Projet Nuremberg. Le début de la paix a publié des extraits du livre Treblinka. Recherches. Mémoires. Documents par la Société historique militaire de Russie. Cet ouvrage est stupéfiant, même pour un lecteur avisé. Nous avons demandé à l’historien Konstantin Pakhaliuok, professeur associé de la chaire d’histoire nationale de Russie à l’université pédagogique de la ville de Moscou (MGPU) et directeur adjoint du département des sciences et de l’éducation de la Société historique militaire de Russie, qui a eu l’idée de ce livre et en a été le rédacteur en chef (il avait déjà sorti des recueils similaires sur les camps de Sobibor et de Majdanek), ce que représentait travailler sur ce projet et comment faire face à des découvertes parfois intolérables. Aujourd’hui, nous vous présentons la première partie de cette grande conversation.

Rappel historique: L’Enfer de Treblinka est un essai de Vassili Grossman. En novembre 1944, il a été publié dans le magazine Znamya, puis distribué sous forme de brochure lors du procès de Nuremberg. D’anciens prisonniers du camp d’extermination de Treblinka ont témoigné à Nuremberg. Les échos de cette époque monstrueuse se font encore entendre aujourd’hui: de nouvelles informations et de nouveaux faits ont été révélés et des documents auparavant inaccessibles ont intégré les archives. Le recueil Treblinka. Recherches. Mémoires. Documents réunit et valorise toute une série de sources et de matériaux. Il contient des résultats de travaux scientifiques sur l’histoire du camp, les collaborateurs qui ont commis les plus grandes atrocités – les Wachmänner/Trawnikis [gardes recrutés en Europe de l’Est] – les preuves qui contredisent les arguments des négationnistes. Il comprend également des mémoires inédits en russe, qui constituent des sources essentielles dans l’historiographie de l’Holocauste, mais aussi tout un ensemble de documents jamais publiés préparés par les enquêteurs soviétiques: des témoignages et procès-verbaux d’interrogatoire.

Konstantin Pakhaliuok, historien, directeur adjoint du département des sciences et de l’éducation de la Société historique militaire de Russie, qui a eu l’idée du livre Treblinka. Recherches. Mémoires. Documents et en a été le rédacteur en chef.
Konstantin Pakhaliuok, historien, directeur adjoint du département des sciences et de l’éducation de la Société historique militaire de Russie, qui a eu l’idée du livre Treblinka. Recherches. Mémoires. Documents et en a été le rédacteur en chef.
© Sputnik

Citation: «Il existe toujours un certain paradoxe: de nombreuses atrocités nazies sont bien connues du public russe, mais il n’existe pas d’études scientifiques à proprement parler en russe. Jusqu’à présent, c’était également le cas de Treblinka: ce camp de la mort, décrit par V.S. Grossman dès 1944, n’a malheureusement pas suscité l’intérêt des chercheurs russes, et les nombreux documents conservés dans les archives russes étaient peu connus. Cela est probablement dû en partie au fait que cette histoire n’était pas reconnue comme étant liée au passé de notre pays. Contrairement, par exemple, à Auschwitz ou Sobibor. En réalité, ce n’est pas tout à fait le cas.» Pourriez-vous préciser quelles sont, selon vous, les raisons pour lesquelles Treblinka est resté si longtemps à l’écart des grandes recherches russes? Après tout, Vie et Destin [roman de l’écrivain soviétique Vassili Grossman], si ce n’est au moment où il a été écrit, du moins à l’époque de l’après-perestroïka, avait déjà rendu compte du précédent «lien avec le passé de notre pays» et pourtant, pendant près de 40 ans, il «n’a pas suscité l’intérêt des chercheurs russes».

Treblinka, ce camp de la mort, décrit par V.S. Grossman dès 1944, n’a malheureusement pas suscité l’intérêt des chercheurs russes, et les nombreux documents conservés dans les archives russes étaient peu connus.
© Eric Schwab // AFP

- Jusqu’à présent, l’Holocauste n’avait pas vraiment été perçu comme "notre histoire". Oui, c’est une partie de l’histoire des crimes nazis; oui, c’est un drame juif, et pourtant c’est quelque chose qui n’est pas à nous, qui est étranger et donc facultatif et optionnel. Ce qui est triste. Après tout, dans une large mesure, les Juifs assassinés étaient des habitants de l’Union soviétique: jusqu’à 40% des 6 millions de victimes. Après tout, en tant que politique d’extermination physique cohérente, l’Holocauste débute sur le territoire soviétique. Après tout, les différentes stratégies nazies d’extermination et de suppression sont si étroitement liées, que dire "c’est le chagrin de quelqu’un d’autre, pas le nôtre" constitue une bassesse morale et un aveuglement. De même qu’aujourd’hui, on ne peut envisager le problème de l’environnement sous un angle "national", c’est-à-dire limité par les frontières des États, le drame des victimes des crimes nazis ne peut être inscrit dans un cadre national et étatique clairement défini et confortable. L’Holocauste fait autant partie de notre histoire que de celle de l’Europe et du monde.

Malheureusement, Treblinka n’attirait pas l’attention. Peut-être était-ce parce que l’essai de Vassili Grossman intitulé L’Enfer de Treblinka, publié en 1944, avait fait connaître le sujet et qu’il n’avait donc pas été davantage étudié.

L’Enfer de Treblinka est un essai de Vassili Grossman. En novembre 1944, il a été publié dans le magazine Znamya, puis distribué sous forme de brochure lors du procès de Nuremberg.
L’Enfer de Treblinka est un essai de Vassili Grossman. En novembre 1944, il a été publié dans le magazine Znamya, puis distribué sous forme de brochure lors du procès de Nuremberg.
© Sputnik

Bien sûr, l’accès restreint aux documents à l’époque soviétique a joué un rôle. Aujourd’hui, je pense qu’il est important de reprendre le travail pour surmonter ce mur: celui de la réticence à connaître et donc de l’incapacité à compatir vis-à-vis des victimes qui sont "différentes" des victimes qui sont "autres". Et c’est pourquoi le thème de Treblinka est si significatif».

Citation: «Les documents publiés ci-dessous ont été trouvés dans les Archives d’État de la Fédération de Russie: volet P-7021 (Commission d’État extraordinaire) et volet 7445 (matériaux du procès de Nuremberg). Le fait que certains des originaux des témoignages de prisonniers des deux camps se soient retrouvés dans ce dernier indique qu’ils étaient destinés à être utilisés lors du procès de Nuremberg. Ils ont même reçu le numéro de document de Nuremberg "URSS-436", qui figure sur la couverture du dossier, mais ces documents n’ont jamais été utilisés au procès.» Avez-vous des suppositions quant à la raison pour laquelle cela n’est pas arrivé?

- Nous n’avons pas d’information directe sur la raison pour laquelle ces documents n’ont pas été utilisés. D’une façon générale, on peut supposer que, puisque les témoins du procès de Nuremberg comme Rajzman* (nous avons publié les procès-verbaux de son interrogatoire par les enquêteurs soviétiques en 1944) avaient déjà soulevé le sujet de Treblinka, les procureurs soviétiques ont décidé de se concentrer sur d’autres sujets. La "question juive" n’était pas la tâche principale des Soviétiques, et puis la plupart des Juifs assassinés à Treblinka n’étaient pas des citoyens soviétiques. Malheureusement, il arrive que lorsque vous parlez de l’universalité du drame sans prêter attention aux détails, lorsque vous exprimez des drames privés dans un langage idéologique prétendument universel, on vous croit moins, et vous passez à côté d’histoires très importantes.

(*Samuel Rajzman, juif polonais emprisonné à Treblinka de septembre 1942 à août 1943, a été interrogé par le sous-lieutenant Iourovski le 26 septembre 1944, ndlr).

Samuel Rajzman, juif polonais qui avait été emprisonné à Treblinka de septembre 1942 à août 1943, a fait sa déposition le 26 septembre 1944.
© USHMM

Extrait du procès-verbal de l’interrogatoire de Samuel Rajzman sur le fonctionnement du camp de la mort de Treblinka, Wengrow, le 26 septembre 1944:

«Je ne donnerai que quelques exemples des faits dont j’ai été témoin. Un train est arrivé de Vienne. Parmi les autres, il y avait la sœur du célèbre professeur de psychologie autrichien Sigmund Freud, une femme d’une cinquantaine d’années. Directement sur le quai, elle s’est adressée à l’Untersturmführer Kurt Franz, commandant adjoint du camp, et l’a supplié de lui donner un travail facile de bureau, car elle n’avait pas de force et était comptable de profession. D’un ton étonnamment poli, Franz lui a demandé ses documents d’identité. Après les avoir examinés, il a courtoisement répondu: "Oui, vous êtes bien la sœur de Sigmund Freud. Écoutez, il y a eu une erreur. Vous n’êtes pas soumis à l’expulsion de Vienne. C’est bon, on va arranger ça. Vous rendrez tous vos biens et bijoux, prendrez un bain, puis je vous renverrai chez vous par le premier train." Il l’a conduite alors vers un horaire affiché sur le quai et, d’un ton très sérieux, lui a expliqué quel train elle devrait prendre. Il n’y avait aucun doute dans l’esprit de cette malheureuse femme quant à ces conseils de gentleman. En les suivant, elle a remis ses affaires à Franz et est allée dans les "bains-douches" dont elle n’est jamais revenue. En mai 1943, une de mes connaissances, Stein, professeur adjoint à la faculté de médecine de l’université de Varsovie, a été amené dans le camp. Il s’est présenté au Hauptsturmführer Stangl, commandant du camp, et lui a demandé un travail suivant son métier. Stangl lui a demandé d’attendre quelques minutes. Peu après, Kurt Franz est sorti avec son chien, Barry, et l’a lâché contre Stein, tout en restant en retrait, souriant et regardant le chien arracher la chair du corps de Stein. À moitié mort et couvert de sang, Stein a été transporté sur une civière jusqu’à l’"infirmerie" où il a été jeté dans le feu. Un jour d’automne 1942, un homme élégamment vêtu est descendu du train. Le Hauptsturmführer Stangl, qui se trouvait sur le quai à ce moment-là, l’a salué avec enthousiasme et l’a emmené à sa chancellerie comme un ami. Nous avons tous été très surpris, car l’homme qui était venu était juif. Stangl a flirté avec lui. Après un moment, ils sont tous deux sortis du camp. On a entendu un coup de feu. Stangl est rentré seul dans le camp, sans son compagnon, nous a ordonné de ramasser le cadavre et de le porter "au feu". Devant l’"infirmerie", nous avons retiré ses affaires et avons trouvé des documents, selon lesquels il était le frère de Surits, ambassadeur soviétique à Paris.»

Franz Stangl est l’ancien commandant de Treblinka. Il a réussi à très bien organiser l’extermination de personnes en obtenant l’approbation de ses supérieurs. Après la guerre, il a été fait prisonnier par les Américains, s’est échappé, a voyagé, a travaillé en Syrie et au Brésil. En 1967, il a été arrêté et envoyé en Allemagne. Le 22 décembre de la même année, le tribunal de Düsseldorf a prononcé sa condamnation à la prison à perpétuité. Stangl est mort en 1971 dans sa cellule d’une défaillance cardio-respiratoire.
© AP Photo

- Quelle réaction rencontrez-vous personnellement dans la communauté professionnelle après la publication des documents collectés et analysés? Si elle est critique, qu’est-il exactement critiqué? Si elle est condescendante ou indifférente, pourquoi une telle réaction, à votre avis? Avez-vous l’impression que quelqu’un est prêt à poursuivre les recherches sur cette question?

- Lorsque j’ai fait les premières annonces concernant la publication de ce recueil, il y a eu une réaction assez importante de la part de personnes très différentes, tant du point de vue professionnel que des opinions idéologiques et politiques. En Pologne, au Royaume-Uni, en Israël, il y a eu des manifestations d’intérêt. En d’autres termes, la pertinence de Treblinka dépasse les frontières nationales, culturelles et politiques. Car cette histoire, qui semble être "purement juive", s’avère être commune à tous les hommes. On peut prédire que cet ouvrage sera accueilli avec hostilité par ceux qui nient l’Holocauste. Comme ce fut le cas, par exemple, pour le recueil sur Majdanek: après sa publication, nous avons reçu des lettres de négationnistes offensés, disant que leurs textes n’avaient pas été inclus dans la section historiographique.

- Pourquoi?

- Parce que l’historiographie est une recherche scientifique axée sur la recherche de la vérité, tandis que la littérature des négationnistes est du journalisme bon marché. Cette fois, nous avons toutefois tenu compte de cette critique et, à ma demande, Sergueï Romanov a rédigé un article détaillant les mythes des négationnistes au sujet de Treblinka. Mais bien sûr, en Russie, le problème du déni de l’Holocauste est quelque peu différent: oui, il implique également la xénophobie et l’antisémitisme, mais il ne s’agit pas d’une réaction à une politique active de commémoration des victimes. Notez que jusqu’à récemment, il était plus facile de trouver des ouvrages en russe de ceux qui minimisaient l’ampleur de ce drame que de ceux qui l’étudiaient. Lorsqu’aujourd’hui on parle de l’Holocauste en Russie, la revendication principale est toujours différente: pourquoi ne parlons-nous pas avant tout de la destruction du peuple russe, du soi-disant "génocide du peuple soviétique". Mais derrière cela se cache toujours la "bonne vieille" incapacité à compatir.

- Que peuvent faire les négationnistes pour contrer vos conclusions?

- Absolument rien. De plus, les documents que nous publions prouvent une fois de plus que Treblinka était bien sûr un lieu d’extermination, et que tout ce que nous savons à son sujet est vrai en principe. Nous avons publié plus de 30 procès-verbaux d’interrogatoire dressés en août et début octobre 1944, par le parquet militaire soviétique dans le cadre de l’enquête sur les crimes commis dans les camps de Treblinka. Ces documents ont été pendant longtemps conservés aux Archives d’État de Fédération de Russie, certains ont été utilisés pour des recherches comme sources de citations. C’est la première fois qu’ils les ont publiés dans leur intégralité. À l’origine, l’histoire de Treblinka a été écrite à l’étranger avec des sources totalement différentes, et le fait que nos documents la corroborent est un indicateur important de la fiabilité de nos connaissances sur ce camp de la mort.

Évidemment, la perception du discours public sur Treblinka présente également d’autres dimensions. Il y a des personnes appartenant à une génération plus ancienne qui pensent que décrire les crimes nazis de manière aussi détaillée dans l’espace public n’est pas admissible. Il s’agit d’une sorte d’argument moral fondé sur une compréhension particulière de l’espace public: loin des normes éclairées (lieux où des individus rationnels échangent des opinions raisonnées). Certains pensent que l’accent doit être mis sur ce que l’on appelle le "génocide du peuple soviétique" et que, par conséquent, le sujet de Treblinka est une "question secondaire". C’est déjà une question d’emphase. Cela n’a rien à voir avec la signification de Treblinka (sa compréhension), mais avec la signification à lui donner. D’autres pensent qu’un tel ouvrage est nécessaire, mais pour une raison quelconque, ils considèrent qu’il s’agit d’une accusation contre les Polonais, alors que notre objectif n’était absolument pas d’attiser la haine ethnique. Oui, certaines pages soulignent la bassesse de nombreux Polonais qui ont trahi des Juifs (il s’agit d’un sujet très sensible, par exemple Samuel Willenberg, dans le dos de qui ont tiré les soldats de l’Armia Krajowa polonais pendant l’insurrection de Varsovie parce qu’il était juif). Mais il existe suffisamment d’autres histoires de Polonais qui ont aidé, caché, sauvé des Juifs. En définitive, la "polonophobie médiatique" qui se manifeste dans les textes de certains auteurs est temporaire, opportuniste et passagère, il est donc inutile d’y prêter attention.

Treblinka a été l’un des camps de la mort les plus efficaces en 1942 et c’est lui qui a eu la charge de la "solution finale de la question juive". Plus de 700.000 Juifs y ont été tués par intermittence au cours de l’année, de fin juillet 1942 à fin août 1943.
Treblinka a été l’un des camps de la mort les plus efficaces en 1942 et c’est lui qui a eu la charge de la "solution finale de la question juive". Plus de 700.000 Juifs y ont été tués par intermittence au cours de l’année, de fin juillet 1942 à fin août 1943.
© Archives d’État russes des documents cinématographiques et photographiques, projet Images de guerre

- Comment s’est déroulé le travail sur l’ouvrage, de l’idée à l’impression? Quelles sont les étapes que vous souhaitiez mettre en avant?

- L’idée est née complètement par hasard, alors que je terminais le recueil sur Majdanek et que je vérifiais les planches des documents par rapport aux originaux dans les archives. Je suis alors tombé sur un certain nombre de procès-verbaux d’interrogatoire de prisonniers des camps de Treblinka, ainsi que sur une traduction des mémoires de Jankiel Wiernik, qui s’était échappé du camp de la mort. Ils n’avaient jamais été publiés en russe, bien qu’ils soient connus à l’international comme l’une des sources clés de l’histoire de l’Holocauste. J’ai voulu préparer ces documents pour une publication, en faire une petite brochure. Léonid Terouchkine, mon collègue du Centre de recherche et d’éducation "Holocauste", a suggéré d’y inclure les mémoires de Samuel Willenberg, notamment parce qu’il était le dernier prisonnier survivant de Treblinka, que sa femme était toujours en vie, qu’elle parlait russe et qu’elle était au courant de la préparation de ce livre.

Nous avons commencé à travailler et nous avons rencontré un certain nombre de difficultés. Tout d’abord, il y a eu les difficultés relatives à la comparaison de la traduction des mémoires de Wiernik provenant des archives avec l’original polonais. J’ai demandé à Igor Joukovski, à l’époque chef de la Maison de la Russie à Varsovie, et à la traductrice Lidia Kovaleva de le faire. Ensuite, dès l’édition et la rédaction de commentaires de cette traduction, c’est moi qui ai réalisé une comparaison indépendante de celle-ci avec la première édition anglaise. Avec les mémoires en russe, anglais et polonais devant moi, j’ai procédé ligne par ligne en consultant la traductrice sur chaque différence trouvée. Et il s’est avéré qu’il y en avait de nombreuses, même dans la version anglaise, y compris concernant le nombre de morts. Ces inexactitudes sont notées dans les commentaires dans notre recueil. De même, Igor Joukovski nous a beaucoup aidés à comparer les mémoires de Willenberg. Nous nous sommes appuyés sur la première publication en hébreu, et Grigori Reichman, notre compatriote vivant en Israël, a accepté de faire la traduction. J’ai demandé à Igor d’aider pour la comparer avec la traduction en polonais, car c’était la langue maternelle de Willenberg. Nous avons découvert de nombreuses différences importantes: la version polonaise était plus détaillée et reflétait dans une plus grande mesure les péripéties des relations polono-juives pendant l’occupation nazie.

- Comment expliqueriez-vous ces différences?

- Dans le cas de Wiernik, je les attribuerais à la préparation à la hâte de la traduction à l’époque, à la réticence des traducteurs à se plonger dans les subtilités du langage littéraire, à une certaine nonchalance et à un manque de compréhension des métaphores, et aussi à une méconnaissance du contexte culturel. Par exemple, tout à la fin, lorsque le Wachmann [le garde] rattrape Wiernik en fuite, celui-ci riposte en le frappant à la poitrine avec une hache. Dans la version anglaise, le garde crie "Ah!", tandis que dans la version polonaise, il crie "P*tain de m*rde!". Bien entendu, de telles subtilités ne sont pas ressenties par un traducteur anglophone, alors qu’elles sont évidentes pour un russophone.

Quant à Willenberg, je pense que les différences sont liées au fait que les éditeurs en Israël ont simplement supprimé le contexte "peu intéressant", à leur avis. Et pas seulement celui polonais. Willenberg se souvient qu’en janvier 1945, les partisans polonais attendaient l’Armée rouge. Dans la version israélienne, toute la scène où ils accompagnent les soldats de l'Armée rouge, qui allaient prendre un des ponts tenus par les Allemands, a été supprimée. Il m’est cependant difficile d’expliquer les différences trouvées par des considérations politiques et de censure. Après tout, Willenberg a été l’un des organisateurs des voyages de la jeunesse israélienne en Pologne, sur les lieux du drame, et il serait pragmatique de corriger et de niveler la version polonaise.

Le mémorial sur le lieu où se trouvait le camp d’extermination a été créé au début des années 1960 suivant le projet des architectes polonais Adam Haupt, Franciszek Duszenko et Franciszek Strynkiewicz.
© AP Photo, ALIK KEPLICZ

D’ailleurs, l’attitude face au drame juif en Pologne de l’époque n’était pas simple. N’oublions pas l’antisémitisme qui a prospéré non seulement pendant l’occupation, mais aussi après la guerre: des pogroms de 1946 à la guerre des Six Jours, lorsque, au nom de la lutte contre le sionisme, les derniers Juifs ont été de fait expulsés. Dans la Pologne d’aujourd’hui, l’attitude est également assez contradictoire. Cependant, depuis les années 1990, l’Holocauste est au centre de la politique de commémoration à l’échelle européenne. Des dizaines de milliers de Juifs viennent en Pologne chaque année (soit un afflux de touristes et d’argent), c’est pourquoi il est impossible pour la Pologne de ne pas traiter le sujet de la tragédie juive. Mémoriaux, musées, monuments, articles-cadeaux, cérémonies, etc. Tout cela est nécessaire. Et on ne peut pas dire qu’il n’y ait pas de personnes et d’élites culturelles en Pologne qui ne sont pas prêtes à parler ouvertement de l’Holocauste et de la collaboration, qui était assez fréquente, des nationalistes polonais. D’autre part, pour la partie conservatrice de la société polonaise, cette discussion est un sujet très douloureux. Ils veulent voir les Polonais comme la victime idéale des deux régimes – celui d’Hitler et de Staline – plutôt que de diluer cette image au détriment de la réflexion morale. Naturellement, cela ne nie pas la monstruosité de la politique d’occupation nazie en Pologne, les fusillades de masse et les répressions dont nous ne savons pas grand-chose en Russie.

Le monument principal en granit de 8 mètres de haut est installé à l’emplacement des anciennes chambres à gaz. À côté, on voit une pierre portant l’inscription «Plus jamais ça» en plusieurs langues.
© AP Photo, ALIK KEPLICZ

Jankiel Wiernik est un survivant juif polonais de l’Holocauste. À Treblinka, il a travaillé, entre autres, pour le Sonderkommando. Il a pris une part active dans l’insurrection de Treblinka, au cours de laquelle il s’est échappé et a rejoint le mouvement de résistance. En 1944, il a publié ses mémoires Un an à Treblinka, qui sont devenus parmi les plus importants de l’Holocauste. Il a été témoin aux procès de Ludwig Fischer et d’Adolf Eichmann, ainsi qu’au procès de Treblinka.

Jankiel Wiernick est un survivant juif polonais de l’Holocauste. À Treblinka, il a travaillé, entre autres, dans le Sonderkommando (commando spécial). Il a pris une part active à l’insurrection de Treblinka, au cours de laquelle il s’est échappé et a rejoint le mouvement de résistance. En 1944, il a publié ses mémoires Un an à Treblinka, qui sont devenus parmi les plus importants de l’Holocauste. Il a été témoin aux procès de Ludwig Fischer et d’Adolf Eichmann, ainsi qu’au procès de Treblinka.
Jankiel Wiernick est un survivant juif polonais de l’Holocauste. À Treblinka, il a travaillé, entre autres, dans le Sonderkommando (commando spécial). Il a pris une part active à l’insurrection de Treblinka, au cours de laquelle il s’est échappé et a rejoint le mouvement de résistance. En 1944, il a publié ses mémoires Un an à Treblinka, qui sont devenus parmi les plus importants de l’Holocauste. Il a été témoin aux procès de Ludwig Fischer et d’Adolf Eichmann, ainsi qu’au procès de Treblinka.
© Domaine public

Extrait des mémoires de Jankiel Wiernik Un an à Treblinka:

«Un jour, un Oberscharführer avec un insigne SS est arrivé au camp et a donné des instructions pour créer un véritable enfer pour nous. C’est un homme d’environ 45 ans, de taille moyenne, toujours souriant, dont le mot préféré était "tadellos " ["impeccable"], d’où son surnom: "l’Impeccable". Son visage, très gentil, n’exprimait pas ce qu’il y avait dans son âme méchante. Il prenait un réel plaisir à regarder les torches brûlantes des cadavres. Cette flamme était un grand phénomène pour lui. Il la caressait du regard, s’allongeait à ses côtés, lui souriait et lui parlait. Il a allumé cet enfer de la manière suivante: il a adapté une machine qui déterrait les cadavres, un soi-disant bagger, qui sortait 3.000 cadavres à la fois. Une grille de rails en fer a été posée sur des poteaux en béton de 100 à 150 mètres de long. Les ouvriers mettaient les cadavres sur les barres et y mettaient le feu. Je ne suis pas jeune et j’ai vu beaucoup de choses dans ma vie, mais Lucifer lui-même n’aurait pu créer pire enfer. Peut-on imaginer une grille aussi grande pouvant accueillir 3.000 morts qui, il n’y a pas si longtemps, étaient encore en vie? Vous voyez leurs visages, il vous semble que dans une minute ces corps vont se décrocher et se réveiller d’un profond sommeil. Mais là, sur ordre, une torche est allumée, brûlant d’une flamme vivante. Si l’on se tient non loin, on a l’impression que ce sont les dormeurs qui gémissent, que les enfants sont sur le point de se lever et de crier "maman". La peur et la pitié vous envahissent, mais vous restez debout, travaillant en silence. Les bandits, debout près des cendres, rient sataniquement, un plaisir diabolique pétillant dans leurs yeux. À cette occasion, ils boivent de la vodka, les meilleures liqueurs, et grignotent des friandises. Ils se promènent et s’amusent, réchauffés par le feu. Même après la mort, le Juif se rend utile. C’est un hiver glacial, mais il y a un souffle de chaleur provenant des fours. Cette chaleur provient de la combustion des corps. Les bandits se réchauffent près d’eux, buvant, mangeant et chantant. Le feu s’éteint peu à peu, ne laissant que des cendres pour fertiliser cette terre silencieuse. La terre est trempée de sang humain et semée de cendres de corps humains. Alors elle sera féconde. Si elle pouvait parler, elle en dirait beaucoup. Elle sait tout et reste silencieuse. Les jours passaient, et les pauvres ouvriers s’affligeaient, mouraient, se tuméfiaient. Et jour après jour, le cœur des bandits se remplissait de fierté et de plaisir. Ils perfectionnaient l’enfer. Il faisait clair et chaud: les torches brûlaient, les traces des exécutés disparaissaient, nos cœurs saignaient. Et l’Obercharführer s’est assis près du feu, riant, le caressant du regard, lui disant "impeccable", voyant dans ce feu l’accomplissement de ses rêves et de ses audaces perverses. L’incinération des cadavres a réussi. Comme les Allemands voulaient gagner du temps, la construction de nouvelles grilles a commencé. Les équipes se sont multipliées et brûlaient entre 10.000 et 12.000 personnes à la fois. Un véritable enfer a été créé. En regardant le feu de loin, on aurait dit un volcan crachant du feu et de la lave. Tout autour, ça sifflait et crépitait. De près, il y avait tellement de fumée, de feu et de chaleur qu’on ne pouvait les supporter.»

En novembre 1941, les nazis ont ouvert un camp de travail (Treblinka 1) situé à environ 80 km au nord-est de Varsovie. En juillet 1942, un camp de la mort connu sous le nom de Treblinka 2 a été installé à proximité. Entre juillet 1942 et novembre 1943, environ 900.000 personnes y ont été assassinées. Les Allemands ont déporté vers Treblinka les Juifs du ghetto de Varsovie, des voïvodies de Radomsko, Bialystok et Lublin, ainsi que du camp de concentration de Theresienstadt et des zones occupées par les forces bulgares en Grèce (Thrace) et en Yougoslavie (Macédoine). En outre, des Roms et des Polonais ont également été assassinés à Treblinka 2.
En novembre 1941, les nazis ont ouvert un camp de travail (Treblinka 1) situé à environ 80 km au nord-est de Varsovie. En juillet 1942, un camp de la mort connu sous le nom de Treblinka 2 a été installé à proximité. Entre juillet 1942 et novembre 1943, environ 900.000 personnes y ont été assassinées. Les Allemands ont déporté vers Treblinka les Juifs du ghetto de Varsovie, des voïvodies de Radomsko, Bialystok et Lublin, ainsi que du camp de concentration de Theresienstadt et des zones occupées par les forces bulgares en Grèce (Thrace) et en Yougoslavie (Macédoine). En outre, des Roms et des Polonais ont également été assassinés à Treblinka 2.
© Sputnik, Alexandre Kapoustianski

- L’étape suivante consistait à préparer des procès-verbaux d’interrogatoire à la publication. Ensuite, Sergueï Romanov nous a fourni un certain nombre d’autres procès-verbaux qui n’étaient pas conservés dans la collection de la Commission d’État extraordinaire, mais à la Fondation de Nuremberg, ce qui a donc doublé le nombre de documents. Nous avons également préparé à la publication un certain nombre de témoignages sur le déroulement de l’enquête soviétique en août-octobre 1944.

Dans le même temps, nous travaillions sur le bloc de recherche. Mikhaïl Edelstein et moi-même avons écrit une introduction résumant l’histoire de Treblinka se basant sur des documents contemporains. En parallèle, j’ai proposé à Aron Chneer d’écrire un article sur les Trawnikis, et à Sergueï Romanov sur les négationnistes. C’est ainsi qu’on est arrivé à ce gros livre volumineux, alors que j’avais initialement pensé à une petite brochure.

Il est fondamental que le recueil Treblinka soit avant tout une œuvre collective. Un certain nombre de personnes ont accepté spontanément et de fait "au nom de l’idée" d’y participer. La science est une affaire collective, ce qui en améliore le résultat. Reichman a aidé non seulement à la traduction de Willenberg, mais aussi à la clarification de nombreux détails. Romanov a non seulement aidé à rédiger l’article, mais a aussi fourni les documents les plus intéressants. De même, Mikhaïl Edelstein, qui connaît très bien de nombreuses réalités de la vie juive et polonaise de l’époque. Léonid Terouchkine a aidé avec Willenberg à la rédaction des planches. Sans l’aide d’Igor Joukovski, nous n’aurions pas été en mesure de faire des recoupements sémantiques entre les différentes traductions. Nikolaï Khripouchine est archiviste, et lorsqu’il s’est avéré que nous ne pouvions pas vérifier un certain nombre de planches parce que nous avions une photocopie de très mauvaise qualité et que nous avions besoin de l’original, impossible à obtenir en raison du confinement, il a gentiment accepté, en tant qu’employé des archives, d’aider. Cela aussi est un indicateur de l’importance du sujet de Treblinka.

Une rangée de traverses en béton symbolise la section d’entrée du chemin de fer, qui se termine par un quai sur lequel les prisonniers étaient débarqués. Les pierres qui entourent le mémorial marquent les frontières de l’ancien camp de Treblinka.
© Tajchman Maria // Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International

Extrait de discussions sur le page Facebook de Konstantin Pakhaliouk:

«Sergueï Romanov: Il existe un phénomène intéressant d’"érosion du sens" en ce qui concerne les camps d’extermination: lorsque tout le monde, à un niveau culturel de base, semble avoir entendu parler du terrible Treblinka (par exemple Korczak, etc.), mais en fait ne sait rien à son sujet et ne peut pas le distinguer de Buchenwald ou de Dachau (en outre, Treblinka était appelé à tort "camp de concentration"). Je précise d’emblée qu’il ne s’agit pas d’un reproche adressé à la partie soviétique en particulier, puisque la même chose s’est produite à l’Ouest. Cela a contribué à la création d’une certaine image monolithique du système des camps de concentration et d’extermination dans l’esprit des gens ordinaires. Je pense à Nuit et Brouillard de Resnais. Alors que la plupart des camps d’extermination n’étaient pas des camps de concentration. Évidemment, le fait que le plus célèbre et le plus grand camp de concentration et le plus grand camp d’extermination étaient une seule et même chose, à savoir Auschwitz-Birkenau, a également joué un rôle.»

«Grigori Reichman: Nous parlions justement de Korczak avec "Mme Willenberg", comme j’appelle Adotchka, Ada Willenberg, et j’ai exprimé mon opinion sur la légende selon laquelle un officier allemand aurait proposé à Korczak de rester et de se conserver la vie à l’Umschlagplatz, elle l’avait entendue plusieurs fois de la part de survivants de l’Holocauste, originaires de Pologne. Les légendes, les mythes sont vivaces... On pense qu’il a été séparé des enfants et tué dans l’"infirmerie" où les personnes âgées étaient envoyées, tué au bord d’un fossé rempli de cadavres fumants, une balle dans la nuque.»

- En quoi Treblinka est-il unique? Comment formuleriez-vous la différence avec les autres camps de la mort?

- Il a été l’un des camps de la mort les plus efficaces en 1942 et c’est lui qui a eu la charge de la "solution finale de la question juive". Plus de 700.000 Juifs y ont été tués par intermittence au cours de l’année, de fin juillet 1942 à fin août 1943. C’était un processus à la chaîne bien organisé, bien mieux qu’à Belzec, qui a été fermé après que les 440.000 Juifs aient été tués parce qu’il n’y avait pas de place pour les enterrer. Treblinka est beaucoup plus grand que Sobibor, bien qu’il s’en soit "inspiré". Il diffère d’Auschwitz, qui était à la fois un camp de la mort et un camp de concentration et qui a eu la charge la plus importante de l’extermination en 1943-44, avec un pic en 1944 avec la suppression du ghetto de Budapest. À cet égard, Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz, a pris le relais d’Odilo Globocnik, chargé de l’"opération Reinhard", au cours de laquelle Treblinka a été créé.

Extrait du procès-verbal de l’interrogatoire de Shimon Tszegel sur le camp de travail de Treblinka et la situation des prisonniers juifs. Village de Kosow Lacki, le 22 septembre 1944:

«En juillet 1942, 350 Juifs ont été amenés au camp depuis Varsovie. Parmi eux se trouvait une centaine de garçons âgés de 12 ou 13 ans. Ces garçons et 30 hommes adultes sont restés dans le camp. Les 200 autres ont été abattus. Cette exécution a été dirigée par l’Unterscharführer Einbuch. Elle a été réalisée par des SS. Dans les derniers jours de juillet, je me souviens bien, un samedi, l’Untersturmführer Prefi a fait chanter des chansons à 100 garçons toute la journée. Le soir, il en a sélectionné 50 parmi les plus forts et a abattu les autres dans la forêt le même jour. Parmi les 50 garçons restés dans le camp, certains ont été envoyés le lendemain travailler à la gare de Malkinia. Deux garçons se sont échappés. Lorsqu’ils sont revenus au camp, en guise de punition, l’Unterscharführer Stumpe et le Gruppenwachmann Munke ont organisé la fusillade de 18 garçons. Je n’étais pas dans la forêt où ils ont été abattus. Sous mes yeux, ils ont tous été rassemblés et emmenés dans la forêt. En chemin, les gardes les ont frappés avec des bâtons et la crosse de leurs carabines. Quelques minutes plus tard, on a entendu une décharge. Les gardiens sont revenus sans les garçons. Il convient de noter que les Allemands et les gardiens n’emmenaient jamais les gens loin pour les fusiller. Non seulement ils n’avaient pas l’intention de cacher leurs atrocités, mais au contraire, ils ont tout fait pour que chacun d’entre nous soit au courant de leurs massacres.

Les docteurs Mihovsky puis Olzer examinaient régulièrement les prisonniers. Et ceux qu’ils trouvaient malades étaient emmenés par les Allemands dans la forêt pour être fusillés le même jour.

Le seul médicament dans le camp était une balle.

 

 

C’était à la mi-janvier 1943. Le Hauptsturmführer van Eupen, commandant du camp, a annoncé qu’il allait au ghetto de Varsovie pour les spécialistes. Le même jour, 37 Juifs malades, aux mains gelées et temporairement incapables de travailler, ont été affectés au camp. Ils ont reçu l’ordre de nettoyer les latrines et de transporter toutes les saletés sur des brancards dans les bois. Les deux premiers sont allés dans la forêt. Ils ne sont pas revenus. Le deuxième binôme est allé dans la forêt et n’est pas revenu non plus. Les autres ont compris ce qui se passait et ont refusé d’aller dans la forêt. Des gardiens, dont l’un s’appelait Mikola, sont alors sortis de la forêt et ont battu les autres à mort avec des bâtons. Mikola avait le don d’ôter la vie à un homme d’un seul coup sur la tête. Il donnait infailliblement un seul coup. C’était suffisant. Il était devenu à tel point habile pour ôter la vie des gens rapidement et facilement sans dépenser de plomb. Dans la cruauté, tous ces dégénérés étaient comme en compétition les uns avec les autres. En janvier, une cargaison de rutabaga a été apportée au camp. Un des travailleurs du camp a pris un rutabaga et a commencé à le manger. Prefi s’est approché de lui et lui a demandé d’ouvrir sa bouche pour lui montrer ce qu’il mangeait. L’ouvrier juif a obéi. Dès qu’il a ouvert sa bouche, Prefi a tiré avec son arme directement dans sa bouche. Celui-ci est tombé raide mort. Un soir de février, je rentrais à mon baraquement depuis le bureau du commandant où j’avais réparé une armoire. Tard dans la nuit, un par un, les travailleurs revenaient au camp depuis la gare de Malkinia. L’Unterscharführer Schwarz, le Rottenführer Weisser, le Gruppenwachmann Braun et Channikov se tenaient devant la porte d’un côté et de l’autre. Dès qu’un ouvrier entrait dans le camp, l’un des membres du groupe le poussait de l’autre côté, et celui d’en face le frappait à la tête avec un marteau en bois. Braun a été celui qui a le plus manié le marteau. Son seul coup de marteau ôtait la vie d’un homme. C’était un coup court et précis. Une telle virtuosité dans le domaine de l’homicide, Brown l’a atteinte. En avril, assis dans mon atelier, j’ai entendu un cri terrible. Lorsque j’ai regardé par la fenêtre, j’ai vu trois gardiens (je ne connais pas leurs noms de famille) couper avec des haches les têtes des travailleurs juifs. Ils ont tué 7 personnes. J’ai découvert un peu plus tard la raison de ce massacre sauvage. Un groupe de Juifs avait été envoyé dans la forêt pour travailler. Quelques-uns se sont échappés. Puis tous les autres ont été amenés au camp. Sept ont été tués à la hache. Les autres ont été battus à coups de bâton. Tous ces massacres ont toujours été exécutés par les gardiens au su et sur les instructions de l’Unterscharführer Einbuch. L’Unterscharführer Schwarz, on le voyait toujours avec un bâton dans sa main. Il aimait poser la question: "Veux-tu vivre?" (Willst du leben?). Lorsque la réponse était "oui", il frappait avec son bâton en guise de récompense. Je me souviens qu’en avril, nous, un groupe de travailleurs juifs, étions en train de déblayer la neige. Un membre de notre groupe, apparemment en raison de la fatigue, est allé aux toilettes. Schwartz l’a traîné hors des toilettes et lui a posé sa fameuse question: "Willst du leben?" ("Veux-tu vivre?"). Il a répondu: "Je le veux." Schwarz a levé son bâton et l’a frappé aussi fort qu’il le pouvait sur son torse. Celui-ci est tombé. Schwarz a posé la même question à l’homme, qui gémissait dans une terrible douleur. L’homme a dit à travers ses dents serrées: "Je le veux." Schwarz l’a encore frappé avec son bâton. Cette fois sur la tête. L’homme est mort.»

- Citation: «L’absence de crématoriums ne doit pas surprendre: il n’y en avait aucun dans aucun des principaux camps de l’"Opération Reinhard" [nom de code du programme d’État du Troisième Reich pour l’extermination systématique des Juifs et des Roms dans le gouvernement général de Pologne occupée, au cours duquel plus de 2 millions de Juifs et 50.000 Roms ont été tués dans les camps de la mort de Belzec, Sobibor et Treblinka de juillet 1942 à octobre 1943, ndlr].» Pourquoi n’y a-t-on pas construit de crématoriums, qui nous paraissent aujourd’hui faire partie intégrante du processus d’extermination?

Il n’y avait pas de crématoriums à Treblinka. Ils ont utilisé la destruction ouverte des cadavres, qui a été adoptée par la suite dans d’autres camps surpeuplés de prisonniers. C’est à Treblinka qu’a été établi expérimentalement qu’il valait mieux brûler non pas dans le sol, mais au-dessus de sa surface, et qu’il était mieux de disposer les cadavres de femmes et d’enfants au-dessus et sur le côté, car ils avaient un pourcentage plus élevé de graisse et brûlaient mieux.
Il n’y avait pas de crématoriums à Treblinka. Ils ont utilisé la destruction ouverte des cadavres, qui a été adoptée par la suite dans d’autres camps surpeuplés de prisonniers. C’est à Treblinka qu’a été établi expérimentalement qu’il valait mieux brûler non pas dans le sol, mais au-dessus de sa surface, et qu’il était mieux de disposer les cadavres de femmes et d’enfants au-dessus et sur le côté, car ils avaient un pourcentage plus élevé de graisse et brûlaient mieux.
© Projet Images de guerre.

- Pourquoi le faire? Un crématorium, cela coûte cher. La construction d’un crématorium demande beaucoup de travail. Un crématorium doit être entretenu. Il est pratiquement impossible de construire un crématorium qui brûle en masse des dizaines de milliers de personnes. À Auschwitz, les crématoriums ont été créés à l’origine pour éliminer les cadavres des prisonniers mourants. Lorsque l’expulsion des Juifs hongrois a commencé en 1944, la capacité des nouveaux crématoriums d’Auschwitz, dont la construction prenait relativement beaucoup de temps, n’était plus suffisante non plus, et les nazis sont passés à la destruction ouverte des cadavres. Comme ils le faisaient à Majdanek. On peut se souvenir de l’action menée en novembre 1943, peu après l’ouverture du grand crématorium: les cadavres étaient encore pour la plupart brûlés dehors, et non dans les fours. Cela s’est passé à peu près de la même façon. L’expérience de Treblinka a été utilisée à Majdanek et celle de Majdanek à Auschwitz. C’est à Treblinka qu’il a été établi expérimentalement qu’il valait mieux brûler non pas dans le sol, mais au-dessus de sa surface, et qu’il était mieux de disposer les cadavres de femmes et d’enfants au-dessus et sur le côté, car ils avaient un pourcentage plus élevé de graisse et brûlaient mieux.

- L’un des faits choquants est l’humanité dont on a fait preuve à l’égard des organisateurs et des participants à l’extermination massive dans les camps de la mort, une fois la guerre terminée et l’ampleur de ces crimes révélée*. Pourquoi ont-ils échappé aux arrestations jusqu’au procès de Treblinka dans les années 1960? Quels motifs ont guidé les juges qui ont prononcé de telles peines? Que doit-on penser de la «pitié» dont on a fait preuve à leur égard par la suite? Quel est votre avis à ce sujet?

L’un des personnages clés de Treblinka, l’Untersturmführer Kurt Franz, âgé alors de 28 ans, se distinguait par son extrême cruauté et son penchant sadique. Son chien Barry, qu’il lâchait contre les prisonniers, est également devenu célèbre. Lors du procès de Nuremberg, Kurt Franz a été qualifié de "principal meurtrier du camp". Franz s’est échappé de sa captivité américaine et a vécu à Düsseldorf pendant 10 ans jusqu’à sa nouvelle arrestation. En 1964-1965, lors du procès de Treblinka, Kurt Franz a été condamné à la prison à vie. Il a été libéré pour raisons médicales en 1993.
L’un des personnages clés de Treblinka, l’Untersturmführer Kurt Franz, âgé alors de 28 ans, se distinguait par son extrême cruauté et son penchant sadique. Son chien Barry, qu’il lâchait contre les prisonniers, est également devenu célèbre. Lors du procès de Nuremberg, Kurt Franz a été qualifié de "principal meurtrier du camp". Franz s’est échappé de sa captivité américaine et a vécu à Düsseldorf pendant 10 ans jusqu’à sa nouvelle arrestation. En 1964-1965, lors du procès de Treblinka, Kurt Franz a été condamné à la prison à vie. Il a été libéré pour raisons médicales en 1993.
© Domaine public

(*Josef Oberhauser a été condamné deux fois à de courtes peines et mis en liberté anticipée. Il a vécu en toute sécurité jusqu’en 1979. Kurt Franz n’a été arrêté qu’en 1959. Condamné à la perpétuité, il a été libéré en 1993 «pour raisons médicales». Willi Mentz a été arrêté en 1965, condamné à la prison à vie, mais libéré en 1978 pour les mêmes raisons médicales. Le SS-Oberscharführer Gustav Münzberger a été condamné à 12 ans de prison, le SS-Oberscharführer Otto Stadi à 7 ans, le SS-Unterscharführer Franz Suchomel à 6 ans (il en a fait 4 ans), le SS-Unterscharführer Erwin Lambert à 4 ans. La plupart des accusés condamnés à la prison à perpétuité ou à de longues peines de prison ont été libérés avant terme. Franz a été officiellement libéré en 1993 (mais dans les faits dès la fin des années 1970), et est mort en 1998. Mentz en mars 1978, trois mois avant sa mort, Miete en 1985 (mort en 1987), Münzberger en 1970 (mort en 1977), Suchomel fin 1967 (a vécu encore 12 ans).

- Il y a toute une série de raisons qui se chevauchent. Parce que quelqu’un savait comment bien se cacher. Parce que l’accent était mis sur la punition des criminels les plus importants. Parce que beaucoup pensaient qu’il était possible de se cacher en disant qu’ils n’avaient fait que "suivre les ordres". D’une manière générale, les années 1950 ont été une période de retour en arrière en matière de dénazification. En Allemagne, de nombreuses personnes liées aux crimes nazis ont continué à travailler à divers postes (principalement des juges ayant une expérience de la justice nazie), et il était naturellement difficile de chercher auprès d’elles de la sympathie et de l’objectivité sur la question des politiques d’extermination. La RDA a été beaucoup plus cohérente, mais là aussi cela n’a pas été simple: la culpabilité allemande remise sur les "fautes du capitalisme", rendant la réflexion morale publique non pertinente. L’exemple d’un gardien de Treblinka qui est devenu indicateur pour la Stasi et qui a donc été mis à l’abri de la justice et des requêtes de la RFA (il était prétendument "introuvable") est également bien connu.

Fedor Fedorenko, gardien au camp de Treblinka, a participé activement à des meurtres de masse. Après la guerre, il a essayé de se cacher aux États-Unis. Arrêté et remis par la justice américaine à l’URSS, il a été fusillé suivant le verdict de la justice soviétique en 1987.
Fedor Fedorenko, gardien au camp de Treblinka, a participé activement à des meurtres de masse. Après la guerre, il a essayé de se cacher aux États-Unis. Arrêté et remis par la justice américaine à l’URSS, il a été fusillé suivant le verdict de la justice soviétique en 1987.

Il convient de noter qu’en RFA, depuis les années 1950 environ, la question essentielle pour les procureurs était la nécessité de prouver la complicité volontaire d’une personne dans un crime. Et s’il s’agissait d’un acte prétendument ou effectivement involontaire, cela était pris en compte en guise de justification, suivant la théorie de la "culpabilité subjective". C’est pourquoi beaucoup, comme Suchomel par exemple, ont prouvé qu’ils n’avaient personnellement tué personne, qu’ils étaient personnellement contre les meurtres, mais qu’ils ne pouvaient pas s’opposer au système criminel. Et s’il n’y avait pas de preuves légalement acceptables contre eux, ces complices recevaient des peines mineures. Naturellement, si les survivants témoignaient en masse du sadisme et de la cruauté de Kurt Franz, par exemple, cela constituait une preuve de complicité volontaire. Il n’est dès lors pas étonnant qu’il ait été condamné à la prison à perpétuité. Si la personne occupait un poste administratif, elle écopait d’une peine moindre, et pouvait même être acquittée. Certes, depuis l’affaire Demjanjuk*, la justice ouest-allemande est revenue au critère initial (appliqué juste après la guerre) de la "culpabilité objective": si une personne était là au moment des faits, elle est par définition coupable. Il y a, par exemple, l’histoire curieuse d’Oskar Gröning, comptable à Auschwitz, qui, pendant très longtemps, à partir des années 1980, lorsque les négationnistes apparaissaient, se levait et déclarait: "Non, j’étais là et nous avons effectivement tué des Juifs". En 2015, il a été condamné à plusieurs années de prison. Il a accepté la sentence, mais n’est jamais allé en prison, mourant de vieillesse pendant la procédure d’appel. Il existe également d’autres cas. L’un des gardiens de Sobibor a été acquitté parce que d’anciens prisonniers ont intercédé en sa faveur. L’histoire n’offre pas de réponses simples à cette question. Mais je suivrais quand même Hannah Arendt en faisant la distinction entre culpabilité et responsabilité. La question de la culpabilité est une question qui relève de la justice et de la loi. La question de la responsabilité est une question d’opinion publique et de jugement moral. Il ne faut pas confondre ces deux logiques de raisonnement.»

(*Ivan (John) Demjanjuk est un ancien citoyen américain et soviétique accusé de crimes de guerre à l’époque où il était gardien dans plusieurs camps de concentration nazis. Lors de son dernier procès en Allemagne, il a été accusé de complicité dans le meurtre de plus de 28.000 personnes au camp de Sobibor. En mai 2011, après 18 mois de procès, il a été condamné à 5 ans de prison, mais la sentence n’a pas été appliquée: la cour d’appel n’a pas eu le temps de rendre son verdict car l’accusé est décédé à l’âge de 92 ans. Pour cette raison, Demjanjuk est resté officiellement présumé innocent. En janvier 2020, des photographies jusqu’ici inconnues du camp de Sobibor ont été découvertes, montrant le garde Demjanjuk, connu pour son attitude particulièrement brutale à l’égard des prisonniers).

Comme Fedorenko, Ivan Demjanjuk, un autre gardien, a émigré aux États-Unis, mais a été retrouvé et accusé de crimes commis pendant son service à Treblinka. L’affaire Demjanjuk s’est étalée sur plus de 30 ans, touchant plusieurs pays. En 1986, il a été extradé des États-Unis vers Israël et, sur la base de témoignages d’anciens prisonniers de Treblinka,il a été identifié comme un garde connu pour sa cruauté, surnommé «Ivan le Terrible». En 1988, Demjanjuk a été condamné à mort. Toutefois, cinq ans plus tard, le verdict a été annulé par la Cour suprême d’Israël: il s’est avéré qu’«Ivan le Terrible» était Ivan Martchenko, et que Demjanjuk avait servi en tant que gardien non pas à Treblinka, mais à Sobibor. Demjanjuk est retourné aux États-Unis, où il a été à nouveau déchu de sa nationalité américaine et remis aux autorités de la RFA. Condamné à cinq ans de prison, il est mort dans une maison de retraite en Allemagne de l’Ouest en 2012.
© AP Photo

Extrait du procès-verbal de l’interrogatoire de Mendel Korytnicki, ancien membre de l’équipe de travail de Treblinka. Village de Wolka Dolna, 23 septembre 1944:

«Les gardes punissaient sévèrement la moindre tentative de communication avec quiconque à l’extérieur du wagon. Toute la nuit, on entendait les coups de feu des gardes et les cris des gens dans les wagons. Pour une seule demande l’eau dans un wagon, les gardes, sans prononcer le moindre mot, tiraient sur le wagon. Il n’est donc pas étonnant qu’à Treblinka, lorsque les wagons étaient ouverts, certains d’entre eux fussent à moitié remplis de morts. Le train s’est d’abord arrêté non pas au camp de Treblinka, mais à la gare de Treblinka, à 2 kilomètres du camp. Nous avons interrogé les personnes à la gare où on nous emmenait. Elles ont toutes eu des réponses différentes. Mais j’ai un bon souvenir des garçons qui nous ont dit: "Vous allez faire deux kilomètres, et là vous n’aurez qu’une demi-heure à vivre".»

«Nous avons demandé aux personnes à la gare où on nous emmenait. Elles ont toutes eu des réponses différentes. Mais j’ai un bon souvenir des garçons qui nous ont dit: "Vous allez faire deux kilomètres, et là vous n’aurez qu’une demi-heure à vivre".» Extrait du procès-verbal de l’interrogatoire de Mendel Korytnicki, ancien membre de l’équipe de travail de Treblinka.
© USHMM

Extrait du procès-verbal de l’interrogatoire de Franciszek Zabecki, surveillant à la gare de Treblinka en 1941-1944. Gare de Treblinka, 24 septembre 1944:

«Les trains qui amenaient les gens au camp de la mort pour être exterminés étaient généralement constitués de wagons de marchandises. Les portes des wagons étaient hermétiquement fermées et les fenêtres étaient recouvertes de fil barbelé. Chaque train était gardé par un groupe de jusqu’à 40 hommes. Chaque wagon était rempli de gens. Chaque wagon était marqué à la craie d’un signe indiquant le nombre de personnes qu’il contenait. Jusqu’à 200 personnes étaient transportées dans un wagon, ce qui le rendait terriblement étouffant. Les gens dans les wagons se déshabillaient et demandaient de l’eau par les fenêtres. Des gardiens – Allemands, Ukrainiens et Lettons– prenaient bijoux et argent, promettant de leur donner à boire, mais dans la plupart des cas, ils prenaient leurs objets de valeur, mais ne leur donnaient presque pas d’eau en retour. Les gardiens qui gardaient les wagons étaient ivres et, en réponse aux demandes d’eau des personnes, ils ouvraient le feu sur les wagons. Très souvent, ces gardes tiraient sur les personnes dans les wagons sans aucune raison. Lorsqu’un train arrivait à la gare pour être détruit dans le camp de la mort, il y avait des tirs continus. Ce sont, comme je l’ai dit plus haut, les gardiens ivres qui tiraient sur les gens dans les wagons. Il était courant que dans la plupart d’entre eux il y ait des cadavres de personnes mortes dans des conditions insupportables et qui avaient été tuées par les gardiens. Les Allemands les traitaient comme une quantité négligeable. Dans ces conditions cauchemardesques, ils transportaient vers le camp des femmes qui, pendant le trajet, donnaient naissance à des enfants, qui mouraient soit dans les wagons, soit plus tard dans le camp de la mort. Je me souviens d’un cas. En août ou septembre 1942, un train est arrivé à la gare de Treblinka. Il est arrivé dans la soirée, et le camp n’a accepté le train que le lendemain matin. Pendant la nuit, les prisonniers de plusieurs wagons ont enlevé les barbelés des fenêtres des wagons pour essayer de s’échapper, mais les gardiens ivres ont ouvert le feu, tuant beaucoup d’entre eux. Toutes les voies de la gare ferroviaire étaient jonchées de cadavres. Le lendemain, il a fallu trois plateformes pour enlever ces cadavres.»

Lorsqu’un train amenant les prisonniers au camp de la mort où ils devaient être exterminés arrivait à la gare, il y avait des tirs continus. Ce sont les gardiens qui tiraient sur les gens dans les wagons.
© Eric Schwab // AFP

Extrait de l’article d’Aron Chneer Le camp de la mort de Treblinka à travers les yeux des gardiens/Trawnikis:

«Pavel Leleko, qui, en août 1942, a accompagné un wagon de Juifs du ghetto de Varsovie à Treblinka et a été laissé au camp avec 30 autres gardiens qui avaient gardé le train, a témoigné le 20 février 1945 lors de son interrogatoire au 4e département du SMERSH [transcription anglaise d'un acronyme russe pour «Смерть шпионам!», Smert' chpionam!, qui signifie «mort aux espions!» et était le nom utilisé pour désigner les services de contre-espionnage militaire durant la Seconde Guerre mondiale] du deuxième front biélorusse: "Lorsque le wagon était plein, l’Allemand chargé du chargement y entrait et commençait à fouetter les visages et les corps avec un fouet en caoutchouc à pointe métallique [...] La foule dans le wagon se mettait à crier, s’entassait sur les côtés, et d’autres personnes étaient poussées dans le wagon. Puis la porte du wagon se fermait. Le chargement s’est poursuivi pendant encore deux heures. Ceux qui tentaient de s’échapper ou résistaient étaient abattus par les gardes. Les cris et les gémissements ont continué tout au long du chargement. Après environ une demi-heure, le train, qui comptait jusqu’à 60 wagons, s’est dirigé vers l’est. Pendant les arrêts qu’on a faits, environ cinq, nous encerclions le train pour empêcher toute évasion et empêchions la population polonaise de s’approcher des wagons pour vendre ou donner aux prisonniers de l’eau ou de la nourriture. Les gens dans les wagons suffoquaient à cause de la chaleur et de la soif, les cris ’à boire’ ou ’de l’eau’, les gémissements, les cris, les hurlements des gens qui devenaient fous, les cris des blessés mortels venaient sans cesse des wagons. Sous les yeux des gardes, des personnes désespérées tentaient de sortir par les fenêtres et de fuir, mais elles étaient abattues […].

Les gardiens accompagnaient les trains avec des prisonniers, les accueillaient à la gare, triaient leurs affaires et dirigeaient certains vers les chambres à gaz. Ils pouvaient tuer des Juifs presque sans entrave.
© USHMM

[...] À l’un des arrêts, une jeune femme avec un bébé a réussi difficilement à passer sa tête par la fenêtre et, tenant son bébé devant elle, a commencé à pleurer bruyamment pour avoir un verre d’eau pour le bébé. L’un des Allemands lui a tiré dessus, la femme a été tuée, ses mains se sont desserrées et elle est retombée dans le wagon. L’enfant est tombé du haut sur les traverses. L’Allemand, qui avait tiré sur la femme, s’est approché de l’enfant qui saignait, l’a saisi par sa robe et a essayé de jeter l’enfant dans le wagon par la fenêtre. Mais il a échoué. L’enfant a heurté la paroi du wagon et est retombé sur les traverses. L’Allemand a alors pris un long bâton, y a enroulé les vêtements de l’enfant et l’a poussé dans le wagon par la fenêtre. Les Allemands et les policiers présents à cette scène riaient joyeusement. Les tirs sur les wagons résonnaient sans cesse. Les gens passaient leurs mains par les fentes avec de grosses sommes d’argent, suppliant de leur donner une seule gorgée d’eau. Les Allemands et les policiers prenaient l’argent, mais ne donnaient pas d’eau. Un Allemand a sorti son épée de son fourreau. Il s’est approché sans bruit du wagon d’où sortait le bras d’une femme avec un paquet d’argent serré dans le poing, et d’un coup sec a abattu le sabre sur son bras. Le bras, qui a été coupé presque jusqu’au coude, est tombé, éclaboussant de sang les vêtements de l’Allemand. Ignorant cela, il s’est dirigé vers le bras coupé, a desserré les doigts et, prenant l’argent, l’a glissé dans sa poche. Puis il a sorti un billet, et a essuyé son sabre. J’ai pris 1.000 zlotys à un prisonnier, mais je ne lui ai pas apporté d’eau. Les habitants essayaient de donner de l’eau aux prisonniers, mais nous les chassions, leur prenions de l’eau pour en jeter sur le sol.»

Pour une simple demande d’eau dans un wagon, les gardes, sans prononcer le moindre mot, tiraient sur le wagon. Il n’est donc pas étonnant qu’à Treblinka, lorsque les wagons étaient ouverts, certains fussent à moitié remplis de morts.
© USHMM

Extrait de la discussion sur la page Facebook de Konstantin Pakhaliouk:

«Konstantin Pakhaliouk: Près d’une cinquantaine d’Allemands ont servi à Treblinka, dans d’autres camps de la mort aussi. Il n’y avait pas beaucoup d’Allemands à Babi Yar ou à Khatyn. Ou dans les Einsatzgruppen, ou groupes d’intervention. Leurs punitions sévères n’auraient pas tué la nation, et d’autres, voyant cela – soudainement! – n’auraient pas appelé à une vengeance à grande échelle. Je ne voudrais pas généraliser ou occulter le point principal: la "clémence" excessive de la justice à l’égard de ceux qui sont parfaitement coupables. C’est ce qui génère cette vague de contre-pression: une colère juste.»

«Sergueï Romanov: Il n’était pas nécessaire de fusiller tout le monde, seulement les meurtriers, etc. La plupart des Allemands de sexe masculin ne tombaient sous le coup d’aucune loi raisonnable relative au meurtre. La logique en Allemagne de l’Ouest (où la peine de mort a été abolie en 1949) était alors simple: on juge selon notre code pénal, dans l’article 211 du Code pénal le meurtre est défini de façon non triviale, il faut de faibles motivations, c’est-à-dire le meurtre devait être commis pour des raisons mesquines (satisfaction sexuelle, enrichissement, etc.). Un ordre qui ne constituait donc pas une indulgence totale, requalifié de meurtre en complicité de meurtre, c’est-à-dire la complicité pour laquelle des peines assez modestes étaient prévues. Des peines majeures ont été prononcées à l’encontre de ceux pour qui il a été possible de prouver que les crimes avaient été commis en dehors des ordres officiels, en plus de ceux-ci. Cela dit, le fait que le noyau de l’actuel paragraphe 211 avec ses arguties, formulé en 1941 sous Freisler, ajoute bien sûr du piment à toute cette situation.»

Camp de concentration de Treblinka, 1944.
Camp de concentration de Treblinka, 1944.
© Sputnik, Alexandre Kapoustianski