Le procès de Nuremberg a servi de base à la philosophie et à la pratique d’un humanisme d’après-guerre en marquant le début d’un monde nouveau. Mais les caractéristiques de ce monde-là étaient apparues un peu plus tôt, quand l’armée soviétique est entrée dans la capitale de son ennemi mortel, dans le Berlin vaincu, qu’elle a hissé sa bannière au-dessus du Reichstag et sauvé des millions d’Allemands de la famine.
Nous connaissons les combats acharnés à Berlin, la signature de la reddition inconditionnelle, la division ultérieure de la ville en zones d’occupation. Mais savons-nous ce qu’ont fait nos soldats en arrivant, lorsque la ville détruite et ses deux millions d’habitants affamés (car l’approvisionnement avait été arrêté depuis deux semaines) se sont rendus à la merci des vainqueurs?
Notre armée avait la légitimité –à la fois morale et militaire– de faire ce qu’elle voulait de cette Berlin. Nos soldats ont parfois été dépeints comme des pillards et des meurtriers. Deux millions de femmes allemandes auraient été violées par des militaires soviétiques, actes pour lesquels la Russie a dû se repentir dans les années 1990 et 2000. Dans la réalité, les choses se sont déroulées de façon plus prosaïque: au lieu de violer deux millions de femmes allemandes, l’armée russe a nourri un million d’enfants et un million de femmes et de personnes âgées.
La population de Berlin, où il n’y avait ni eau ni électricité, était alors composée de vieillards, de femmes et d’enfants. Le métro avait été inondé, l’armée allemande avait fait sauter les ponts et les communications étaient réduites à néant. Les cadavres et les animaux morts jonchaient les rues bordées des ruines de bâtiments détruits. Les habitants affamés buvaient l’eau des rivières et des canaux pollués par les charognes, ils prélevaient directement la viande de chevaux tués dans la rue.
Le 24 avril 1945, le colonel général, commandant de la 5e armée de choc, héros de l’Union soviétique Nikolaï Berzarine est devenu le commandant militaire de Berlin.
«Goebbels a affirmé que les Soviétiques détruiraient la nation allemande, mais ils ont commencé par la nourrir», a écrit l’historien allemand Peter Jahn, premier directeur du musée germano-russe Berlin-Karlshorst et auteur d’un livre sur Nikolaï Berzarine.
Les premières mesures visant à fournir de la nourriture aux Berlinois ont été prises à la fin du mois d’avril. À mesure que les troupes soviétiques s’avançaient dans Berlin, des cuisines de campagne ont été rapidement déployées où les civils pouvaient recevoir gratuitement de la soupe et du porridge.
Pour prévenir les épidémies, les médicaments et les vaccins ont été livrés depuis l’URSS par avion et par train. En mai 1945, en moins d’un mois, trois millions de personnes ont été vaccinées. Trois millions en moins d’un mois dans une ville en ruine: un chiffre record!
L’armée soviétique n’a pas apporté que de la nourriture aux Berlinois. Les rues ont été rapidement débarrassées des décombres, des travaux ont été entrepris pour restaurer les bâtiments et les systèmes sanitaires de la ville, les services de police et de pompiers ont été rétablis, le métro et le tramway ont été remis en état de marche, les banques et les salons de coiffure ont repris leurs activités.
L’introduction d’un système de rationnement alimentaire a empêché l’émergence d’un marché noir. Les théâtres, les salles de concert et les cinémas ont pu à nouveau accueillir du public pour que les Berlinois puissent oublier les horreurs de la guerre. Dès le 1er juin, les écoles et les jardins d’enfants ont rouvert leurs portes. Les enfants de moins de 8 ans ont commencé à recevoir une ration de lait supplémentaire, le fameux lait pour les enfants de Berlin.
Nulle part ailleurs dans l’Allemagne d’après-guerre le retour à la vie paisible n’a été plus rapide qu’à Berlin.
Ce n’est pas de l’humanisme ponctuel, mais une politique voulue à long terme de la part des dirigeants soviétiques. Le sens de la charité et l’extraordinaire talent de gestionnaire de l’officier soviétique Nikolaï Berzarine ont été pour beaucoup dans cette reconstruction. Il aurait pu enseigner comment restaurer les villes détruites. Ceci brisait un autre stéréotype selon lequel «les gens de l’Est» ne savaient que se battre, qu’ils n’étaient pas adaptés à une vie paisible et qu’ils avaient vaincu l’ennemi en «le submergeant de cadavres».
La politique humaniste des dirigeants soviétiques envers leur ennemi mortel est une page presque oubliée de l’histoire. Le nom du général Berzarine n’est pas très connu, à l’exception des historiens. Les événements de mai-juin 1945 sont rarement évoqués et ne sont représentés ni dans la culture de masse ni dans la conscience publique.
Si on demande ce qu’a fait l’Armée rouge dans la ville pendant deux mois, jusqu’à l’arrivée des alliés en juillet, peu de personnes sauraient répondre. Ce qui se dit généralement, c’est qu’elle a fêté sa victoire, profité d’une ville européenne propre et confortable, mangé des saucisses, bu de la bière bavaroise.
On se souvient rarement de l’exploit non militaire de l’Armée rouge, du grand humanisme des vainqueurs et du talentueux gestionnaire, le colonel-général Nikolaï Berzarine qui, dans les plus brefs délais, a permis à la ville détruite de revenir à une vie paisible et a sauvé de nombreuses personnes.
La présence soviétique d’après-guerre en Allemagne est aujourd’hui présentée de manière majoritairement négative, en particulier dans les médias étrangers. Très peu sont ceux qui connaissent ou ont entendu parler des pages positives de l’histoire. Le projet éducatif «Le dernier exploit du général Berzarine», qui se déroule à Moscou et à Berlin, vise à combler cette lacune.
Sur les quatorze stands de l’exposition en ligne (ссылка), nous expliquons comment, au printemps 1945, l’URSS a reconstruit le Berlin d’après-guerre dans la foulée de la reddition. Prochainement, des expositions ouvriront dans les écoles et les musées de Moscou. L’une des sections est consacrée à la politique nazie dans les territoires occupés pendant la guerre, à l’extermination délibérée de civils soviétiques, aux camps de concentration d’enfants en Union soviétique. Vous verrez la différence.
Au cours de l’exposition, on peut voir des documents et des photographies peu connus, dont certains proviennent des archives personnelles de la famille Berzarine, des Archives d’État des documents cinématographiques et photographiques, de TASS, du Musée de la défense de Moscou et d’autres sources. L’exposition a été montée par l’organisation publique régionale Ozon avec le soutien du Fonds des subventions présidentielles et du fonds Histoire de la Patrie.
Natalia Androssenko, coordinatrice du projet «Le dernier exploit du général Berzarine» spécialement pour «Nuremberg. Le début de la paix».