations nazies. Les dirigeants du NSDAP, de la SS, de la police de sécurité (SD) et de la Gestapo ont été reconnus comme des organisations criminelles. Tous leurs membres sont pénalement responsables à titre individuel pour des faits précis. Le cabinet des ministres, l’état-major, le haut commandement de la Wehrmacht et les SA ont été acquittés par le tribunal. De l’avis du tribunal, ni l’état-major ni l’OKW n’étaient une organisation ou un groupe au sens juridique, et il y avait un manque de cohésion dans les rangs des SA. Dans le même temps, le tribunal a souligné qu’il n’y avait aucun doute sur la culpabilité des généraux de l’Allemagne nazie.

Après avoir lu le verdict, le président Lawrence a noté que la juge soviétique Iona Nikitchenko avait exprimé une opinion dissidente, qui a été immédiatement diffusée à la presse. Le représentant de l’URSS était en désaccord avec l’acquittement de Schacht, Franz von Papen et Fritzsche, affirmant que Rudolf Hess méritait la peine de mort et protestant contre la non-reconnaissance du cabinet des ministres, de l’état-major et du haut commandement de la Wehrmacht en tant qu’organisations criminelles. Pour le reste, Nikitchenko n’a pas critiqué le verdict.

Le juge soviétique Iona Nikitchenko, membre du Tribunal militaire international. Evguéni Khaldeï// Archives de l'État russe de documents cinématographiques et photographiques (RGAKFD), Arch. N° 2-107573.
Le juge soviétique Iona Nikitchenko, membre du Tribunal militaire international. Evguéni Khaldeï// Archives de l'État russe de documents cinématographiques et photographiques (RGAKFD), Arch. N° 2-107573.
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«De nombreux juristes et représentants de la presse se sont approchés de moi et m’ont dit: “Nous sommes d’accord avec votre juge, ils sont tous coupables et devraient tous être sévèrement punis”», se souvient l’avocat soviétique Mark Raguinski.

Bien qu’elle ait reçu l’approbation de Moscou (c’est d’ailleurs là-bas qu’elle aurait été écrite, selon certains historiens), l’opinion de Nikitchenko ne contenait aucune rhétorique de propagande. En outre, la pondération des arguments présentés et l’exactitude des formulations juridiques impressionnent encore aujourd’hui.

Extrait de l’opinion divergente du général de division Iona Nikitchenko, juge soviétique du tribunal militaire international:

[...] Il est donc établi sans équivoque que:
1. Schacht a activement contribué à la prise du pouvoir par les nazis;
2. Schacht a travaillé en étroite collaboration avec Hitler pendant 12 ans;
3. Schacht a fourni la base économique et financière pour la création de la machine de guerre d’Hitler;
4. Schacht a préparé l’économie allemande à mener des guerres d’agression;
5. Schacht a participé à la persécution des Juifs et au pillage des territoires occupés par les Allemands.

Par conséquent, le rôle de premier plan de Schacht dans la préparation et la mise en œuvre du plan criminel général a été démontré.

La décision d’acquitter Schacht est manifestement contraire aux éléments de preuve disponibles.

L’opinion divergente du général de division Iona Nikitchenko, juge soviétique, sur le verdict du Tribunal à l'égard de Hjalmar Schacht, Franz von Papen et Hans Fritzsche, Rudolf Hess et les organisations criminelles accusées -cabinet gouvernemental, état-major général et haut commandement des forces armées allemandes-, le 1er octobre 1946 // Archives d'État de la Fédération de Russie F. R-7445. Op. 1. D. 1651. L. 1-40
L’opinion divergente du général de division Iona Nikitchenko, juge soviétique, sur le verdict du Tribunal à l'égard de Hjalmar Schacht, Franz von Papen et Hans Fritzsche, Rudolf Hess et les organisations criminelles accusées -cabinet gouvernemental, état-major général et haut commandement des forces armées allemandes-, le 1er octobre 1946 // Archives d'État de la Fédération de Russie F. R-7445. Op. 1. D. 1651. L. 1-40
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«Les Américains ne pendront pas un banquier»

L’opinion publique a réagi de manière ambiguë au verdict. Le procureur général des États-Unis, Robert Jackson, a approuvé la décision finale, mais n’était pas d’accord avec l’acquittement de Papen et de Schacht. Le ministre autrichien de la Justice est allé plus loin en demandant que von Papen soit extradé vers Vienne.

La presse belge s’est montrée sévère à l’égard des acquittements. Le quotidien néerlandais De Volkskrant a titré que le verdict n’était «pas la fin». «Les dirigeants nazis mourront le 16 octobre», a sèchement indiqué The Guardian. «Nous devons tous les pendre», a catégoriquement insisté le journal londonien The Evening News.

Dessin de Koukryniksy publié dans le journal Pravda // RGALI, F. 1334. Op. 2. Ed. 272. L. b
Dessin de Koukryniksy publié dans le journal Pravda // RGALI, F. 1334. Op. 2. Ed. 272. L. b
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La presse soviétique a exprimé sa satisfaction générale quant au déroulement du procès et a approuvé l’opinion divergente d’Iona Nikitchenko. Les titres dans les grands journaux de Moscou étaient tous du même style: dans la Pravda «Le verdict de l’histoire» et dans les Izvestia «La condamnation de l’hitlérisme».

Aujourd’hui, il peut sembler étrange que des pensées similaires aient été exprimées dans l’éditorial du Guardian. «Si douze personnes doivent être pendues, il semble étrange que Schacht et von Papen aient échappé à la prison et aient été acquittés, ont souligné les journalistes britanniques. Fritzsche […] mérite à peine une place sur le banc des accusés à côté des grands méchants, mais Papen restera une figure sinistre de l’histoire allemande. […] Schacht […] a soutenu l’esprit qui a jeté les bases matérielles du “complot”. Clairvoyant comme il est, n’est-il pas conscient des objectifs que servent ses talents? Il est à noter que dans l’opinion dissidente russe, ces points ont été pris en compte et que le juge Jackson, procureur américain, a également regretté l’acquittement de Schacht et de Papen.»

De nombreux procureurs ont jugé préoccupant ces acquittements. L’affaire Schacht a ainsi confirmé la crainte que «les Américains ne pendront jamais un banquier». Henry Stimson, ancien secrétaire américain à la Défense et l’un des principaux initiateurs du procès, a salué les réalisations du tribunal, mais s’est toutefois montré assez sceptique quant au verdict, regrettant la définition trop étroite de la notion de «complot».

Le 2 octobre 1946, les journaux du monde entier ont publié le verdict du tribunal international de Nuremberg.
Le 2 octobre 1946, les journaux du monde entier ont publié le verdict du tribunal international de Nuremberg.
© Domaine public

Les avocats, au contraire, ont approuvé le fait que la décision finale n’ait pas inclus le principe de responsabilité collective.

Beaucoup d’Allemands n’ont pas non plus apprécié les acquittements et le gouvernement soviétique s’est emparé de cette colère. D’après les souvenirs de Poltorak, rien qu’à Leipzig, une «manifestation rassemblant cent mille personnes» a brandi des banderoles arborant des slogans tels que «Mort aux criminels de guerre!», «Nous voulons une paix durable!», «Justice du peuple pour Papen, Schacht et Fritzsche!» et «Nous voulons le calme et la paix!» Des manifestations similaires ont eu lieu à Dresde, Halle et Chemnitz.

La mort!

Gustave Gilbert a dépeint de manière imagée la réaction des prévenus.

«La mort! dit Göring, avant de tomber comme un sac sur le lit». Puis il a attrapé un livre et bien qu’il essayât désespérément de conserver son insouciance habituelle, le psychologue a remarqué à quel point ses mains tremblaient. «Ses yeux sont devenus humides, il respirait fortement, comme s’il essayait de faire face à un début d’effondrement mental. D’une voix incertaine, il m’a demandé de le laisser seul un moment», a écrit le psychologue.

Le banc des accusés dans la salle du tribunal de Nuremberg. Au premier rang: Hermann Goering (visage couvert), Rudolf Hess, Joachim von Ribbentrop, Wilhelm Keitel. Au deuxième rang : Karl Dönitz, Erich Raeder, Baldur von Schirach, Fritz Saucke.
Le banc des accusés dans la salle du tribunal de Nuremberg. Au premier rang: Hermann Goering (visage couvert), Rudolf Hess, Joachim von Ribbentrop, Wilhelm Keitel. Au deuxième rang : Karl Dönitz, Erich Raeder, Baldur von Schirach, Fritz Saucke.
© Domaine public, USHMM

Hess, «comme sur des échasses, est allé dans sa cellule», tout en lançant qu’il «n’avait pas écouté ce qu’ils avaient dit, eux, et que c’est pour cela qu’il n’avait aucune idée de sa peine. Et que d’ailleurs il n’en avait rien à foutre.» Mais lorsque le gardien l’a menotté, il a néanmoins demandé la raison de cette procédure et pourquoi lui seul était menotté et pas Göring.

Terrifié, Ribbentrop «a fait irruption dans sa cellule et titubant comme un ivrogne, s’est mis à l’arpenter en murmurant sans cesse: “La mort! La mort! Maintenant, je ne peux plus terminer ces mémoires qui me sont chères! Voilà ce qu’est la haine!”»

Sauckel était «trempé de sueur et tremblait comme une feuille». Essayant de ne pas croiser le regard de Gilbert, Jodl s’est rendu à sa cellule d’un pas martial et a ensuite déclaré qu’il méritait la peine de mort, mais en aucun cas une pendaison. Seyss-Inquart souriait, mais «il avait beau […] essayer de faire bonne mine, sa voix le trahissait». Frick a haussé les épaules et dit, d’un air indifférent: «Ils vont me pendre. Je ne m’attendais à rien d’autre.»

Prison où les criminels nazis ont été détenus pendant le procès
Prison où les criminels nazis ont été détenus pendant le procès
© Domaine public, USHMM

Speer a ri nerveusement: «Vingt ans! Eh bien, je dois dire que c’est juste. Vous ne me donneriez pas moins, tout bien considéré.» Selon Gilbert, Neurath a simplement «balbutié»: «Quinze ans!»

Les condamnés à mort sont restés dans leurs cellules tandis que les condamnés à la prison ont été transférés dans de nouvelles cellules.

Des oranges en cadeau

Quant aux acquittés, ils avaient des sentiments différents. Selon les observations de Gilbert, Fritzsche «présentait les symptômes d’une véritable dépression nerveuse: il était simplement abasourdi et tellement épuisé par les événements de ces deux jours qu’il s’est presque évanoui à cause de vertiges sévères qui l’ont submergé.»

Au contraire, Papen était de bonne humeur, car «il ne s’attendait manifestement pas à une telle issue». Il a décidé d’offrir une orange qu’il avait gardée du déjeuner à von Neurath. Fritzsche a demandé de donner la sienne à von Schirach et Schacht a décidé de garder la sienne pour lui.

Le psychologue militaire américain Gustave Gilbert qui s’est entretenu avec les accusés lors du procès de Nuremberg // Capture d’écran de l’enregistrement du procès Eichmann, EichmannTrialEN

Mais il était trop tôt pour eux pour célébrer leur victoire. «À peine les acquittements prononcés, les autorités civiles allemandes ont annoncé que tous les trois seraient arrêtés et inculpés de crimes contre le peuple allemand. La police de Nuremberg a encerclé le palais de justice pour arrêter immédiatement Fritzsche, Papen et Schacht dès qu’ils tenteraient de quitter le bâtiment», a écrit Gilbert.

Pendant trois jours, les acquittés sont restés en prison de leur plein gré. Papen s’est comparé à un gibier chassé et Fritzsche a désespérément demandé un pistolet au psychologue au cas où il ne pourrait pas supporter ce tourment.

Finalement, tard dans la nuit, deux acquittés ont décidé de partir. Selon les mémoires de Fritzsche, cités par Poltorak, deux camions américains sont entrés dans la cour de la prison. Schacht est monté dans l’un, Fritzsche dans l’autre.

Arkadi Poltorak
© StarCheater / CC BY-SA 4.0

Papen s’est décidé à sortir de prison seulement à la mi-octobre, après un échange avec les autorités des zones d’occupation occidentales en Allemagne.

Mais bientôt, tous les trois ont été de nouveau arrêtés et ont comparu devant un tribunal, allemand cette fois.

La rédaction remercie l’avocat Sergueï Mirochnitchenko, chercheur en droit international, pour son aide dans la préparation de cet article.


Sources:
Arkady Poltorak, L’épilogue de Nuremberg.
Gustave Gilbert, Le Journal de Nuremberg.
Philippe Sands, East West Street: On the Origins of Genocide and Crimes Against Humanity.
Alexandre Zviaguintsev, Le plus grand procès dans l’histoire. Un reportage sur le passé. Faire face à l’avenir.
Mark Raguinski, Nuremberg: devant le tribunal de l’histoire, Souvenirs du participant au procès de Nuremberg.
Tusa A., Tusa J., The Nuremberg Trial.
Weinke A., Die Nürnberger Prozesse.
Hirsch, Francine, Soviet judgment at Nuremberg: a new history of the international military tribunal after World War II.
Priemel K. C., The Betrayal: The Nuremberg Trials and German Divergence.
Editorial: the sentences // The Guardian, 2 Octobre 1946.