Lors du procès de Nuremberg, les procureurs, les accusés, les avocats et les témoins se trouvaient au centre de l’attention alors que les juges sont restés dans l’ombre. Mais ce sont eux qui, le 1er octobre 1946, ont rendu une décision qui est aujourd’hui considérée comme une référence. Voici ceux qui ont incarné la justice internationale face au nazisme.
Six en toge et deux en uniforme militaire
Qui étaient les personnes qui ont rendu le plus grand verdict de l’Histoire?
Dans la salle, sous les drapeaux des quatre puissances (URSS, États-Unis, Royaume-Uni et France), étaient alignés des sièges pour les membres du tribunal militaire international.
Le choix des juges pour le tribunal militaire international de Nuremberg était une tâche ardue pour les pays vainqueurs. Il était nécessaire de sélectionner des personnes possédant non seulement une grande expérience et de l’autorité, mais aussi la connaissance du droit international et des langues étrangères, ainsi que des compétences en communication avec la capacité de trouver des compromis.
Francis Biddle, juge américain. Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication.
Les États-Unis ont envoyé à Nuremberg l’ancien procureur général Francis Biddle. Il se distinguait non seulement par sa solide expérience professionnelle (il a exercé en tant qu’avocat depuis 1911), mais aussi par ses principes. Il était le seul haut fonctionnaire de l’administration Franklin Roosevelt à s’être opposé à l’internement des Américains d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, puis à exiger leur libération. «La pratique actuelle consistant à détenir des citoyens américains loyaux dans des camps de concentration [...] est dangereuse et contraire aux principes de notre politique», a-t-il déclaré au Président Roosevelt.
Cependant, Biddle n’a pas hésité à poursuivre les socialistes et autres militants de gauche, ainsi que les syndicalistes. Cela a attiré les critiques des défenseurs américains des droits de l’homme. Comme se souvenait le secrétaire de la délégation soviétique, Arkadi Poltorak, pendant le procès, Biddle «s’est comporté de façon très active, posant souvent des questions aux accusés et aux témoins». L’un des accusés, Franz von Papen, a qualifié Biddle de «meilleure garantie d’un verdict équitable».
Francis Biddle et John Parker, juges américains.
Un autre juriste expérimenté, John Parker, juge de Caroline du Nord, était le suppléant de Biddle. Les juges suppléants à Nuremberg avaient un vote consultatif, c’est-à-dire qu’ils ne pouvaient pas voter sur des questions importantes, mais participaient activement à la discussion de celles-ci, avaient le droit de poser des questions aux témoins et avançaient souvent des idées très précieuses.
Juges britanniques: Norman Birkett et Geoffrey Lawrence, président du tribunal.
Le Royaume-Uni était représenté par Geoffrey Lawrence de la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles. Il n’était pas la figure la plus brillante de la justice britannique: comme on dit, il n’a pas inventé le fil à couper le beurre. Mais Lawrence était exemplaire dans la conduite des débats, formulait des jugements de manière impartiale et n’avait pas d’ennemis. Geoffrey Lawrence détenait les titres de baron Oaksey et de baron de Trevethin.
Sir Norman Birkett, juge britannique.
Le deuxième juge suppléant britannique, sir Norman Birkett, était considéré comme un juriste beaucoup plus brillant. Avant le procès de Nuremberg, il avait été avocat, homme politique et enfin juge. Sa nomination comme juge suppléant de Lawrence a été un peu blessante pour son amour propre. Néanmoins, il a apporté une contribution majeure au travail du tribunal: c’est lui qui a rédigé la majeure partie du verdict. Mais au Royaume-Uni, son travail n’a pas été tout de suite apprécié: n’ayant obtenu aucune récompense, Birkett a traversé une période de dépression de plusieurs mois. Douze ans plus tard, sir Birkett a reçu le titre de baron et un siège à la Chambre des lords, où il a activement travaillé jusqu’à sa mort.
Henri Donnedieu de Vabres, juge français.
Le gouvernement de Charles de Gaulle a envoyé à Nuremberg Henri Donnedieu de Vabres, professeur des universités et excellent spécialiste du droit pénal. Lors du procès, il a cherché à adopter une position centriste et à devenir une sorte de «colombe de la paix». Donnedieu de Vabres jugeait la position de la délégation soviétique trop dure et la volonté des États-Unis de dominer le processus au détriment des ressources professionnelles, financières, matérielles et techniques, trop dangereuse. Le juge français s’est opposé au grief de crimes contre la paix, a estimé qu’il était incorrect de condamner un militaire pour l’exécution d’un ordre et que la meilleure façon d’exécuter la peine de mort serait de fusiller les condamnés. Sur ces points-là, il n’a pas trouvé de soutien.
Le 18 octobre 1945, lors d’une réunion à Berlin, le tribunal militaire international a adopté l’acte d’accusation signé par les procureurs en chef de l’URSS, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. De gauche à droite: John Parker et Francis Biddle, juges pour les États-Unis; Alexandre Voltchkov et Iona Nikitchenko, juges pour l’URSS; Henri Donnedieu de Vabres et Robert Falco, juges pour la France; Geoffrey Lawrence, président du tribunal, et Norman Birkett, juges pour le Royaume-Uni.
Donnedieu de Vabres avait pour juge suppléant Robert Falco, conseiller à la Cour de cassation, l’un des auteurs de la Charte du tribunal militaire international. Fort de quarante ans d’expérience, Falco a dû prendre sa retraite en 1944, lorsque les autorités d’occupation allemandes ont su qu’il avait des origines juives. Moins d’un an plus tard, il a eu la chance de prendre sa revanche sur les nazis. Pendant le procès, Falco a pris des notes qui ont servi ensuite pour rédiger ses souvenirs qui toutefois n’ont été publiés qu’en 2012.
Le général de division Iona Nikitchenko, juge pour l’URSS au tribunal international de Nuremberg, et secrétaire de la représentation soviétique.
L’Union soviétique a envoyé Iona Nikitchenko, vice-président de la Cour suprême de l’URSS, au tribunal militaire international. Avant le procès, le juge soviétique a participé à l’élaboration de la Charte du tribunal, en insistant sur la conjugaison des côtés les plus forts du droit anglo-saxon, d’une part, et du droit continental, d’autre part. En cela, sa position coïncidait souvent avec l’opinion de Robert Falco. En conséquence, il a été possible de trouver des compromis et de valider de nombreuses propositions faites par la délégation soviétique.
Au cours du procès, Nikitchenko, en tant que représentant du pays le plus touché par le nazisme, a défendu la position la plus dure concernant le sort des accusés. Après l’énoncé du verdict, il a exprimé une opinion divergente, dans laquelle il a rejeté certains points qu’il jugeait trop cléments. Bien que le texte de l’opinion divergente ait été convenu avec le Kremlin, il se distingue par ses formulations juridiques claires, une argumentation détaillée et l’absence de rhétorique de propagande. Dix ans après le procès, Nikitchenko s’est vu présenter les accusations liées à sa participation à des procès politiques contre les «ennemis du peuple» à la fin des années 1930. Beaucoup de ceux qui avaient été condamnés à mort par lui (de telles condamnations avaient souvent été prononcées par Nikitchenko par téléphone) ont été réhabilités. Cependant, le rôle du juge soviétique au procès de Nuremberg n’a jamais été remis en cause.
Le général de division Iona Nikitchenko et le lieutenant-colonel Alexandre Voltchkov, membres du tribunal militaire international pour l’URSS, examinent les documents d’accusation.
Nikitchenko était assisté par Alexandre Voltchkov, qui a participé au procès grâce à son excellente connaissance du droit international et de la langue anglaise. Avant la guerre, il était diplomate et enseignant. Pendant la Grande Guerre patriotique, il a été parmi les praticiens de la justice militaire. Comme Nikitchenko, Voltchkov était partisan de la position dure.
Quatre juges du tribunal international de Nuremberg, 15 octobre 1945. De gauche à droite: Henri Donnedieu de Vabres (France), Francis Biddle (États-Unis), président du Tribunal Geoffrey Lawrence (Royaume-Uni) et Iona Nikitchenko (URSS).
Avant le début du procès, s’est posée la question de la personne qui prendrait la place du président. Dans les tribunaux internationaux, il y avait une coutume de présidence tournante, mais une telle approche n’aurait pas permis de maintenir un style uniforme de conduite des débats. Les Américains et les Britanniques ne voulaient pas voir un juge soviétique comme président. Francis Biddle se voyait bien président et avait même apporté avec lui le marteau offert par Roosevelt, mais son compatriote Robert Jackson était déjà le premier violon de l’accusation.
En conséquence, Biddle, avec le soutien de Donnedieu de Vabres, a offert le poste de président à Lawrence. Lorsque Nikitchenko, qui n’était pas au courant de ces accords en coulisses, a proposé la candidature de Biddle, celui-ci a refusé poliment en faveur de l’Anglais tout en proposant au juge soviétique de présider les audiences préliminaires à Berlin. Cette décision convenait à tout le monde.
Autodiscipliné, diplomate et ponctuel, Lawrence s’est avéré être un très bon président. Il n’a jamais élevé la voix, mais s’est comporté de manière cohérente et ferme, de sorte que personne ne remettait en question son autorité. Quant au marteau de président, Biddle l’a offert à Lawrence. Mais quelques jours après le début des audiences publiques, le marteau a disparu: il aurait été volé par des journalistes pendant une pause. On dit qu’un marteau identique a été fabriqué à partir de photographies et que le président ne l’a plus jamais laissé sans surveillance.
Bureau des juges au tribunal de Nuremberg. De gauche à droite: Alexandre Voltchkov (URSS), Iona Nikitchenko (URSS), Norman Birkett (Royaume-Uni), Geoffrey Lawrence (Royaume-Uni, président du tribunal), Francis Biddle (États-Unis), John Parker (États-Unis), Henri Donnedieu de Vabres (France), Robert Falco (France).
Les juges ont également discuté des vêtements qu’ils devraient porter pendant le procès. La délégation soviétique insistait pour que les membres d’un tribunal militaire portent des uniformes militaires, comme il est d’usage partout dans le monde. Les juges occidentaux préféraient les toges, qu’ils disaient être «plus conformes [...] à la raison et à la dignité». Mais Iona Nikitchenko a protesté contre les «robes médiévales». Finalement, les juges ont permis à chacun de porter ce qu’il trouvait juste. Personne n’a porté de perruque.
Réception chez le général de division Iona Nikitchenko, représentant du tribunal pour l’URSS. De gauche à droite: Alexandre Voltchkov, Geoffrey Lawrence, Iona Nikitchenko, Norman Birkett.
Les membres du tribunal se rencontraient non seulement lors de sessions mais aussi dans un cadre informel.
De gauche à droite: Oleg Troïyanovski, interprète; Arkadi Poltorak, secrétaire de la représentation de l’accusation soviétique; président du tribunal Geoffrey Lawrence, représentant du Royaume-Uni; général de division Iona Nikitchenko, représentant du tribunal pour l’URSS; Norman Birkett, représentant du Royaume-Uni; Alexandre Voltchkov, représentant du tribunal pour l’URSS, et autres.
Le verdict du tribunal de Nuremberg est discuté dès l’été 1946, alors que le procès était encore en cours. Le verdict final a été le résultat d’un compromis sur quasiment chacun des griefs et chacun des accusés.
Bien que les procureurs, à l’exception de Jackson, aient exigé la peine de mort pour tous les accusés, les juges ne prévoyaient pas au départ une décision aussi sévère. C’est un autre point qui a constitué une pierre d’achoppement: la réclusion à perpétuité pour Rudolf Hess, l’acquittement de trois accusés et la non-reconnaissance comme organisations criminelles du cabinet des ministres impérial, de l’état-major et du haut commandement de l’armée allemande (Wehrmacht). Concernant ces points-là, Iona Nikitchenko a exprimé une opinion divergente.
Salle d’audience du tribunal de Nuremberg.
Malgré la différence des systèmes juridiques et des idéologies, les contradictions entre les pays vainqueurs et le déclenchement de la guerre Froide, les membres du tribunal militaire international de Nuremberg ont pu élaborer un verdict cohérent, équilibré et soigneusement motivé. Le texte de la décision est devenu une référence et a constitué la base de la jurisprudence d’après-guerre dans le monde entier et ce, grâce au travail de tous les juges du tribunal.