Dès le premier jour du procès, la Pravda, principal journal de l'URSS, publiait régulièrement des dépêches de l'agence de presse TASS. Mais ce sont les écrivains et journalistes les plus connus qui ont parlé des événements clés du procès. C'est le cas de Boris Polevoï, envoyé spécial de la Pravda à Nuremberg. Il est l'auteur d'un reportage éloquent consacré à l'interrogatoire de Hermann Göring, accusé numéro un du procès.
Göring a occupé la tribune du 13 au 22 mars, soit plus longtemps que tous les autres accusés. Il a commencé par un discours de plusieurs heures (le tribunal le lui a permis). Puis son avocat Otto Stahmer a interrogé son client et ses témoins. Enfin, c'est Göring qui a répondu aux questions des procureurs et des juges.
Boris Polevoï, témoin de l'intervention de Göring au procès du premier au dernier jour, a été choqué. Nous pouvons l'affirmer, parce que l'écrivain ne cachait pas ses sentiments: Polevoï était clairement abasourdi par le «mensonge sans vergogne» de Göring.
«Les chasseurs ont une heureuse expression: "la bête zigzague". Cela signifie que le prédateur, rattrapé par ses poursuivants, commence à réaliser des virages incroyables, des boucles dans la neige, en essayant de confondre les chasseurs et de les emmener sur une fausse piste. Hermann Göring essaie maintenant de faire de même. Dès le premier mot de son témoignage, il a commencé à "zigzaguer", mentir sans vergogne, déformer les faits, enchaîner des absurdités, faisant des pirouettes si incroyables dans ses déclarations qu'elles sont tout simplement immondes à entendre.
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Göring agit de la façon suivante: mentir autant que possible et de la manière la plus effrontée, rejeter toute la responsabilité sur Hitler, Himmler, Goebbels, qui ne sont pas là, tout nier malgré les preuves, aussi grosses et irréfutables qu'elles soient.
Von Neurath? Président du Conseil privé du Troisième Reich, lui? dit Göring. Mais il n'a rien de criminel de guerre. C'est une figure purement décorative, il ne savait rien des affaires du Troisième Reich et n'y a participé en aucune façon. C'est pour permettre à ce gentil monsieur d'être considéré comme l'un des dignitaires les plus importants du Reich, sans l'encombrer d'aucun travail, qu'Hitler a créé le Conseil privé. J'affirme que le Conseil privé n'a pas réellement existé et même qu’il ne s'est jamais réuni. Le maréchal Wilhelm Keitel? Göring applique la même méthode. Keitel n'avait aucun poids dans la prise de décisions militaires, ment effrontément Göring. Il était une sorte de téléphone qui transmettait les ordres d'Hitler à l'armée. Il est d'une nature délicate, il a joué au piano du Wagner pour Hitler le soir lors de leur voyage dans les pays occupés. Et rien de plus.
Outré par ce mensonge, le juge Lord Lawrence interrompt la défense et déclare que le tribunal n'est absolument pas intéressé d’entendre Göring rapporter les ragots qui circulaient dans l'état-major général.
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Au tour maintenant de Rosenberg. Il semble difficile de dire quelque chose d'atténuant en faveur du principal obscurantiste hitlérien, qui a enveloppé les crimes monstrueux du fascisme dans une vague forme de délire sur les qualités particulières du sang allemand, sur la "race des maîtres" allemande. Mais il s'avère que cet obscurantiste et principal bourreau hitlérien des régions et républiques occupées de l'Union soviétique –qui a inondé tout le territoire occupé, de la Baltique à la mer Noire, avec le sang du peuple soviétique pacifique– était, selon Göring, un simple excentrique pacifique, une sorte de philosophe qui vit dans la lune, du genre à oublier ses sur-chaussures dans l'entrée.
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Incroyable, mais vrai. Feu Goebbels en aurait crevé d'envie à écouter ces chefs-d'œuvre de mensonge effronté.
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Or, il se trouve que les nazis sauvaient l'Allemagne des "mains des Rouges". En attaquant des pays pacifiques –la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, la Grèce– les nazis auraient protégé leur flanc droit contre... une attaque soviétique. Contrairement à tout ce qui a été dit et prouvé au procès, confirmé même par les témoins de la défense Milch et Kesselring, Göring présente l'attaque contre l'Union soviétique, préparée à l'avance depuis près d'un an, comme une "guerre préventive".
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Le Dr Stahmer a convoqué Dahlerus pour prouver la thèse absurde sur le prétendu esprit pacifique de Göring. C'est vers cela qu'il a poussé le témoin avec ses questions. Mais voilà que le procureur en chef britannique, sir Maxwell-Fyfe, a la parole pour un contre-interrogatoire. Face aux questions du procureur, Dahlerus est forcé de l'admettre: il lui est maintenant apparu clairement que dans toutes les négociations en coulisses qui ont eu lieu, il a essentiellement joué le rôle misérable d'un camoufleur dans la préparation effrénée du fascisme à la guerre. [...] Ce témoin de la défense, convoqué par Stahmer pour blanchir la clique fasciste, quitte la tribune, déclarant qu'Hitler, selon ses observations, était un scélérat fou, Göring un crapaud dégoûtant auprès d'Hitler et Ribbentrop un meurtrier.
Le camarade Roudenko, représentant du parquet soviétique, procède à l'interrogatoire de Göring. Un coup décisif est porté à Göring et à tout le système "ingénieux" de sa défense.»
Si l'on prend les minutes des séances du tribunal, on constate qu'une grande partie de ce que Polevoï a décrit ne s'est pas réellement produit. Göring n'a pas présenté Keitel comme une coquille vide, Dahlerus n'a pas qualifié Hitler de scélérat et Göring de fayot. À proprement parler, Boris Polevoï n'a pas fait un reportage sur ce qu’il s'est passé au procès de Nuremberg, mais sur ce qui se passait dans son âme.
Il est vrai que Göring a menti, ce qui a été prouvé par les procureurs qui ont mené l'interrogatoire. Ils ont procédé de manière scrupuleuse, en montrant à l'accusé un document après l'autre, qui, en langue officielle, affirmaient le contraire de ce dont que Göring essayait de convaincre le public. Pour un spectateur indifférent, cette procédure pourrait même sembler ennuyeuse. Mais pas pour un correspondant soviétique qui était soldat, patriote et vainqueur, convaincu de sa vérité. Göring, qui a parlé presque sans fermer la bouche pendant une semaine, a allumé le feu de la haine dans l'âme de Polevoï. De cette flamme est née l'inspiration, qui a produit des images et des paroles fictives, mais en même temps vraies.
Le reportage de Boris Polevoï n'est pas un document du tribunal de Nuremberg. C'est un document de l'époque du tribunal de Nuremberg.