Le 9 mars 1946, dans le cadre de la procédure pénale contre le biologiste soviétique Nikolaï Timofeïev-Ressovski, ses collègues allemands ont été interrogés.
En 1925, Timofeïev-Ressovski a déménagé à Berlin, où il est rapidement devenu chef du département de génétique et de biophysique à l’Institut de recherche sur le cerveau dans la banlieue berlinoise de Buch. En septembre 1945, le NKVD a arrêté le généticien à Berlin et l’a emmené à Moscou.
Extrait du procès-verbal de l’interrogatoire de Wilhelm Pütz, chef du département des ressources humaines et comptable de l’Institut du cerveau:
«Timofeïev, en tant que directeur du département de génétique de l’institut, était informé de toutes les directives secrètes qui orientaient toutes les activités de l’institut vers les besoins de la guerre. Et quand l’Armée rouge a commencé à s’approcher de Berlin, Timofeïev a ordonné de détruire les documents confidentiels qui se trouvaient dans mon coffre-fort. En outre, à la veille de l’arrivée de l’Armée rouge, aux alentours du 20 avril 1945, alors que les combats faisaient rage dans les environs de la capitale, il a donné l’ordre de cacher les équipements les plus précieux afin qu’ils ne soient pas exportés en Union soviétique.»
Extrait du procès-verbal de l’interrogatoire de Hans Born, assistant à l’institut, membre du Parti national-socialiste:
«Question: Pourquoi Timofeïev-Ressovski n’est-il pas retourné en Union soviétique?
Réponse: Timofeïev-Ressovski n’est pas retourné en Union soviétique parce qu’il occupait une bonne position en Allemagne et était satisfait de son travail. En outre, Timofeïev-Ressovski était loyal à l’égard du régime fasciste, mais c’était pour la forme: dans nos conversations, il a exprimé des opinions négatives sur le système fasciste.»
Au printemps 1937, le consulat soviétique a refusé de renouveler le passeport de Timofeïev-Ressovski le pressant de retourner en URSS. Cependant, selon le scientifique, c’était parce qu’il avait reçu un message de l’académicien Nikolaï Vavilov (qui a été par la suite frappé de répressions) l’avertissant que la prison, voire quelque chose de pire, l’attendait s’il retournait là-bas. Timofeïev-Ressovski est donc resté en Allemagne nazie.
Au printemps 1945, Timofeïev-Ressovski a refusé de transférer son département à l’ouest de l’Allemagne. Il a réussi à conserver l’ensemble du personnel et des équipements de son service jusqu’à l’arrivée des troupes soviétiques. En avril 1945, l’administration militaire soviétique l’a nommé directeur de l’Institut de recherche sur le cerveau, mais le 13 septembre 1945, Timofeïev-Ressovski a été arrêté par le NKVD à Berlin, emmené à Moscou et emprisonné.
Le 4 juillet 1946, la Chambre militaire de la Cour suprême de la RSFSR a condamné le scientifique à dix ans de prison pour trahison. Néanmoins, lorsque l’URSS a eu besoin de ses connaissances pour créer une arme nucléaire, Timofeïev-Ressovski a été transféré au Site 0211 dans la région de Tcheliabinsk pour travailler sur la radioprotection. En 1951, il a été libéré et en 1955, son casier judiciaire a été supprimé.
En 1950, le chercheur a été nominé pour le prix Nobel pour ses recherches sur les mutations, mais les responsables soviétiques n’ont même pas répondu à la demande de la Suède qui voulait savoir si le scientifique était en vie. En 1964-1969, Timofeïev-Ressovski a dirigé le département de radiobiologie et de génétique de l’Institut de radiologie médicale de l’Académie des sciences médicales de l’URSS à Obninsk, où il est décédé en 1981.
La vie de Timofeïev-Ressovski est un exemple de la dépendance des scientifiques des opinions et des besoins immédiats de ceux qui sont au pouvoir.
* Le lieu de l’interrogatoire est donné à titre de supposition. Le lieu exact n’a pas pu être établi.
Source:
Documents du dossier d’enquête contre N.V. Timofeïev-Ressovski, Bulletin de l’Académie des sciences de Russie, 2000, Vol. 70, n° 3.