Le projet Nuremberg. Le Début de la paix, en collaboration avec la maison d'édition EKSMO, continue de publier des extraits du livre de Philipp Gut Témoin du siècle. Ben Ferencz, défenseur de la paix et dernier participant vivant aux procès de Nuremberg.

Juriste de légende, le plus jeune procureur du tribunal international de Nuremberg a initié et mené la plus grande affaire de massacres: le procès des Einsatzgruppen. Découvrez comment sont tombées entre ses mains les preuves, à savoir des rapports scrupuleux rédigés par les nazis eux-mêmes sur l’élimination d’Untermenschen, principalement dans les territoires occupés de l'URSS.

Jusqu'au printemps 1947, Ben Ferencz analyse les documents à sa disposition, dresse la liste des meurtriers et calcule le nombre monstrueux de morts à l’aide d’un compteur mécanique. Puis il signale la découverte sensationnelle à son chef, Telford Taylor, procureur en chef des États-Unis, et exige un nouveau procès. Au début, il ne rencontre pas le même enthousiasme: Taylor se plaint de l'épuisement des ressources du Pentagone pour conduire de nouveaux procès, et qu’en Allemagne, le tribunal ait de moins en moins de soutien. Néanmoins, Ben continue à insister et est prêt à assumer tout le travail en plus de ses fonctions. C’est ainsi qu’il devient procureur en chef du plus grand procès pour meurtres jamais organisé dans l'Histoire. Il est également le plus jeune procureur: lors de cette première affaire de sa carrière, il a 27 ans.

Ben Ferencz, le plus jeune procureur du tribunal international de Nuremberg, a initié et mené la plus grande affaire de massacres: le procès des Einsatzgruppen
© benferencz.org

Au début, il s’apprête à inculper les principaux représentants de la SS des sphères de la sécurité, du renseignement et de la police, mais ne disposant pas d’assez de ressources, il doit se concentrer sur les criminels faisant partie des Einsatzgruppen.

CHAPITRE 5. PROCÈS

Sélection des accusés

La première étape de la préparation du procès consistait à assurer la sécurité des dossiers contenant les «rapports sur les événements». Les documents ont été scellés dans un sac portant la mention «US Mail» et emmenés au Centre de dépôt de documents de Berlin (CDD) dans le quartier de Zehlendorf. Le CDD était situé dans une salle souterraine, qui, pendant la guerre, avait servi de station d'écoute du ministère de l'Aviation du Reich dirigé par Göring, et où étaient désormais conservés les documents de l'ère nationale-socialiste, collectés dans le cadre des procès de Nuremberg. En plus des dossiers personnels des employés de la SS, de la correspondance et d'autres documents, les cartes d'identité des membres du NSDAP y étaient gardées.

Ensuite, il a fallu comparer les preuves documentaires avec les témoignages des criminels qui se trouvaient en vie et en détention. En fin de compte, ils étaient les seuls qui pouvaient être tenus responsables. Mais qui Ben devait-il inculper? Au total, environ trois mille membres des Einsatzgruppen avaient presque quotidiennement tué des hommes, des femmes et des enfants sans défense. Il était impossible de traduire en justice tous les suspects.

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Néanmoins, Ben et son équipe ont réussi à dresser une liste presque complète des membres des Einsatzgruppen. Des copies de ces documents ont été envoyées à tous les camps de prisonniers de guerre alliés avec la demande de signaler la présence de suspects et de les transférer à Nuremberg. Certains des chefs de la SS étaient déjà là; ils avaient été arrêtés en premier. Le nombre de meurtriers de masse pouvant être inculpés dépendait, outre des ressources financières qui étaient limitées, de l'aménagement de la salle d'audience du palais de justice de Nuremberg. Dans aucun des douze procès, plus de vingt-quatre accusés n'ont pu comparaître devant le tribunal, pour la simple raison qu'il n'y avait que vingt-quatre sièges dans le bloc des accusés. Malheureusement, de nombreux poissons, y compris certains des plus gros, se sont inévitablement échappés, explique Ben. Au départ, les organisateurs des procès de Nuremberg n'avaient qu'une tâche: poursuivre un petit groupe des plus grands criminels nazis. «Était-ce juste?» demande Ben. Et il répond lui-même: «J'ai sélectionné vingt-quatre suspects à inculper. Je pourrais prouver la culpabilité de trois mille criminels. Où est la justice? Ce n'était pas la justice. C'était une sélection, un exemple à montrer au monde de ce qu’il s'était passé et la possibilité de traduire certains des responsables en justice.» Malheureusement, la justice n'est pas toujours parfaite.

Les juges du neuvième tribunal militaire de Nuremberg (de gauche à droite): John J.Speight, Michael A.Musmanno, juge président, et Richard D.Dixon / US Army, USHMM
Les juges du neuvième tribunal militaire de Nuremberg (de gauche à droite): John J.Speight, Michael A.Musmanno, juge président, et Richard D.Dixon / US Army, USHMM
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En plus de ces restrictions, il a défini deux critères de sélection des accusés: ancienneté et éducation. Les hommes simples et peu instruits étaient plus susceptibles de ne pas être sélectionnés, parce que la responsabilité commence au sommet. Les personnes qu'il a traduites en justice conformément à ces exigences appartenaient principalement aux échelons les plus élevés de la SS. Ils ont grandi dans de bonnes conditions, ont reçu une bonne éducation et ont fait une carrière rapide dans le Reich national-socialiste grâce à leurs capacités personnelles et à leur loyauté inconditionnelle envers le gouvernement.

Le principal accusé, et en même temps «la personne la plus intéressante et la plus complexe» parmi les sélectionnés était Otto Ohlendorf, Gruppenführer-SS et commandant de l'Einsatzgruppe D.

Le principal accusé, Otto Ohlendorf, Gruppenfuhrer SS et commandant de l'Einsatzgruppe D / US Army
Le principal accusé, Otto Ohlendorf, Gruppenfuhrer SS et commandant de l'Einsatzgruppe D / US Army
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Il est né en 1907 et a grandi dans un domaine près de Hildesheim. Son père était un vieux national-libéral et membre actif du Parti populaire allemand. Dans sa jeunesse, Ohlendorf s'est intéressé à l'organisation et à la gestion du domaine de son père. Il a étudié le droit et les sciences politiques aux universités de Leipzig et de Göttingen, et a enseigné à l'Institut de l'économie mondiale de Kiel et au Collège du commerce de Berlin. Ohlendorf a passé un an dans l'Italie fasciste «à étudier le système fasciste et la philosophie fasciste du droit international», comme il l'a déclaré dans son témoignage devant le tribunal militaire. En 1925, il a rejoint le NSDAP; en 1927, la SS. Ohlendorf a fait une carrière rapide dans l’aile paramilitaire de l'appareil NSDAP, a participé à l'organisation du service de sécurité de Himmler (SD), y est devenu conseiller économique et, en 1939, il a dirigé le 3e département (contre-espionnage et sécurité intérieure) dans le RSHA fraîchement restauré. Après une opération en Union soviétique en tant que commandant de l'Einsatzgruppe D, qui a duré de juin 1941 à juin 1942, Walter Funk a nommé Ohlendorf secrétaire d'État adjoint puis directeur d'un département du ministère de l'Économie du Reich. En mai 1945, alors que l'État nazi courait à sa perte, Ohlendorf était de facto ministre de l'Économie dans le gouvernement de Flensburg de l'amiral Dönitz. Il a été arrêté peu de temps après.

L'accusation a réussi à traduire en justice non seulement Ohlendorf, mais aussi les trois commandants des autres Einsatzgruppen. Heinz Jost, Brigadeführer et général de division de la police, commandait l’Einsatzgruppe A.

Heinz Jost, SS-Brigadeführer et major-général de police, commandant de l'Einsatzgruppe A / US Army, USHMM
Heinz Jost, SS-Brigadeführer et major-général de police, commandant de l'Einsatzgruppe A / US Army, USHMM
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Il était également juriste et membre de la direction de la SS. En 1933, Jost est devenu chef du département de police de Worms, puis de Giessen. En 1934, il a poursuivi sa carrière dans l'empire d’Himmler, accédant rapidement à un poste dirigeant à la Direction générale du SD, puis au RSHA. En août 1939, sur l’ordre de Heydrich, Jost a assuré les livraisons des uniformes polonais nécessaires pour organiser une attaque contre une station de radio à Gleiwitz. Hitler l’a utilisé comme prétexte pour ordonner l'invasion de la Pologne. En plus de commander l'Einsatzgruppe A de mars à septembre 1942, Jost a assumé le commandement de la police de sécurité et du SD Ostland à Riga.

Le troisième accusé était Erich Naumann, commandant de l'Einsatzgruppe B.

Erich Naumann, сommandant de l'Einsatzgruppe B / US Army, USHMM
Erich Naumann, сommandant de l'Einsatzgruppe B / US Army, USHMM
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Dans la structure de la SA, il était au départ responsable des questions liées à l'enseignement supérieur. En 1935, il a rejoint la SS et travaille pour le service de sécurité. Au siège du SD à Berlin, il dirigeait un département sous la direction de Jost, qui, comme Naumann, a été l'un des accusés à Nuremberg. Plus tard, Naumann devient inspecteur de la police de sécurité et du SD. Lors de l'attaque allemande contre la Pologne, il donnait déjà des ordres en tant que commandant de l’Einsatzgruppe lors de l'opération Tannenberg afin de «combattre tous les éléments anti-impériaux et anti-allemands à l'arrière des forces combattantes» et de supprimer les intellectuels polonais. En 1941, il a intégré l’état-major de l'Einsatzgruppe B, dont il prendra la tête en novembre. De septembre 1943 à juillet 1944, Naumann a dirigé la police de sécurité et le SD aux Pays-Bas.

Le quatrième chef de la SS que Ben a envoyé sur le banc des accusés était Otto Rusch, commandant de l'Einsatzgruppe C.

Otto Rasch, commandant de l'Einsatzgruppe C / US Army, USHMM
Otto Rasch, commandant de l'Einsatzgruppe C / US Army, USHMM

Rusch était un brillant chercheur avec deux doctorats en économie politique et en droit. À Leipzig, il a travaillé comme juriste et conseillé diverses entreprises. Après la prise du pouvoir par Hitler, il est devenu bourgmestre de Radeberg, puis maire de Wittemberg. À partir de 1939, il a travaillé à la Gestapo et au service de sécurité à des postes supérieurs à Francfort-sur-le-Main, Linz, Prague et Königsberg; en Prusse orientale il était responsable du camp de l'extermination et de travaux forcés de Soldau. Le 31 août 1939, il a dirigé une attaque des SS contre une maison de forestier qui était une offensive théâtralisée, comme dans le cas de la station de radio Gleiwitz, qui a simulé une invasion par l'armée polonaise. Rusch a commandé l'Einsatzgruppe C depuis sa création jusqu'en octobre 1941, quand il a ordonné l'exécution de masse à Babi Yar. Jusqu'au 20 octobre, ses unités faisaient état de 80.000 personnes «spécialement traitées», c’est-à-dire «éliminées».

Franz Six semblait être un intellectuel par rapport au reste des accusés.

Franz Sieks, сhef du Sonderkommando 7c (Vorkommando Moskau)
Franz Sieks, сhef du Sonderkommando 7c (Vorkommando Moskau)
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Le futur chef du Sonderkommando 7c (Vorkommando Moskau) dans l'Einsatzgrupe B a fait une rapide carrière universitaire. À vingt-cinq ans, il a obtenu son diplôme en soutenant sa thèse Propagande politique du national-socialisme (1934), à vingt-huit ans il est devenu professeur de journalisme à l'université de Königsberg, à trente ans, doyen de la Faculté d'études internationales et directeur de l'Institut d'études internationales de Berlin. Six a été chef du département de presse à la Direction générale du SD et chef de département du RSHA. Sous Himmler, il était responsable des «questions de l'étude de la mentalité». Il a soutenu l'Holocauste contre les Juifs européens, principalement en développant des documents de propagande, mais avec des solutions logistiques. Selon les affirmations du commandant d'Auschwitz Rudolf Höss, «exécuteur de sang-froid » de tous les ordres de Himmler, avec le chef de la Gestapo, Heinrich Müller, Six a travaillé pour «préparer la police d'État» à l'attaque contre la Pologne. En juin 1941, Heydrich lui a confié le commandement du commandement du Vorkommando Moskau. En septembre 1942, Six a été transféré au ministère des Affaires étrangères sous la direction de Joachim von Ribbentrop. Là, il a dirigé le département de la Culture et de la politique, dédié à la propagande à laquelle il a consacré sa thèse.

Neuvième Tribunal militaire international de Nuremberg / USHMM
Neuvième Tribunal militaire international de Nuremberg / USHMM
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Il y avait beaucoup de juristes parmi les accusés. En plus des trois déjà mentionnés, Walter Blume, Martin Sandberger, Werner Braune, Walter Haensch, Gustav Nosske, Erwin Schulz (qui n'avait pas terminé son cursus) et Eduard Strauch ont fait des études de droit. Leurs connaissances dans ce domaine ne les ont pas empêchés de commettre les violations les plus flagrantes de la loi. En juillet 1943, Wilhelm Kube, commissaire général pour la Ruthénie Blanche, a fait l'éloge du «docteur en droit Strauch [...] extrêmement compétent», affirmant que c'était grâce à lui que «55.000 Juifs avaient été liquidés au cours des 10 dernières semaines».

Il n'y avait pas que les juristes et les économistes qui maîtrisaient l'art du meurtre. Waldemar Klingelhöfer était un tueur de masse doué pour la musique: avant sa carrière d'officier SS, il était chanteur d'opéra. L’enseignant Eugen Steimle était issu d'une famille très pieuse; Ernst Bieberstein a été théologien et pasteur protestant. Paul Blobel, qui était particulièrement violent même pour cette galerie de meurtriers de masse, a travaillé comme maçon et menuisier avant de faire carrière dans les services de sécurité. Avant de rejoindre la SS, Adolf Ott a activement travaillé au Deutsche Arbeitsfront; Waldemar von Radetzky a effectué un stage dans une société de transport de marchandises; Felix Rühl était greffier; Heinz Schubert a étudié à l'École supérieure de commerce, puis a travaillé dans un cabinet d'avocats. Mathias Graf faisait du commerce et Emil Haussmann était instituteur. Ils ont tous été choisis par la direction de la SS parce qu'ils étaient jugés aptes au travail le plus sale dans le cadre de la campagne d'extermination à l'Est.