Le procès de Nuremberg commence le 20 novembre 1945 et pendant un an, l’assistance découvre l’étendue et la dimension des crimes du régime nazi. 75 ans plus tard, l’écrivain Myriam Anissimov garde toujours les victimes de la Shoah dans son cœur et son œuvre. Elle livre à Sputnik sa vision de ces événements tragiques.

Le 20 novembre 1945, débutait dans le Palais de justice de Nuremberg le procès de 22 Allemands, qualifiés de grands criminels de guerre, pour conspiration, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.

Neuf jours plus tard, le Tribunal Militaire International (TMI) faisait entrer l’Holocauste dans la salle d’audience: l’accusation du TMI projetait un film d’une heure intitulé «Camps de concentration nazis». Ce fut un tournant dans le procès.

L’écrivain Myriam Anissimov est née en 1943 dans un camp de personnes déplacées, à Sierre, en Suisse, où sa famille, qui habitait auparavant Lyon, s’était réfugiée pour échapper aux grandes rafles de juifs de novembre 1942 en France. Elle explique qu’elle a toujours été «parfaitement informée par ses parents» de la Shoah. Au micro de Sputnik, elle évoque aussi bien la dimension universelle que privée du procès de Nuremberg.

Naissance de la notion de «crime contre l’Humanité»

Sans mettre en doute l’importance du procès de Nuremberg, «un acte évidemment nécessaire», l’écrivain met un bémol sur ses conséquences, puisque selon elle, «l’Allemagne n’a pas été vraiment dénazifiée». Consciente que cela «aurait nécessité de passer en revue une grande partie de la population active», elle constate que «le ménage n’a jamais été vraiment fait.» Et pas seulement en Allemagne.

«Il y a eu d’autres génocides depuis. Nous avons, dans le monde, d’autres exemples de totalitarisme, de crimes. Mon constat est très désabusé et amer. Malheureusement, je ne suis pas sûre que l’exemple du tribunal [de Nuremberg, ndlr] ait apporté quelque chose», déplore Myriam Anissimov.

L’écrivain souligne qu’au procès de Nuremberg, une nouvelle notion est apparue: celle de «crime contre l’Humanité». Mais, à cette époque, «on n’a pas parlé de génocide», cette notion n’était pas encore apparue.

«Pendant tous les débats –qui ont duré plusieurs mois– rares étaient les survivants des camps admis au tribunal, comme le Russe Avrom Sutzkever ou la Française Marie-Claude Vaillant-Couturier, qui ont pu parler du génocide. La Shoah n’a pas été nommée», rappelle Myriam Anissimov.

La femme de lettres, toujours active depuis son premier ouvrage paru en 1973, Comment va Rachel (Éd. Denoël), regrette qu’«il ait fallu beaucoup d’années», pour que la notion de Shoah soit prise en considération, «au moins en France». Lors du Procès de Nuremberg, l’idée que les Juifs formaient un peuple dont «un tiers a été exterminé, ça n’a même pas été évoqué.»

«À dix ans, j’étais informée de la Shoah, et ça me terrorisait»

Pour Myriam Anissimov, la notion de Shoah, même sans être ainsi nommée, a toujours fait partie de son paysage familial. Ses oncles et ses grands-parents du côté du père ont étés gazés à Treblinka, à l’arrivée de deux convois partis de Szydłowiec, une petite ville industrielle polonaise. «Et du côté de ma mère, c’était Łódź et les camions à gaz», précise l’écrivain.

Parlait-on dans les familles de ce qui s’est passé dans les camps? Les familles, étaient-elles au courant?

«Il y a eu deux idées très partagées. Les uns disaient: “mes parents ne m’ont jamais rien dit, c’était un silence absolu, j’ai découvert tout ça plus tard”. Et il y en a eu d’autres», raconte Myriam Anissimov.

Les parents de l’écrivain ont fait partie d’un groupe des Résistants juifs affiliés au Parti communiste soviétique. Ils faisaient partie du mouvement M.O.I. (Main-d’Œuvre Immigrée, un groupe de résistants d’origine étrangère et/ou juive, incorporé au sein des Francs-tireurs et partisans (FTP)). Quand la Wehrmacht est arrivée à Lyon, en occupant la «zone libre», le couple a traversé la frontière suisse. C’est là que sa mère, «âgée de 18 ans à l’époque, a organisé un passage clandestin en Suisse.»

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Impossible de cacher la vérité à la toute jeune Myriam, puisque déjà âgée de trois ans et demi, elle rencontre l’un de ses oncles «qui a survécu à plusieurs camps: il a été libéré de Bergen-Belsen et il est arrivé à Lyon», où la famille s’était installée.

«Surtout, mon père m’a beaucoup parlé. D’ailleurs, ça a été terriblement traumatisant. J’ai eu avec moi la conscience et la compréhension de tout ça depuis l’âge de six –sept ans. À dix ans, j’étais parfaitement informée, et ça me terrorisait», détaille Myriam Anissimov.

Mais plus traumatisant encore: «l’antisémitisme n’a pas disparu» après la guerre. Traitée de «sale juive» dès qu’elle a mis les pieds «à l’école primaire, puis au lycée», la jeune fille a été «obligée» de se battre, de se défendre physiquement. «C’était violent. Mais c’était en France dans les années 1950-60», souligne l’écrivain.

«A-t-on oublié?» Mais qui sont ces «on»?

Myriam Anissimov, bien qu’amère sur les leçons tirées du procès de Nuremberg, appelle à regarder attentivement la trace qu’a laissé le tribunal historique dans notre époque. «Quand on demande si “on a oublié”, ça dépend de qui on parle», signale l’écrivain.

«J’ai regardé la presse [avant notre entretien, ndlr], je n’ai rien vu sur le procès de Nuremberg. Ni dans Le Monde ni dans Le Figaro. J’espère que le 20 novembre, ils vont rappeler au moins des faits: le nombre d’accusés, de condamnés à mort… un petit peu d’Histoire», souligne Myriam Anissimov.

L’écrivain reste persuadé que le niveau scolaire est à surveiller: «Le niveau de l’“instruction publique”, comme on disait auparavant, a baissé d’une manière catastrophique, notamment dans le domaine de l’histoire.» Sans oublier que l’«on est face à une vague d’islamisme assassin et les professeurs d’histoire –ce sont les témoignages de mes amis professeurs– ne peuvent pas prononcer les mots “Juif” ou “Shoah”». La femme de lettres dénonce «une réelle violence dans les établissements scolaires» où les professeurs ont beaucoup de mal à enseigner: «ils risquent presque leur vie», regrette-t-elle.