Le procès de Nuremberg, qui s’est ouvert le 20 novembre 1945, a défini pour la première fois la notion de «crime contre l’Humanité». Il a jeté les bases du système juridique international actuel. À l’occasion des 75 ans de ce procès, l’écrivain Marek Halter partage avec Sputnik sa vision de cet événement fondateur.

À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants des nations victorieuses hésitaient. Fallait-il exécuter sommairement les responsables nazis? Finalement, l’option du procès a été retenue. Celui-ci s’est ouvert le 20 novembre 1945 dans le Palais de justice de Nuremberg et a constitué la première mise en œuvre d’une juridiction pénale internationale. Les audiences ont duré un an.

Pour l’écrivain Marek Halter, l’anniversaire du procès de Nuremberg est «un moment propice pour pouvoir relancer cette prise de conscience des gens de l’importance de trouver la réponse au mal qui nous travaille.» Il a accueilli Sputnik pour une interview exclusive:

Malgré les 15 versions différentes de la définition du «crime contre l’Humanité», 12 chefs nazis ont été condamnés à mort à l’issue du procès de Nuremberg.

«Il y a tout un travail à accomplir pour nous préserver d’autres génocides. On n’a pas jugé le Mal. On a jugé les hommes qui ont utilisé le Mal pour assouvir leurs pulsions de mort. C’est tout à fait différent», souligne Marek Halter.

Ne jamais baisser la garde devant la banalisation des propos, surveiller de près «le lien entre les idées, les mots que nous prononçons» et les actes, tel est le message de Marek Halter.

«C’est ça qui est dangereux avec des théories: en voyant un article dans la presse, nous pensons qu’il n’est pas acceptable. On pense que c’est un point de vue. On oublie qu’on commence par un point de vue et qu’on termine à Nuremberg», développe Marek Halter.

À Nuremberg justement, la mémoire reste vivace. Au Palais de justice de la ville, la salle d’audience N° 600 et son exposition permanente sont ouvertes au public depuis 2000.

La France «pendant et après» Nuremberg

La France a participé à la seconde phase du procès de Nuremberg, «grâce à Churchill». Mais comme le précise l’écrivain, «pas tellement par amour de la France, mais pour l’opposer à l’influence soviétique.» Plusieurs décennies plus tard, les documents grand public sur «le rôle réel de la France dans la mise en place de cette juridiction internationale puis son fonctionnement» sont rares.

«La France a été la porte-parole de la communauté juive, la première plaignante et à l’origine du procès Barbie», note Marek Halter.

Le procès du «bourreau de Lyon», qui a été à l’origine de milliers de morts en France, dont des centaines d’enfants juifs, et qui a torturé des chefs de la résistance française, «a été un moment très fort» pour la France.

«Le procès Barbie a causé plus de prise de conscience chez les Français que le procès de Nuremberg. Parce qu’ils n’ont pas assisté [à Nuremberg, ndlr]… Et les images c’est important», souligne l’écrivain.

D’autant plus que, grâce à Robert Badinter, le ministre de la Justice de l’époque, ce premier procès filmé passe régulièrement à la télévision.

Contre l’oubli, la force des images

Les images du Tribunal de Nuremberg et les trois rangées de dignitaires nazis, «habillés en gris, dans des costumes gris trop grands pour eux», exigent d’être vues en face des images de leurs victimes. Pour amplifier leur force, selon Marek Halter.

«Je me suis toujours demandé si le criminel sait qu’il commet un crime», rappelle Marek Halter.

«Qu’est-ce qui a fait que ces criminels ont eu peur de reconnaître leurs crimes?» s’interroge l’écrivain, qui estime «qu’il faut régulièrement –et à l’occasion de cet anniversaire– passer les images à la télévision, raconter ce que je raconte, et montrer des images.»

«Il faut montrer ces gens avant: qu’ils paradaient dans des uniformes, les bottes bien cirées. […] Et les montrer là, en train de trembler devant quelques officiers russes, anglais, français, américains, ne sachant pas vraiment comment se défendre», propose l’écrivain.

Marek Halter n’est guère naïf: le mal a la peau dure. Pourtant, la justice internationale contribue à le combattre:

«On n’a pas encore trouvé le moyen de décourager l’homme dans sa tendance de domination des autres hommes. Mais il y a aujourd’hui le tribunal international de La Haye. Et il n’y a plus de chefs d’État dans le monde qui puissent échapper à la condamnation ou, au moins, au procès», conclut Marek Halter.