Le 16 octobre 1946 marque un tournant longtemps attendu dans l’histoire du Troisième Reich et du procès de Nuremberg. Les accusés condamnés à mort ont connu leur fin. Découvrez la chronique de leurs dernières heures dans cet article du projet Nuremberg. Le début de la paix. Notez que cette publication contient un contenu choquant: les illustrations présentées dans le diaporama sont des photographies posthumes des personnes exécutées.

Grâce impossible

Douze accusés ont été condamnés à mort, dont par contumace Martin Bormann. Le verdict n’a pas été une surprise pour les intéressés. Mais leurs voisins du bloc des accusés, eux, ont été choqués d’apprendre qu’ils avaient évité la potence. Dès le 31 août, tous les condamnés ont fait leurs dernières déclarations au tribunal. Seuls Hans Frank et Arthur Seyss-Inquart ont ouvertement reconnu leur culpabilité. Les autres ont soit affirmé n’avoir rien su des crimes et n’avoir rien eu à voir avec ceux-ci, soit déclaré avoir été forcés d’exécuter des ordres.

Wilhelm Keitel a demandé à remplacer la pendaison par un peloton d’exécution. Son appel a été rejeté.
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Les 9 et 10 octobre, lors d’une réunion d’urgence à Berlin, le Conseil de contrôle allié a examiné les appels des accusés. Parmi les condamnés à mort, seul Ernst Kaltenbrunner n’a pas plaidé la communion de sa peine, bien qu’au procès il ait été le seul à affirmer avoir combattu le nazisme au mieux de ses capacités et à avoir osé désobéir aux ordres d’Hitler. Les autres ont demandé la grâce. Les avocats d’Hermann Göring, Julius Streicher et Hans Frank l’ont fait sans le consentement de leurs clients et l’avocat de Martin Bormann l’a demandé en l’absence de son client. Göring, Wilhelm Keitel et Alfred Jodl ont par ailleurs demandé qu’en cas de refus de la grâce la pendaison soit remplacée par un peloton d’exécution, considéré comme plus «noble».

Toutes ces demandes ont été rejetées par la Commission de contrôle alliée, tout en octroyant à Bormann le droit d’en soumettre une autre dans les quatre jours suivant son arrestation. Les représentants français et américains au Conseil étaient d’accord pour fusiller Jodl, mais pas Göring ni Keitel. Et comme les représentants soviétiques et britanniques se sont opposés à ce geste symbolique envers Jodl, le verdict est également resté inchangé sur ce point.

Dans un premier temps, la possibilité d’organiser les exécutions à Berlin a été discutée. Toutefois, il a finalement été décidé d’exécuter les condamnés à Nuremberg même, pour des raisons de sécurité, mais aussi pour s’assurer que le lieu de mort des dirigeants nazis ne devienne plus tard un lieu de culte et d’adoration.

Les délégations française et américaine étaient prêtes à remplacer la pendaison par un peloton d’exécution pour Alfred Jodl, mais les parties britannique et soviétique s’y sont opposées. Le verdict a finalement été confirmé.
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«Le procès est terminé. Nous, journalistes, n’avons plus rien à faire ici. Mais la presse ne veut pas partir, se souvenait l’écrivain soviétique Boris Polevoï dans son livre Au bout du compte. Toutes les pièces du camp de presse sont occupées, on manque de places dans le réfectoire, il y a une bousculade au comptoir du bar. La liste des cocktails affichait en rouge une nouvelle œuvre de David [barman] appelé "John Woods"».

L’heure de gloire du bourreau

Selon Polevoï, John Woods, sergent de l’armée américaine qui s’est porté volontaire pour exécuter la sentence du tribunal de Nuremberg, est devenu «la nouvelle célébrité du camp de presse»: «J’ai vu Woods: c’est un gars pas très grand et massif avec un long nez charnu et crochu et un triple menton. Il distribue allègrement des autographes et donne des interviews, sourit et pose pour les caméras. Un journaliste astucieux a même réussi, on ne sait comment, à le photographier avec un rouleau de corde retors. Cette affaire dont il s’est chargé est nécessaire et utile».

Nuremberg se trouvant en zone américaine, le bourreau devait être américain, et au vu des spécificités du procès, il devait aussi être militaire. John Woods, 43 ans, ne l’était pas: il a été enrôlé en urgence, rapidement promu au rang de sergent-chef et envoyé à Nuremberg par un vol spécial. Malgré son expérience strictement civile, Wood était probablement le spécialiste le plus sérieux dans son métier aux États-Unis. Maître de son art, il a passé sa vie à réaliser des exécutions à San Antonio, au Texas. En 1946, le nombre d’exécutions qu’il avait effectuées en 15 ans s’élevait à 347. On disait qu’il n’était pas cruel et qu’il utilisait habituellement des techniques spéciales pour adoucir les derniers instants des victimes: dès que le support s’effondrait sous le pendu, il tirait ce dernier par les jambes avec son poids afin de provoquer la rupture des vertèbres cervicales. Woods n’avait cependant pas l’intention d’appliquer ce tour de passe-passe miséricordieux au procès de Nuremberg.

Onze dirigeants nazis condamnés à mort par pendaison par le tribunal militaire international. Au centre: le sergent-chef de l’armée américaine John Wood, bourreau.
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Любопытно, что со стороны "местных" Вуда консультировал немецкий коллега — палач Иоганн Баптист Райхарт, до того прекрасно устроившийся по специальности в рейхе и казнивший сотни, если не тысячи людей, приговоренных к смерти нацистским режимом.

Fait curieux: du côté allemand, Woods était conseillé par un collègue allemand, Johann Baptist Reichardt, qui avait exercé comme bourreau dans le Troisième Reich en exécutant des centaines, voire des milliers, de personnes condamnées à mort par le régime nazi.

Le dernier reportage

Seulement trois jours plus tôt, des gardes américains y jouaient au basketball. Le gymnase dans la cour de la prison de Nuremberg devait désormais être le théâtre de l’exécution des «plus grands héros du Reich millénaire». La salle étant petite, seul un nombre limité de journalistes a été autorisé à y entrer, soit huit, deux de chacune des puissances alliées. «Nous, la presse soviétique, n’avons eu droit qu’à deux sièges: pour un chroniqueur et pour un photojournaliste, a raconté Polevoï. D’un commun accord, ces places ont été attribuées au correspondant de l’agence TASS, Boris Afanasiev, journaliste sérieux et cultivé, qui avait été présent à Nuremberg pendant les neuf mois du procès, et au photoreporter de la Pravda, Viktor Temine, qu’il était impossible de ne pas y envoyer, car en cas de refus il aurait pu mourir d’un infarctus.»

C’est d’après les paroles de Temine que Polevoï a décrit les exécutions, reprenant ses propos mot à mot et excluant «seulement certains détails naturalistes et nettoyant le langage des épithètes figuratives, trop salées».

«Nous nous sommes réunis, et ce même colonel [Burton] Andrews [commandant du palais de justice de Nuremberg] nous a accueillis au tribunal, dans une salle spéciale où nous n’avions pas été autorisés à entrer auparavant. Et ce même Andrews nous a dit de ne pas bouger de nos sièges pendant l’exécution, de ne pas parler et de garder le silence», a raconté Temine à Polevoï.

Le bloc de la prison de Nuremberg où étaient détenus les criminels de guerre dans l’attente de leur jugement.
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Les journalistes ont descendu les escaliers jusqu’aux cellules des prisonniers: «Nous avons vu ce qu’était la prison. Même moi, je n’y étais jamais allé. C’était intéressant: un couloir, des portes de chaque côté, des serrures complexes et des lampes qui éclairent l’intérieur des cellules. Et, comme il se doit, des œilletons: "Allez, regardez, messieurs les journalistes...". Je ne sais pas si ces 11 personnes savaient qu’elles étaient foutues aujourd’hui, mais il n’y avait pas d’agitation dans les cellules. Certains lisaient, d’autres écrivaient quelque chose. Ribbentrop, semble-t-il, parlait à un prêtre, et l’un d’eux devait se brosser les dents en se préparant à se coucher...»

Après l’extinction des feux, le colonel Andrews a conduit les journalistes à travers la cour de la prison, éclairée par des lanternes, dans le bâtiment du gymnase. «C’est vide là-dedans. Trois échafaudages verts, comme de grandes boîtes ou quelque chose comme ça, a décrit Temine. Des marches y mènent, j’en ai compté 13, et des nœuds coulants tombent. Devant les échafauds, il y a des sièges pour les représentants des quatre armées. Au fond, il y a des bancs pour les interprètes. Et pour nous, pour la presse, il y a des tables spéciales. Quatre tables. Boris Vladimirovitch Afanasiev et moi avons choisi l’une d’entre elles».

Sur les blocs de fonte étaient suspendus de nouveaux câbles épais de manille qui pouvaient supporter plus de 200 kilos. Le fondement de l’échafaud, haut de plus de deux mètres, était recouvert d’une bâche. Sous chaque potence se trouvait une trappe avec deux volets qui pouvaient être ouverts en actionnant un levier.

La première exécution

Whitney R. Harris, de l’équipe du procureur en chef américain Robert Jackson, a représenté son patron lors des exécutions. À son retour, il a décrit dans un rapport toute la procédure en détail, presque minute par minute.

À 21h30, les journalistes ont été autorisés à visiter les cellules et à observer les condamnés. Fritz Sauckel faisait nerveusement les cent pas, Joachim von Ribbentrop parlait à l’aumônier, Jodl écrivait une lettre et Göring dormait ou faisait semblant de dormir, les mains sur sa couverture, en suivant la règle.

Le tribunal militaire international a condamné à la peine de mort par pendaison 12 principaux criminels de guerre: Hermann Göring, Joachim von Ribbentrop, Wilhelm Keitel, Ernst Kaltenbrunner, Alfred Rosenberg, Hans Frank, Wilhelm Frick, Julius Streicher, Fritz Sauckel, Arthur Seyss-Inquart, Alfred Jodl et Martin Bormann (par contumace).
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À 22h45, le suicide de Göring a perturbé le cours des événements. Il a fallu élucider les circonstances de sa mort et transporter le corps pour autopsie.

À 23h45, le dernier dîner a été servi à tous les condamnés. Au choix: des saucisses avec salade de pommes de terre ou des crêpes avec des fruits. Certains des condamnés à mort qui s’étaient endormis ont été réveillés. La mort de Göring, qui s’est suicidé une heure plus tôt, n’a pas été annoncée, mais pour cette raison, le début de l’exécution a dû être reporté et le programme légèrement modifié. Aucun de ses anciens collègues n’a su que le nazi numéro deux leur avait rendu un dernier service en leur accordant quelques minutes supplémentaires à vivre, ou peut-être qu’il s’était moqué d’eux en prolongeant l’attente.

Avec le suicide de Göring, Ribbentrop était devenu le premier sur la liste. Vers une heure du matin, dans sa cellule, le colonel Andrews a lu une nouvelle fois le verdict. Ribbentrop a été menotté et conduit au lieu d’exécution, puis les menottes ont été remplacées par une corde noire et deux soldats de la police militaire l’ont escorté sur les 13 marches de l’échafaud. Ils l’ont mis sur la trappe, lui ont attaché les jambes, lui ont demandé de s’identifier et lui ont donné la possibilité de faire une dernière déclaration. Il est intéressant de noter que, selon certains témoignages, Ribbentrop était quasiment prostré, tandis que d’autres disaient qu’il était ferme, rassemblant ses dernières forces. Quoi qu’il en soit, après sa dernière déclaration, John Woods lui a mis un bonnet noir et passé une corde autour du cou qu’il a serrée.

Temine se souvenait de cette première exécution comme suit: «Nous entendons: "Göring, Göring..." Qu’est-ce qui lui est arrivé? Il s’est enfui ou quoi? Mais il n’y avait personne à qui demander. Ribbentrop est traîné par les bras. Il semble ne pas être lui-même du tout. Il doit être devenu fou de peur. Ils l’ont emmené à l’échafaud. Ils l’ont mis sous le nœud. Un prêtre s’est approché de lui et lui a murmuré quelque chose. Ce même sergent John Woods lui a mis le bonnet, puis le nœud coulant, puis a actionné le levier...»

Des potences installées dans le gymnase de la prison.
© AP Photo, Peter J Carroll

Ensuite, Keitel a été pendu. Joseph Kingsbury-Smith, correspondant de l’International News Service, a partagé ses impressions dans son reportage du 16 octobre: «Quand von Ribbentrop et Keitel ont été suspendus à leurs cordes, il y a eu une pause. Le colonel américain chargé des exécutions a demandé au général américain si les personnes présentes pouvaient fumer. Après une réponse affirmative, des cigarettes sont apparues dans les mains de la quasi-totalité de la trentaine de personnes présentes. Les officiers et les militaires faisaient les cent pas nerveusement ou échangeaient quelques mots à voix basse, tandis que les correspondants alliés griffonnaient furieusement [...]. Quelques minutes plus tard, un médecin de l’armée américaine accompagné d’un médecin de l’armée soviétique, avec des stéthoscopes, se sont approchés du premier échafaud, ont soulevé le rideau et ont disparu à l’intérieur. Ils sont sortis à 1h30 du matin et ont parlé au colonel américain. Le colonel s’est tourné vers les témoins officiels et a annoncé: "Cet homme est mort". Puis deux soldats sont apparus avec un brancard qui a été poussé à l’intérieur de l’échafaud. Le bourreau a monté les marches de la potence, a tiré un grand couteau de son étui fixé à son flanc et a coupé la corde. Le corps mou de von Ribbentrop, avec une capuche noire sur la tête, a été déplacé à l’extrémité de la pièce et placé derrière un rideau de toile noire. Tout cela a pris moins de 10 minutes. Le colonel s’est tourné vers les témoins et a dit: "Messieurs, veuillez éteindre vos cigarettes."»

À tour de rôle

La première pendaison a duré environ une demi-heure, puis le bourreau et ses assistants se sont précipités pour ne pas faire traîner les choses: un autre condamné a été amené alors que le précédent était encore suspendu. Au départ, il n’était pas prévu de lier leurs mains, mais le suicide de Göring a entraîné cette décision. Désormais, les condamnés étaient conduits de leur cellule au gymnase, les mains menottées dans le dos, puis à l’approche de la potence, les menottes étaient remplacées par une corde, qui n’était retirée qu’une fois le nœud passé autour du cou.

Après avoir donné leur nom, «les condamnés devaient monter 13 marches en bois jusqu’à une plate-forme à 2,5 mètres du sol. Les cordes étaient attachées à des poutres soutenues par deux poteaux. Le pendu tombait à l’intérieur de la potence, dont le fond était recouvert d’un rideau d’un côté et de planches de bois sur trois autres côtés pour empêcher quiconque de voir les derniers moments des condamnés à mort», a raconté Boris Polevoï.

Cette chaîne – où le cadavre de l’un était retiré du nœud et un autre condamné préparé pour la pendaison – était probablement le dernier rappel aux condamnés que des millions de personnes avaient fait la queue pour le peloton d’exécution, la chambre à gaz, le crématorium et la potence. L’exécution de chacun d’eux, qui avait permis qu’une telle chose se produise il n’y a pas si longtemps, a pris en moyenne 10 minutes. Plus tard, Woods a déclaré fièrement dans une interview que la rapidité du travail était sans précédent par rapport à son expérience antérieure.

«On les a pendus de façon astucieuse, pas comme les hitlériens avaient pendu les nôtres. On met le nœud, on actionne le levier et le criminel tombe par la trappe à l’intérieur de la plate-forme. On ne peut pas le voir suffoquer, on ne voit que la corde qui tremble, a expliqué Temine. Ce Woods a dû s’être entraîné, il était doué: en une heure et demie, il a éliminé les dix, c’était un maître. Lorsqu’ils tombaient, on leur retirait le nœud coulant, le médecin constatait la mort et ils étaient placés derrière un rideau dans des boîtes noires. Puis on mettait une plaque avec un nom sur la poitrine sur chacun.»

Vers minuit (les 15-16 octobre 1946), tous les condamnés ont été réveillés, informés de l’exécution et la sentence de mort a été relue à tous. Les exécutions ont commencé une heure plus tard.
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Malgré tout son professionnalisme, Woods n’aurait pas préparé le lieu d’exécution de la meilleure façon possible, peut-être par manque de temps, ou pour une autre raison. Il n’a pas calculé correctement la longueur des cordes ainsi que la profondeur et la largeur de la trappe. Lorsque les corps tombaient, ils heurtaient les bords de la trappe, ce qui a clairement ajouté de la souffrance. En outre, la méthode choisie par le bourreau avec une trappe et sans soutien supplémentaire était la version la plus brutale de la pendaison: la méthode du «Long Drop» («grande chute»). Selon certains rapports, en raison d’une longueur de corde mal mesurée, par inadvertance ou délibérément, les condamnés sont souvent morts d’une lente asphyxie plutôt que d’une rupture des vertèbres cervicales. Ribbentrop est mort d’asphyxie au bout d’un quart d’heure environ, et la tête du maréchal Keitel, qui a également agonisé pendant un long moment, était couverte de sang après avoir heurté les parois de la trappe.

Dans le livre 1001 morts d’Alexandre Lavrine, les souvenirs du photocorrespondant soviétique sont relatés plus sèchement:

«À 0h55, nous sommes tous, les huit journalistes, escortés vers le lieu d’exécution et nous prenons place contre l’échafaud à une distance d’environ trois ou quatre mètres. Des membres de la commission, des experts médicaux et des agents de sécurité américains entrent. Cinq personnes de chacun des pays alliés – l’URSS, les États-Unis, l’Angleterre et la France – sont présentes, dont un général, un médecin, un interprète et deux correspondants. Tous les autres prennent place à gauche de l’échafaud. À la potence sur l’échafaud, deux soldats américains, un interprète et un bourreau prennent place. Joachim von Ribbentrop est amené en premier [...].

À 1h37, Kaltenbrunner a été amené. Ce monstre était le bras droit d’Himmler. Il a des yeux fuyants et d’énormes mains d’étrangleur [...]. Kaltenbrunner jette un regard suppliant au pasteur. Ce dernier lit une prière. Kaltenbrunner regarde autour de lui, l’œil hagard. Mais le bourreau, impassible, met un bonnet noir sur sa tête. Nous toutes, les 25 personnes présentes lors de l’exécution, des personnes de différents rangs, âges, nationalités, opinions, pensons la même chose à ce moment-là: les auteurs de crimes de guerre doivent être punis sévèrement et sans pitié.»

Les juges du tribunal militaire international le jour de l’énoncé du verdict, le 30 septembre 1946
© AP Photo, Eddie Worth

L’ordre des exécutions était le suivant: Ribbentrop, Keitel, Kaltenbrunner, Rosenberg, Frank, Wilhelm Frick, Streicher, Sauckel, Jodl, Seyss-Inquart.

Boris Polevoï note que la plupart des criminels sur l’échafaud ont gardé une certaine présence d’esprit. «Certains se sont comportés de manière provocante, d’autres se sont résignés à leur sort, mais il y en a qui ont imploré la miséricorde de Dieu. Tous, sauf Rosenberg, ont fait des déclarations courtes. Et seul Julius Streicher a mentionné Hitler.»

Le magazine Time a décrit certaines réactions des condamnés. Par exemple, Keitel est monté sur l’échafaud comme sur une tribune, portant un uniforme parfaitement repassé et des bottes cirées. Streicher a donné l’impression d’être fou et a essayé de donner des coups de pied à Woods et à ses assistants pendant qu’ils serraient le nœud. Sauckel a refusé de mettre son manteau en quittant la cellule. Seyss-Inquart boitait et traînait la jambe et Alfred Rosenberg, l’homme d’État le plus bavard et le philosophe officiel du parti du Troisième Reich, n’a murmuré qu’un seul mot dans ses derniers moments: «Non...».

Le correspondant de l’International News Service, Howard Kingsbury Smith, a également fait part de ses impressions: «Lorsque Ribbentrop a été tourné sur l’échafaud pour faire face aux personnes présentes, il semblait serrer les dents et lever la tête avec l’arrogance d’antan.» «Keitel n’avait pas l’air aussi tendu que von Ribbentrop. Il a relevé la tête alors que ses mains étaient liées et a marché droit vers la potence avec une allure martiale. Lorsqu’on lui a demandé son nom, il a répondu à haute voix et a grimpé sur la potence comme il aurait pu grimper sur la plate-forme d’observation pour saluer les troupes allemandes. Se retournant sur la plate-forme, il a regardé la foule avec l’arrogance et la mâchoire d’acier d’un fier officier prussien. Les témoins s’accordent à dire que Keitel a fait preuve de plus de courage sur l’échafaud que dans la salle d’audience, où il a tenté de rejeter la faute sur le fantôme d’Hitler, affirmant que le Führer était à blâmer et qu’il ne faisait que suivre les ordres et n’était pas responsable.» «Malgré l’athéisme affiché de Rosenberg, il était accompagné d’un aumônier protestant qui l’a suivi jusqu’à la potence et a prié à ses côtés.» «Hans Frank a été le seul des condamnés à entrer dans la salle avec un sourire sur le visage.» Lorsque Streicher est tombé, «la corde s’est tendue et le corps s’est balancé violemment, des gémissements pouvaient être entendus depuis l’intérieur de l’échafaud. Enfin, le bourreau, qui était descendu de la plate-forme de la potence, a soulevé le rideau de toile noire et est entré. Quelque chose est arrivé qui a arrêté les gémissements et la corde. Quand tout était fini, je n’étais pas d’humeur à demander ce que le bourreau avait au juste fait, mais je supposais qu’il avait attrapé le corps qui se balançait et l’avait tiré vers le bas. Nous étions tous convaincus que Streicher avait été étranglé.»

La prison et le palais de justice de Nuremberg où le tribunal militaire international s’est déroulé du 20 novembre 1945 au 16 octobre 1946.
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Whitney R. Harris a également laissé quelques souvenirs des dernières minutes du couloir de la mort dans son rapport au procureur Jackson: «Keitel a parlé comme un soldat prussien», «Kaltenbrunner a parlé sur un ton d’excuse», «Frank a parlé très doucement», «Jodl a parlé à la manière d’un officier s’adressant à ses troupes». (Toutes les dernières déclarations des condamnés sont citées dans notre diaporama).

John Woods a admis plus tard à plusieurs reprises qu’ils étaient «morts en hommes courageux».

À 1h11, Ribbentrop a été amené, à 2h46, Seyss-Inquart est tombé dans la trappe, le cou fracturé. Ceux à cause de qui des millions de personnes avaient agonisé pendant des années sont allés en enfer en moins de deux heures.

Le dernier chemin

Après l’exécution, les journalistes ont été autorisés à inspecter les criminels. À côté des corps des pendus, le cadavre de Göring, qui s’était suicidé, a été placé de manière à occuper une place symbolique sous la potence (il fallait en outre écarter immédiatement les éventuelles rumeurs d’évasion, de substitution et de mise en scène de la mort du nazi numéro deux). «On regarde: qu’est-ce que c’est? 10 d’entre eux ont été pendus, mais il y a 11 corps. Et Göring aussi», se souvient Temine. Les journalistes ont pris une photo de chaque corps, habillé et nu.

Une photographie de Martin Bormann et un crâne découvert à Berlin en 1972 et reconnu comme étant le crâne de Bormann
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Après exécution, chaque cadavre était enveloppé dans un matelas, avec les derniers vêtements et la corde à laquelle la personne avait été pendue, et placé dans un cercueil. «Tous les cercueils étaient scellés [...]. À quatre heures du matin, les cercueils ont été chargés dans les camions de 2,5 tonnes qui attendaient dans la cour de la prison, recouverts d’une bâche et escortés, a raconté Boris Polevoï. Un capitaine américain est monté dans la voiture de tête, suivi de généraux français et américains. Ensuite il y avait des camions et une jeep qui assurait leur protection, avec des soldats spécialement sélectionnés et une mitrailleuse. Le convoi a traversé Nuremberg et, après avoir quitté la ville, s’est dirigé vers le sud.»

À l’aube, les véhicules approchaient de Munich pour se diriger immédiatement vers la périphérie de la ville où se trouvait un crématorium privé. Le propriétaire a été prévenu de l’arrivée des cadavres de «quatorze soldats américains» pour éviter toute suspicion du personnel. Le bâtiment du crématorium a été encerclé, des communications radio ont été établies avec les soldats du cordon en cas d’alerte. Tous ceux qui sont entrés dans le crématorium n’ont pas pu en sortir pour le reste de la journée.

Les cercueils ont été descellés et les corps contrôlés par les officiers américains, britanniques, français et soviétiques qui avaient assisté à l’exécution. La crémation a alors commencé et duré toute la journée. Dans la soirée, le conteneur contenant les cendres a été sorti du crématorium en voiture. Selon certains rapports, les cendres ont été dispersées dans le vent depuis un avion. Selon d’autres informations, elles ont été jetées depuis un pont dans l’Isar à Munich. Il n’existe pas de données précises sur cette dernière action qui s’est déroulée dans le plus grand secret: il a été décidé d’éliminer la moindre possibilité que des partisans et admirateurs potentiels des nazis créent un lieu de culte pour les grands bonzes exécutés du Troisième Reich.

John Woods. Postface

En 1948, John Woods sera une fois de plus appelé à administrer une justice aux proportions historiques: il pendra sept criminels de guerre japonais dans la prison de Sugamo à Tokyo. Sa notoriété durera un certain temps. Le bourreau fera d’ailleurs preuve d’une habilité remarquable pour y parvenir. Les journaux du monde entier diffuseront des photos de Wood posant fièrement avec une corde nouée à sa manière habituelle, soit avec 13 nœuds. Il vendra des «cordes de Nuremberg» à la pièce et les acheteurs ne penseront jamais à faire le calcul le plus simple: si ces morceaux faisaient vraiment partie de la corde utilisée pour la pendaison, elle serait assez longue pour des dizaines d’hommes exécutés.

Vue aérienne du palais de justice et de la prison de Nuremberg.
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Dans une interview, il a déclaré: «Je suis fier d’avoir pendu ces dix nazis. Je n’étais pas nerveux: vous ne pouvez pas vous permettre d’être nerveux dans un tel cas. Je veux dire un mot pour les soldats qui m’ont aidé, ce serait bien pour eux d’avoir une promotion. C’était un travail que quelqu’un a dû bien faire.»

Mais un an et demi après la dernière exécution à Tokyo, John Woods est mort dans des circonstances étranges qui ont suscité de nombreuses rumeurs. Selon une version, il s’est électrocuté en réparant des câbles chez lui. Mais il existe une autre version selon laquelle le bourreau progressiste, désireux de marcher avec son siècle, a décidé de tester une chaise électrique de sa propre conception. Il s’est assis dessus, y a attaché des électrodes et, pour s’amuser, a demandé à son assistant de mettre le courant. Sans réfléchir, l’assistant l’a fait.

Sans gloire

Tous les journaux du monde ont rendu hommage à la conclusion logique, tant attendue, du principal procès du siècle: certains avec des nouvelles sèches, d’autres avec un article émouvant d’une page, voire plus. La plupart des journaux occidentaux ont basé leur reportage sur un rapport détaillé de l’International News Agency, ajoutant autant de détails qu’ils le souhaitaient. Tous les kiosques à et les librairies vendaient des journaux aux titres criants: «La fin des nazis» et «Le nazisme anéanti» dans le New York Times, «L’heure du pendu» dans le Chicago Daily Tribune... Les journaux soviétiques s’appuyaient principalement sur le communiqué discret du correspondant Viktor Temine.

Rapports sur l’exécution des accusés du procès de Nuremberg dans  Pravda.

Les rapports triomphants sur l'exécution des plus grands méchants de l’histoire du XXe siècle étaient entrecoupés de pronostics alarmants. Ainsi, le correspondant du Daily Express a écrit depuis Nuremberg: «Je crains que la prison de Nuremberg n’ait donné naissance à une nouvelle légende de guerriers teutoniques héroïques». Et de commenter le ton général des discours d’adieu: «Examinons de plus près ce thème "Dieu sauve l’Allemagne et la rend grande une fois de plus" qui constituait l’essence des dernières déclarations de tous les pendus. Et, surtout, considérons le dernier défi de Göring.»

Un détail extrêmement curieux a été donné le 28 octobre 1946 par le Time dans le grand reportage «La Nuit sans l’Aube» sur la procédure et les détails des exécutions. Au moment même où le tumulte provoqué par le suicide de Göring a commencé dans la prison, «près du vieux château impérial de Nuremberg, un groupe d’enfants allemands a accroché une photo de Göring. Ils ont ensuite brûlé les échafauds improvisés et ont marché en silence autour du feu, le regardant projeter des ombres étranges parmi les ruines.»

Le psychologue Gustave Gilbert, dont la longue veille et la surveillance 24 heures sur 24 des accusés ont finalement pris fin, a écrit dans son journal: «Le lendemain de l’exécution du dernier des plus hauts Führers nazis, j’ai demandé à un avocat allemand ce que le peuple allemand pensait de cette fin ignominieuse du Troisième Reich. Après une courte pause, il m’a répondu: "Pour vous dire la vérité, ils pensent ce qu’ils sont censés penser. Si l’on apprend soudainement que son interlocuteur soutient toujours les nazis, il dira: ‘N’est-ce pas une honte que les vainqueurs se vengent ainsi de nos Führers! Eh bien, ce n’est pas grave, ils auront le leur!’ Ceux qui ont compris que le nazisme ne leur a apporté que la destruction, le désespoir et la pauvreté, triomphent: ‘Bien fait pour ces crapules! Mais la mort est une punition trop légère pour eux!’ Vous savez, docteur, j’ai bien peur que ces 12 années d’hitlérisme aient brisé notre peuple en termes de morale."»


Sources:
Boris Polevoï, Au bout du compte.
Bradley F. Smith. The road to Nuremberg.
Description of the Executions of the Major War Criminals. Famous Trials.