Les aveux des femmes de criminels nazis

«J'étais incapable de comprendre comment les femmes de tous les accusés pouvaient non seulement voir quotidiennement ces individus à la maison, être assises avec eux à la même table et partager avec leurs maris leurs joies et malheurs, mais également leur dire des mots doux, accepter leur tendresse, et enfin les aimer et leur faire des enfants. Je ne doutais pas et je ne doute toujours pas que ces femmes devaient savoir et connaissaient les actions criminelles de leurs maris.»

Tatiana Stoupnikova «Rien que la vérité. Procès de Nuremberg. Souvenirs d'une traductrice».

Qu'elles aient été au courant ne fait aucun doute. Mais que pensaient-elles de leur «travail», de leurs opinions? Cela dépend. La fourchette est très large. D'un côté Margarita Ley, la seconde femme (probablement officieuse) du directeur du Front du travail Robert Ley, était franchement antifasciste et a fui son mari avec ses enfants en 1938. De l'autre… difficile de choisir quelqu'un. Un trop grand nombre de femmes sont devenues complices, voire inspiratrices de criminels nazis - Magda Goebbels, Margaret Hess, Anneliese von Ribbentrop.

D'ailleurs, cette dernière n'a subi aucun châtiment et a même conservé son immense fortune en tant que membre de la famille des magnats industriels Henkel. Contrairement, par exemple, à Emmy Göring, complètement apolitique, qui a été placée en détention et condamnée. Ses biens ont été confisqués et elle a vécu ses derniers jours très modestement.

Cette dernière n'a pas été la seule à se faire condamner. Durant le printemps et l'été 1945, les familles de plusieurs responsables éminents du Troisième Reich ont été arrêtées par le contrespionnage américain. Les femmes ont été envoyées dans des camps pénitentiaires, les enfants ont été envoyés dans des orphelinats. Par la suite, ces enfants ont été accueillis par des proches, d'autres ont été rendus à leurs mères. L'unique raison de leur condamnation était le lien de parenté avec les criminels nazis. L'accusé Hans Frank écrivait ainsi dans sa lettre au juge américain du Tribunal Francis Biddle que sa sœur arrêtée «n'avait jamais manifesté aucune activité politique ni été membre du parti nazi», et que son occupation principale était de prendre soin de sa mère âgée.

Quand il a appris l'activité du contrespionnage, le commandant de la prison de Nuremberg, le colonel Burton Andrus, est devenu furieux. Il a instauré un contrôle strict de la détention de ses prisonniers, et il était difficile de le soupçonner de loyauté envers les nazis. Il a envoyé une protestation écrite directement au QG du Commandement suprême de l'armée américaine en Allemagne exigeant de libérer immédiatement les femmes et les enfants. Andrus était guidé par des notions pratiques: «Dans le cas contraire, la défense fournira à la cour de tels témoignages que les Américains eux-mêmes devront prendre la place des accusés sur le banc.» La protestation a fait son effet et les familles ont été libérées.

Ces femmes avaient un point commun: Adolf Hitler. «Hitler était le centre de notre vie», a écrit dans ses mémoires Henriette von Schirach. Elles étaient toujours sous ses yeux. Hitler mariait et réconciliait ses complices avec elles, baptisait leurs enfants.

Magda Goebbels passait plus de temps avec le führer qu'avec son propre mari. Quand Rudolf Hess est parti en Écosse en 1941, ce qui ressemblait à une trahison, Hitler a continué de prendre soin de son épouse. Jusqu'au dernier jour, il n'a pas épousé Eva Braun, la gardant en tant qu'amante, mais le Troisième Reich avait besoin d'une «première dame». Il encourageait la rivalité entre Emmy Göring et Magda Goebbels pour ce statut.

Afin d'amadouer Hitler, certains de ses proches nazis ont épousé des «aryennes», de grandes blondes aux yeux bleus, seulement pour leur apparence. Néanmoins, pratiquement toutes étaient des femmes exemplaires. D'autres sont restées fidèles jusqu'au bout à leurs maris pendus. De plus, certaines femmes, sorties de l'ombre de leurs maris tueurs, sont devenues des protectrices fidèles de leur idéologie et même des icônes du néonazisme.

Sources:
Richard Sonnenfeldt Témoin de Nuremberg. 1945-1946. Souvenirs d'un traducteur de l'accusation américaine
Gustave Gilbert Le journal de Nuremberg
David Irving Nuremberg. La dernière bataille
Tatiana Stoupnikova Rien que la vérité. Procès de Nuremberg. Souvenirs d'une traductrice

Emmy Göring

Mari: Hermann Göring. Vice-führer, président du Reichstag. Condamné par le tribunal de Nuremberg à la pendaison. Il s'est suicidé par empoisonnement le 15 octobre 1946 à quelques heures de son exécution.

Hermann et Emmy Göring se sont mariés en 1935, quand tous les deux avaient 42 ans. Emmy était actrice (des rumeurs disaient qu'elle s’était prostituée durant sa jeunesse) et une personnalité accomplie. Avant de se rapprocher de Göring, elle n’avait pas été amie avec des nazis, et une fois devenue «première dame» elle ne s’est pas ingérée dans les affaires du Reich. Elle a adhéré au NSDAP pour la forme - après le mariage sa carte du parti lui a été donnée sur exigence de Heinrich Himmler.

Les Göring étaient un couple heureux et amoureux. Trois ans plus tard est née leur fille Edda, qui a été érigée au rang de «princesse nazie» par la propagande. Beaucoup de choses ont été écrites sur le luxe de cette famille (plusieurs œuvres d'art ont été offertes pour la naissance d'Edda). Emmy Göring n'était pas offusquée par le fait que tout ce luxe soit le fruit du vol. Elle estimait que sa mission était de soutenir son mari dans les moments difficiles et de contenir son humeur arrogante.

Emmy Sonnenmann et Hermann Göring lors d'un concert un mois et demi avant leur mariage, le 26 février 1935, Bundesarchiv, Bild 183-1990-0309-506 / CC-BY-SA 3.0
Emmy Sonnenmann et Hermann Göring lors d'un concert un mois et demi avant leur mariage, le 26 février 1935, Bundesarchiv, Bild 183-1990-0309-506 / CC-BY-SA 3.0

Cette aptitude lui a été utile en pleine guerre quand Göring est tombé en disgrâce aux yeux d'Hitler, qui aurait exigé de tuer toute sa famille. Göring n'y avait pas cru, et avait décidé pour lui que cet ordre venait du «sale porc» Bormann. Mais Emmy Göring y a cru.

«Mon mari était hors de lui qu'Hitler puisse le soupçonner de déloyauté. Il était si furieux et injuriait tellement Hitler que j'ai eu peur que la sécurité l'abatte sur place. J'ai demandé au garde d'oublier ce qu'il avait entendu. Ce soldat m'a répondu que oui, il oublierait, mais qu'il pensait que mon mari avait raison. Déloyauté! Dieu sait quels sacrifices a dû faire mon mari uniquement par loyauté envers Hitler! Il a perdu sa santé, sa fortune et sa première femme suite au putsch de 1923. Il soutenait Hitler en tout. Il l'a aidé à arriver au pouvoir. Et en remerciement pour cela, il a reçu un mandat d'arrêt et un ordre d'exécution. Ils voulaient même fusiller mon enfant! Quand nous avons appris le suicide d'Hitler, Hermann a noté amèrement que le plus dur pour lui était qu'il ne pourrait plus jamais dire à Hitler en face comment il avait été injuste avec lui», a-t-elle déclaré au psychologue militaire américain Gustave Gilbert, qui lui a rendu visite pendant le procès de Nuremberg.

Aux yeux d'Emmy Göring, son mari Hermann incarnait la noblesse. Elle jugeait exemplaire sa position au procès de Nuremberg et blâmait les autres accusés: «Si quelqu'un avait eu le courage de se lever pour dire: "oui, j'ai soutenu le führer, faites de moi ce que vous voulez". Il est honteux d'entendre maintenant tant d'Allemands se frapper la poitrine en affirmant qu'ils n'ont jamais soutenu Hitler et qu'ils ont été forcés d'adhérer au parti. De l'hypocrisie partout, c'est répugnant! Je comprends maintenant qu'en voyant de nombreux Allemands tourner le dos à Hitler pour cacher leurs affaires avec lui en craignant les vainqueurs, il ait décidé de renoncer. Il détestait Hitler pour tout ce qu'il avait fait. Mais en ce qui concerne la loyauté envers lui, Hermann était un fanatique. Sur ce point nous divergions.»

Le mariage d'Hermann et d'Emmy Göring, le 10 avril 1935 Bundesarchiv, B 145 Bild-F051618-0010 / Schaack, Lothar / CC-BY-SA 3.0
Le mariage d'Hermann et d'Emmy Göring, le 10 avril 1935 Bundesarchiv, B 145 Bild-F051618-0010 / Schaack, Lothar / CC-BY-SA 3.0

Emmy Göring affirmait qu'Hitler était un malade mental: «Seulement cette volonté de fer, seulement l'aspiration à avancer vers l'objectif coûte que coûte. Aucun compromis, aucun répit. Il était différent au début. Vers la fin il avait manifestement perdu la raison.»

Ce qui n'était pas le cas de «son Hermann»: «Mon Dieu, le sort de l'Allemagne aurait pu être si différent s'il était devenu führer avant la guerre. La guerre n'aurait jamais eu lieu. Ni les persécutions. Vous connaissez mon mari. Il ne fait pas partie de ceux qui sont rongés par la haine. Il vivait lui-même et laissait les autres vivre.»

«Je l'ai quittée avec l'impression que la dame de cœur de Göring était encore très amoureuse de son chevalier brillant, qu'elle avait érigé sur une tour d'ivoire pour mieux contempler les actes de son héros et honorer sa nature bruyante. Et la prise de conscience austère que son héros était le serviteur d'un tueur n'a pas dissipé ses illusions concernant son mari», écrivait Gustave Gilbert.

Même après l'annonce de sa condamnation à la peine capitale, Emmy Göring pensait que Göring serait épargné tellement elle le considérait comme une grande personnalité. Elle était convaincue qu'il serait exilé sur une île, comme Napoléon.

En 1948, Emmy Göring et sa fille Edda, 10 ans, ont été arrêtées par les Américains. Le tribunal a condamné la veuve à une saisie partielle des biens et à un an de travaux forcés dans un camp. Le comportement d'Emmy Göring a marqué le personnel du camp parce qu'elle laissait partout des photos de son Hermann bien aimé, ce qui lui valait souvent des punitions. En 1967, elle a publié un livre intitulé Aux côtés de mon mari.

Luise Jodl

Mari: Alfred Jodl. Chef d'état-major de la direction opérationnelle du Commandement suprême de la Wehrmacht. Condamné par le tribunal de Nuremberg à la pendaison. Exécuté le 16 octobre 1946.

Le général Alfred Jodl est arrivé à Nuremberg peu de temps après son mariage. Un mois avant la capitulation de l'Allemagne, il s'est remarié avec Luise, amie de sa première femme défunte.

À Nuremberg, Luise Jodl est devenue une curiosité locale. Elle correspondait activement avec son mari, communiquait avec l'avocat de ce dernier et assistait aux audiences. Elle se levait de sa place, faisait des signes de la main à son mari, l'appelait fort par son prénom. En fin de compte, les juges ont exigé de faire sortir cette dame expressive de la salle d'audience pour non-respect de la discipline.

Louise Jodl travaillant avec des documents pour la réhabilitation de son mari Alfred Jodl
Louise Jodl travaillant avec des documents pour la réhabilitation de son mari Alfred Jodl
© Domaine public

Luise Jodl ne manquait aucune opportunité de justifier son mari aux yeux de l'humanité. «Il rentrait à la maison très tard, épuisé et sans voix. Sans rien dire, je comprenais qu'il cherchait, de nouveau en vain, à persuader Hitler de changer d'avis. Je ne pouvais qu'essayer de le rassurer, simplement lui donner du répit. Finalement, nous parlions de choses sans importance, de la météo, des chiens», disait-elle dans une interview à une journaliste britannique.

Luise Jodl a écrit des télégrammes au Président américain Harry Truman pour demander de contribuer à l'assouplissement de sa peine. En vain. Elle a alors cherché à le réhabiliter.

Luise Jodl était une fidèle combattante du Reich, qui servait à un poste à basse responsabilité au ministère de la Défense. Elle n'affichait pas un enthousiasme nazi particulier, mais c'est sur des gens comme elle que le régime tenait: une Allemande honnête, disciplinée et obéissante.

Magda Goebbels

Mari: Joseph Goebbels. Ministre de l’Éducation du peuple et de la Propagande. A mis fin à ses jours le 1er mai 1945.

«La Médée du XXe siècle», «incarnation féminine du nazisme»: voilà comment Magda Goebbels a été appelée après sa mort. De son vivant, on l'appelait le «diable au visage d'ange».

Magda Goebbels, 1933 Bundesarchiv, Bild 183-R22014 / CC-BY-SA 3.0
Magda Goebbels, 1933 Bundesarchiv, Bild 183-R22014 / CC-BY-SA 3.0

À l'école, Magda portait l'étoile de David sur le cou. Elle a été élevée par son beau-père juif auquel elle était très attachée. Quand sa mère a divorcé, Magda a pris le nom de son beau-père.

Elle a été amoureuse de Haïm Arlozoroff, jeune juif originaire d'Ukraine, qui devint à terme un grand activiste du mouvement sioniste. Leur romance a duré plusieurs années, même quand Magda Goebbels a adhéré au NSDAP et qu'Haïm Arlozoroff a déménagé en Palestine, ne se rendant plus que rarement en Europe.

Magda Goebbels a trahi son beau-père, qui mourut à Buchenwald en 1939. Haïm Arlozoroff mourut encore plus tôt, en 1933: des tueurs envoyés de Berlin l'abattirent à Tel-Aviv.

Le mariage de Joseph et Magda Goebbels. Les enfants des jeunesses hitlériennes saluent les jeunes mariés, le couple est suivi par leur témoin - Adolf Hitler, le 31 décembre 1931 / Bundesarchiv, Bild 183-R32860 / Auteur inconnu / CC-BY-SA 3.0
Le mariage de Joseph et Magda Goebbels. Les enfants des jeunesses hitlériennes saluent les jeunes mariés, le couple est suivi par leur témoin - Adolf Hitler, le 31 décembre 1931 / Bundesarchiv, Bild 183-R32860 / Auteur inconnu / CC-BY-SA 3.0
C'est par hasard que Magda Goebbels s'est retrouvée dans la communauté nazie, pour s'amuser. Elle avait presque 30 ans. Elle avait entendu le discours de Joseph Goebbels et, le lendemain, avait adhéré au parti en proposant ses services en tant que secrétaire. Un an plus tard, ils se sont mariés.

Son fils du premier mariage est resté avec son père. Il a servi dans la Luftwaffe puis a été capturé en 1944, ce qui lui a sauvé la vie.

Magda et Joseph Goebbels, entourés de leurs enfants et d’Harald Quandt (en uniforme de la Luftwaffe), fils d'un premier mariage de Magda Goebbels, le 1er janvier 1944 Bundesarchiv, Bild 146-1978-086-03 / CC-BY-SA 3.0
Magda et Joseph Goebbels, entourés de leurs enfants et d’Harald Quandt (en uniforme de la Luftwaffe), fils d'un premier mariage de Magda Goebbels, le 1er janvier 1944 Bundesarchiv, Bild 146-1978-086-03 / CC-BY-SA 3.0
Des rumeurs circulaient sur Magda Goebbels et Adolf Hitler. Il s'exaltait ouvertement de son apparence, la qualifiait «d'idéal féminin allemand», et se mettait en colère contre Goebbels pour ses infidélités à une telle femme. Elle affichait une loyauté personnelle fanatique à Hitler, a beaucoup travaillé avec lui en tant qu'assistante et secrétaire, a donné à tous ses enfants des prénoms commençant par la même lettre que le nom du führer: H. Elle aurait prononcé: «J'aime mon mari, mais mon amour pour Hitler est plus fort, je suis prête à sacrifier ma vie pour lui. C'est seulement quand j'ai compris qu'il ne pouvait aimer aucune femme que j'ai accepté d'épouser le docteur Goebbels, car à présent je peux être plus proche du führer.»

Quand l'armée allemande a connu une série de défaites et que même les optimistes se sont dit que le Troisième Reich touchait à sa fin, Magda est tombée malade. Sa psyché et son état physique ne supportaient pas un tel poids. Elle a décidé que seule la mort pourrait la délivrer de la catastrophe imminente. Mais Magda Goebbels n'avait pas l'intention de mourir en solitaire. À la veille de son suicide, elle a écrit à son fils aîné: «Le monde qui arrivera après le führer ne vaut pas la peine d'y vivre. C'est pourquoi je prends mes enfants avec moi en le quittant. Il est dommage de les laisser vivre dans la vie qui viendra. Dieu miséricordieux comprendra pourquoi j'ai décidé moi-même de me sauver.»

Le 1er mai 1945, le lendemain de la mort d'Hitler, Magda et Joseph Goebbels (probablement avec l'aide d'un médecin) ont injecté de la morphine à leurs six enfants. Quand ils se sont endormis, ils leur ont fait avaler des capsules de cyanure de potassium. Une heure plus tard, alors que les enfants étaient morts, les parents ont pris du cyanure à leur tour.

Des traces de lutte ont été découvertes sur le corps de la fille aînée. Selon les chercheurs, la fille de 12 ans avait compris qu'on cherchait à la tuer.

Adèle Streicher

Mari: Julius Streicher. Gauleiter de Franconie, rédacteur en chef du journal antisémite Der Stürmer, idéologue du racisme. Condamné par le tribunal de Nuremberg à la pendaison. Exécuté le 16 octobre 1946.

L'apparition éphémère d'Adèle Streicher dans la salle 600 a fait grande impression sur les témoins. Tout le monde tentait de comprendre comment cette jeune femme charmante avait pu lier sa vie à un être aussi répugnant. Même ses complices dédaignaient la compagnie de Julius Streicher, éditeur pornographe et, selon des rumeurs, pervers.

Adèle Streicher ne s'est pas retrouvée dans la salle d'audience de son propre gré: son mari l'a convoquée en tant que témoin de la défense. Avant leur mariage, elle avait travaillé comme sa secrétaire pendant un certain temps. Adèle Streicher portait une longue robe de velours rouge. La salle s'est figée en admirant la témoin. Il lui a été demandé pourquoi elle avait épousé Streicher juste avant la fin de la guerre. «Il a dit qu'il irait sur les barricades», a répondu la témoin. Elle n'a rien dit d'autre d'intelligible. Les avocats expérimentés ont facilement compris l'idée de Streicher: en voyant sa magnifique femme, les juges seraient plus souples. Mais en vain.

Adèle Streicher (Tappe) est tombée dans l'oubli. Témoin de l'histoire des derniers mois de la vie de l'un des principaux criminels nazis, elle a disparu sans laisser de traces.

Henriette von Schirach

Mari: Baldur von Schirach. Gauleiter de Vienne. Condamné par le tribunal de Nuremberg à 20 ans de prison. Il a purgé toute sa peine. Il est mort en liberté en 1974.

Elle a franchi le parcours de l'enthousiasme nazi jusqu'à la lucidité et la déception. Cette femme fait partie des rares femmes de criminels à avoir reconnu ses erreurs et parlé de remords de conscience. En 1956, elle a écrit un livre sur son passé intitulé Le prix de la gloire.

Henriette von Schirach a connu Hitler encore enfant, avant son mari devenu chef des Jeunesses hitlériennes et responsable de Vienne, Baldur von Schirach. Le fait est que le père de Henriette von Schirach, Heinrich Hofmann, était en 1923 un ami proche du führer au NSDAP et son photographe personnel. Difficile de dire si Hitler était impliqué dans leur décision de se marier, mais il a été témoin de leur mariage, tout comme lors d'autres mariages de ses subordonnés et adeptes.

«Nous ne voulions rien entendre, nous étions inconscients et pensions que nous faisions une chose parfaitement juste. Il y avait trop de festivités et de cadeaux, à commencer par les gants avec les inscriptions Heil sur l'un et Hitler sur l'autre, jusqu'aux tableaux d'anciens maîtres et des bijoux à l'origine desquels les femmes ne pensaient pas.»

Un jour, à la demande du célèbre chef d'orchestre Wilhelm Furtwängler, Henriette von Schirach a demandé à Hitler d'autoriser de jouer Tchaïkovski, Ravel, Debussy et d'autres compositeurs interdits. Pour le persuader, elle a fait jouer un vinyle de Tchaïkovski Capriccio italien. Hitler a regardé le tourne-disque comme un ennemi et a exigé de stopper le «concert». «C'était un fiasco. Bormann a ri de moi.»

Un jour, pendant la guerre, elle a rendu visite à ses amis à Amsterdam. Dans la nuit elle a été réveillée par des cris et des pleurs de femmes dans la rue. Elle a vu une file de femmes avec des sacs et des valises, parties dans la pénombre. Ses amis lui ont expliqué que ces femmes faisaient partie d'un nouveau groupe de juives déportées. Peu de temps après, un responsable de la SS lui a proposé d'acheter des bijoux d'origine inconnue. Henriette von Schirach a demandé des explications au commissaire du Reich des Pays-Bas Arthur Seyss-Inquart, mais il a refusé de répondre.

Cet épisode a fait forte impression Mme von Schirach. De retour à Berlin, elle a raconté à Hitler ce qu'elle avait vu. Cette conversation a eu lieu en 1943, le Vendredi saint.

«Le führer était bouleversé. Il gardait d'abord le silence, tout comme les 17 hommes qui y assistaient. Puis, il s'est tourné vers moi, et j'ai vu à quel point il était impuissant… J'avais à la fois pitié de lui et le détestait. Il s'est levé lentement et a commencé à me crier dessus: "Vous êtes sentimentale! Qu'avez-vous à faire de ces juives! Ce sont des aberrations humanistes sentimentales!" (Hitler criait souvent. Le cri était son arme.) Nous sommes partis avec Baldur.»

«Un jour, j'ai reçu un télégramme de mon ami Ross qui m'a annoncé qu'à Tulln se trouvait un train avec des juifs et que je pourrais venir aider. J'ai essayé de trouver une voiture, il n'y en avait pas et j'en suis restée là. J'étais trop inconsciente et j'ai apaisé ma conscience en répétant ce que les autres me disaient: il n'y a aucun train à Tulln.»

«Hitler était le centre de notre vie, il dirigeait notre travail. Notre avenir dépendait de sa volonté. Et j'ai soudainement compris que nous avions nous-mêmes choisi cette voie et commettions une injustice. Nous n'aimions pas ce qu'il fallait aimer et ne détestions pas ce qu'il fallait détester. Nous servions une cause noire et ne pouvions pas revenir en arrière sans entraîner tous nos amis dans le précipice.»

Pendant que son mari purgeait sa peine sur décision du tribunal de Nuremberg, Henriette von Schirach a obtenu le divorce.

Ilse Hess

Mari: Rudolf Hess. Ministre du Reich, adjoint du führer au sein du parti. Condamné à la perpétuité par le tribunal de Nuremberg. Par la suite, il refusa de demander d'être gracié. Le 17 août 1987, il a mis fin à ses jours en se pendant dans sa cellule de Spandau, à Berlin.

Ilse Hess est née dans la famille d'un nationaliste: son père, diplômé en médecine, est mort pendant le putsch antigouvernemental de 1920. À la même époque, Ilse a fait la connaissance de Rudolf Hess et de son ami Adolf Hitler. Elle a immédiatement adhéré au NSDAP et a développé une activité intense au sein du parti. Quand Hitler a été emprisonné, Rudolf et Ilse ont corrigé et préparé l'impression de son livre Mein Kampf.

Rudolf Hess ne s'empressait pas de se marier: leur union a eu lieu seulement six ans après leur rencontre, en cédant aux exigences d'Hitler. Ce dernier a été témoin au mariage et parrain de l'unique enfant des Hess.

Après la guerre, Ilse Hess n’a pas caché ses convictions, et a fréquenté des nazis comme elle. En publiant la correspondance qu’elle a eue avec son mari emprisonné à Spandau à Berlin dans la presse de droite conservatrice, et lors des réunions de ses acolytes, elle a aidé à créer le culte d’un «Rudolf Hess, martyr nazi».

Mais ce n'est pas tout. Ilse Hess, avec d'autres femmes et enfants de leaders du Troisième Reich, a participé au travail de l'organisation Aide silencieuse. Une sorte de fondation de soutien aux autres «martyrs». L'argent servait à payer les services d'avocats, à cacher les fugitifs, et à soutenir matériellement les «vétérans» du Troisième Reich dans le besoin.

Margarete Himmler

Mari: Heinrich Himmler. Commandant de la SS, chef de la police allemande. Le 23 mai 1945, il a mis fin à ses jours pendant son interrogatoire par un officier britannique.

Mère attentionnée, femme au foyer modèle, travailleuse honnête... mais personne n'aimait Margarete Himmler. Même son propre mari, qui ne cachait pas particulièrement qu'il avait une seconde famille.

Premièrement, elle avait sept ans de plus que son mari. Deuxièmement, elle était «froide, ferme avec des nerfs extrêmement fins, n'émettait aucune chaleur et passait trop de temps à gémir», se souvenait le frère aîné d'Himmler. «Une blonde limitée privée de sens de l'humour», décrivait la veuve du nazi Reinhard Heydrich.

Margaret Boden dix ans avant son mariage avec Heinrich Himmler, 1918 Bundesarchiv, Bild 146-1990-080-04 / CC-BY-SA 3.0
Margaret Boden dix ans avant son mariage avec Heinrich Himmler, 1918 Bundesarchiv, Bild 146-1990-080-04 / CC-BY-SA 3.0

L'interprète américain Richard Sonnenfeldt, qui a rencontré beaucoup de personnalités de premier plan pendant son travail au procès de Nuremberg, a décrit ainsi sa rencontre avec Margarete Himmler:

«Selon Frau Himmler, son mari lui disait toujours que son travail était si difficile qu'il ne voulait pas en parler à la maison. La fille d'Himmler, une adolescente boutonneuse, n'a pas cru que son père avait eu un tel parcours quand elle a lu un article dans le journal à ce sujet […]. Quand j'ai voulu lui parler, elle est sortie de la pièce en pleurs. Étonnamment, la fille d'Himmler avait des sentiments! Frau Himmler m'a donné des boutonnières du col de l'uniforme SS de son mari, que je conserve à ce jour, et j'ai deux pages de son journal […]. Frau Himmler était une femme quelconque, et j'ai décidé qu'elle aurait probablement été heureuse avec n'importe quel mari, même un homme aussi peu attirant que son Heinrich.»

Malgré le poste haut placé de son mari et les rumeurs selon lesquelles le «tout-puissant Himmler» aurait été dominé par sa femme, la société n'a pas accepté Margarete. Ses invitations aux réceptions étaient ignorées, et ses tentatives de prendre la tête de conseils publics féminins étaient sabotées.

Margaret et Heinrich Himmler avec leur fille Gudrun Bundesarchiv, Bild 146-1969-056-55 / CC-BY-SA 3.0
Margaret et Heinrich Himmler avec leur fille Gudrun Bundesarchiv, Bild 146-1969-056-55 / CC-BY-SA 3.0

Contrairement à la grande majorité des autres femmes, l'épouse du ministre de l'Intérieur travaillait. Ayant débuté en tant que simple infirmière pendant la Première Guerre mondiale, elle dirigeait fin 1939 les hôpitaux de la Croix-Rouge à Berlin et menait des inspections à travers le pays.

En mars 1940, elle est partie dans sa patrie occupée, en Pologne. «Je me suis rendue à Poznan, à Lodz et à Varsovie… Ces ordures juives, les Polonais qui ne ressemblent pas aux gens pour la plupart, et la saleté sont indescriptibles. Y remettre de l'ordre est un travail incroyable», écrivait dans son journal la colonel de la Croix-Rouge allemande Margarete Himmler.

Après la guerre, elle a été inculpée plusieurs fois pour son passé, mais a pu échapper à une peine sévère. Elle ne manifestait aucune activité nazie en public. Margarete Himmler a fait plus que cela: de l'«adolescente boutonneuse» Gudrun elle a élevé une «princesse nazie éblouissante» (elle était appelée ainsi), l'une des figures les plus notables du néonazisme allemand.