L’interrogatoire d’Ernst Kaltenbrunner, chef du Reichssicherheitshauptamt (Office central de la sûreté du Reich, RSHA), est peut-être l’exemple le plus frappant de la manière dont les accusés de Nuremberg louvoyaient pour tenter de se dérober à leurs responsabilités. Le chef des services de renseignement du Reich a juré qu’il n’était pas au courant des atrocités commises par ses subordonnés ou bien qu’il ne pouvait pas les influencer. Il a qualifié de mensonges les déclarations de nombreux témoins, a contesté sa propre signature sur des ordres criminels. Au procès, il s’est présenté comme un démocrate qui défendait les droits de l’homme et n’avait pas peur de remettre en question même les ordres du Führer.

Jusqu’à récemment, ce texte est resté presque inconnu du public russophone, seuls quelques fragments ayant été traduits en russe et de nombreuses phrases de l’interrogatoire qui a eu lieu les 11 et 13 avril ayant été coupées. Aujourd’hui, dans le cadre du projet Nuremberg. Le début de la paix, sont publiés pour la première fois les échanges les plus révélateurs entre Kaltenbrunner et son avocat et des procureurs.

Commentaire de Sergueï Mirochnitchenko, avocat, chercheur en droit international, traducteur des minutes du procès de Nuremberg:

Kaltenbrunner, qui était devenu chef du RSHA en janvier 1943, au moment des premiers revers militaires allemands, s’est présenté au procès comme une personne qui avait activement lutté contre Hitler, contre la machine de destruction nazie, en affirmant ne pas être au courant des crimes des nazis jusqu’à un certain moment.

Contrairement aux autres accusés, il a vivement dénoncé le régime nazi, a reconnu l’existence d’informations sur le programme d’extermination des Juifs et a également divulgué les détails de ses négociations avec les Américains à la fin de la guerre. Kaltenbrunner a expliqué sa nomination au poste de numéro deux des services spéciaux par la nécessité d’introduire «l’esprit démocratique» autrichien dans le système de sécurité du Reich. En réalité, il est fort probable que Kaltenbrunner ait été nommé, car, étant une personne relativement nouvelle, il pouvait devenir un lien entre les dirigeants nazis et les pays occidentaux.

Kaltenbrunner au procès de Nuremberg

Quand Kaltenbrunner parle du «nouveau droit pénal», qu’il qualifie d’erreur, il parle des modifications apportées au Code pénal allemand de 1872. Ces amendements ont été adoptés en 1933 et ont introduit un nouveau type de sanction: détention préventive, c’est-à-dire l’envoi de «personnes suspectes» dans des camps de concentration sans jugement et même sans inculpation. Lors du procès de Nuremberg, le placement de personnes dans des camps de concentration sur la base d’ordonnances de détention préventive a été imputé aux accusés comme faisant partie d’un complot en vue de préparer la guerre.

Kaltenbrunner affirme également qu’il n’a pas signé d’ordres criminels: cela aurait été fait par ses subordonnés, en suivant la pratique existante (l’hypothèse selon laquelle l’ancien chef du RSHA, Reinhard Heydrich, connu comme un dirigeant extrêmement dur, aurait délégué le droit d’apposer sa signature à d’autres personnes est complètement absurde). Au même moment, l’ancien commandant du camp de concentration d’Auschwitz, Rudolf Höss, a déclaré au procès qu’il avait vu plusieurs ordres relatifs à l’exécution de prisonniers portant la signature authentique de Kaltenbrunner.

Kaltenbrunner avait-il un vrai pouvoir?

«Pour commencer, je voudrais déclarer que j’accepte la responsabilité de tout le mal qui a été commis au sein du RSHA, depuis que j’en ai été nommé chef, dans la mesure où cela s’est produit sous ma supervision, ce qui signifie que j’étais au courant ou que j’aurais dû l’être. […]

J’ai même expliqué [en décembre 1942] à Himmler quels étaient les points fondamentaux sur lesquels j’étais en opposition avec le national-socialisme, la politique intérieure du Reich, sa politique extérieure, son idéologie et les violations du droit commises par le Gouvernement lui-même. Je lui ai déclaré carrément que l’administration du Reich était trop centralisée […] Je lui ai dit que la création d’un nouveau droit pénal allemand, tel qu’il avait été conçu, était inopportune […] Je lui ai dit également qu’en Autriche, on n’acceptait pas les concepts de détention préventive et de camp de concentration, mais que tout accusé entendait être traduit devant un tribunal militaire.

Je lui ai déclaré que l’antisémitisme en Autriche s’était développé d’une façon totalement différente et qu’il fallait également envisager ce problème sous un autre angle. […] En Autriche, on comprenait difficilement que les lois de Nuremberg aient pu aller au-delà de ce qui était délimité dans le programme du Parti. En Autriche, dès 1934, il y avait une politique pacifique et réglementée permettant l’émigration des Juifs. Toute persécution personnelle ou physique des Juifs était inutile. […]

J’ai dit à Himmler qu’il savait très bien que je n’étais nullement formé aux affaires de police, que mon activité avait été limitée au service de renseignements et que, par conséquent, en prenant la direction du RSHA, je refusais non seulement d’avoir affaire aux organismes exécutifs tels que la Gestapo et la Police criminelle, mais je lui ai dit que la tâche qu’il voulait me confier, c’est-à-dire la création d’un service de renseignements, m’empêcherait en fait de le faire. […]

Après un entretien avec Hitler, en décembre 1942, il m’accorda cette exemption parce que je ne voulais pas me charger du RSHA dans les conditions qu’il m’avait offertes à savoir que les départements exécutifs dirigent le département comme auparavant. Il fut si fâché qu’il ne me tendit pas la main et me manifesta son mécontentement de diverses autres façons dans les semaines qui suivirent.

[…] J’ai supposé que, puisque je l’avais demandé, on allait me donner un poste au front. […] Mais je me trompais. Il [Himmler, nldr] m’a dit:

“Je me suis entretenu avec le Führer et celui-ci considère qu’il est nécessaire de centraliser et de réorganiser le service de renseignements. Il entamera les négociations nécessaires avec la Wehrmacht et vous aurez à organiser et à développer ce service de renseignements.” Il maintint encore que Müller, Nebe et moi-même nous occuperions directement des départements exécutifs. [...]»

Pourquoi Kaltenbrunner n’a-t-il pas eu connaissance des ordres portant sa signature?

«Je déclare formellement ici que les tâches spéciales qui étaient confiées à Heydrich, celles, par exemple, concernant la solution finale du problème juif, m’étaient alors non seulement inconnues, mais encore n’entraient pas dans le cadre de mes fonctions. […]

Heinrich Müller
© Public Domain

Je dois dire que, de toute ma vie, je n’ai jamais vu ou signé un ordre de mise en détention préventive. […] J’ai déclaré que cette signature “Kaltenbrunner” apparaissant sur ces mandats d’arrêt à titre préventif ne s’explique que par le fait que le chef de service Müller y apposait le nom du chef du RSHA comme il l’avait fait, ainsi qu’il était autorisé à le faire, du temps de Heydrich […] Il est évident qu’il a continué à procéder ainsi de mon temps, car autrement ces ordres n’auraient pu m’être présentés; mais il ne m’en a jamais averti et je ne lui ai jamais donné une autorité quelconque pour ce faire. […] Il rendait compte directement à Himmler et recevait ses ordres de lui seul et il aurait tout aussi bien pu écrire “Himmler” ou “par ordre de Himmler” ou “pour Himmler”. Je reconnais que c’est là un fait au sujet duquel le tribunal ne voudra pas me croire, mais il n’empêche pas moins que c’est ainsi […]»

Kaltenbrunner a-t-il participé à la création de camps de concentration?

«Jusqu’en 1943, j’étais en Autriche et je n’ai procédé à l’établissement d’aucun camp de concentration. Pas plus d’ailleurs que dans le Reich après 1943. Tous les camps de concentration du Reich que je connais aujourd’hui ont été créés à la suite des ordres de Himmler à Pohl. Ceci s’applique aussi– et j’insiste là-dessus– au camp de Mauthausen. Non seulement les autorités autrichiennes n’ont en aucune façon participé à l’établissement de ce camp, mais elles furent désagréablement surprises, car telle n’était pas la conception qu’on s’en faisait en Autriche et la nécessité d’établir des camps de concentration ne s’était jamais fait sentir dans ce pays. […]

J’ai déjà répondu que je n’ai jamais vu une chambre à gaz ni en fonctionnement ni à un autre moment. Je ne savais pas qu’il y en eût à Mauthausen, et les témoignages à ce sujet sont entièrement faux. Je n’ai jamais mis les pieds dans le centre de détention de Mauthausen.

J’ai été à Mauthausen, mais dans le camp de travail.»

Kaltenbrunner a-t-il participé à l'Holocauste?

«Aussitôt que j’en eus connaissance, je me suis élevé exactement comme je l’avais fait auparavant, non seulement contre la solution finale, mais encore contre cette façon de traiter le problème juif. C’est pourquoi je voulais expliquer comment j’avais été amené par mon service de renseignements à connaître la question juive et comment je m’y suis opposé. […]

Tout d’abord, j’ai protesté auprès de Hitler et, le lendemain, auprès de Himmler. Je n’ai pas seulement attiré leur attention sur mon opinion personnelle, sur les conceptions complètement différentes que j’avais apportées d’Autriche et sur mes scrupules humanitaires, mais dès le premier jour, j’ai conclu presque tous mes rapports sur la situation en disant qu’aucune puissance ennemie ne consentirait à négocier avec un Reich qui s’était rendu coupable de telles choses. Tels étaient les rapports que je présentai à Hitler et à Himmler, en insistant sur le fait que les services de renseignements devaient créer une atmosphère propice aux négociations avec l’ennemi. […]

Un four crématoire de l'ancien camp de concentration nazi Mauthausen en Autriche - exposé au musée mémorial.
Un four crématoire de l"ancien camp de concentration nazi Mauthausen en Autriche - exposé au musée mémorial.
© Sputnik, Vladimir Fedorenko

Je suis fermement convaincu que ce changement [fin de la persécution juive en octobre 1944, nldr] est dû à mon intervention, même si un certain nombre d’autres personnalités ont également agi dans ce sens. Mais je ne pense pas qu’il y eût quelqu’un qui, à chaque occasion, fit plus de reproches à Himmler que je n’en fis moi-même et qui eût parlé aussi ouvertement, aussi franchement et avec une telle abnégation que moi-même à Hitler. […]

Kauffmann [Kurt Kauffman, avocat de Kaltenbrunner]: Assumez-vous une responsabilité à cet égard ou non?
Kaltenbrunner: Je dois la rejeter complètement […]»

Kaltenbrunner aurait-il pu démissionner de son poste de chef du RSHA?

«Kauffmann: J’en viens à ma dernière question. Je vous demande si vous avez eu la possibilité, après avoir peu à peu pris connaissance de la situation au sein de la Gestapo et dans les camps de concentration, d’y apporter des changements? Si c’était possible, pouvez-vous dire si le fait que vous soyez resté à votre poste a permis d’atténuer certaines rigueurs et d’améliorer cet état de choses?
Kaltenbrunner: J’ai demandé à plusieurs reprises à rejoindre le front. Mais la question la plus aiguë que j’avais à résoudre était la suivante: la situation en sera-t-elle adoucie, améliorée ou changée, ou n’avais-je pas le devoir, en restant à mon poste, de tout faire pour continuer à changer cette situation? Mes différentes demandes de départ pour le front ayant été refusées, je ne pus que tenter d’agir personnellement pour modifier un système dont je ne pouvais rien changer aux fondements idéologiques et légaux, comme l’ont montré tous les ordres qui ont été présentés ici et qui avaient été émis longtemps avant moi. Je ne pouvais qu’essayer d’adoucir ces méthodes, tout en m’efforçant de les abolir définitivement.
Kauffmann: Vous considériez donc comme compatible avec votre conscience de rester à votre poste?
Kaltenbrunner: En considérant qu'il était possible d'essayer d'influencer Hitler, Himmler et beaucoup d’autres personnes, ma conscience ne me permettait pas de quitter mon poste. Je considérais comme de mon devoir de m’opposer personnellement aux injustices commises.»

Kaltenbrunner a-t-il visité le camp de concentration de Mauthausen?

«Amen [colonel John Amen, procureur américain]: Je demande que l’on montre à l’accusé le document PS-3843 (USA-794); je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le fait que le langage utilisé dans ce document est choquant, mais étant donné les charges qui pèsent sur l’accusé, je crois qu’il est de mon devoir de le lire. […]

“J’ai vu Kaltenbrunner au camp de Mauthausen, alors que j’étais très malade et couché sur de la paille souillée avec des centaines d’autres malades, dont beaucoup étaient mourants; les détenus souffraient d’œdèmes et de désordres intestinaux très graves et, en plein hiver, étaient couchés dans des baraquements non chauffés. Les installations sanitaires les plus élémentaires faisaient défaut. Les toilettes et les salles de douches étaient inutilisables depuis des mois; les grands malades devaient satisfaire leurs besoins dans des seaux à confitures et la paille souillée n’était renouvelée qu’après des semaines; il s’y formait un liquide fétide dans lequel grouillaient des vers et des asticots; il n’y avait ni soins médicaux ni médicaments et les conditions étaient telles que dix ou vingt personnes mouraient chaque nuit. Kaltenbrunner circula au milieu du baraquement avec une étincelante suite de hauts fonctionnaires SS, vit tout et doit avoir tout vu. Nous avions l’illusion que ces conditions inhumaines allaient bientôt changer, mais sans doute ont-elles reçu l’approbation de Kaltenbrunner, car rien ne se produisit.”

Est-ce exact ou non, accusé? […]

Kaltenbrunner avec le commandant du camp Franz Ziereis, Himmler lors de l'Inspection du camp de concentration de Mauthausen en avril 1941
Kaltenbrunner avec le commandant du camp Franz Ziereis, Himmler lors de l'Inspection du camp de concentration de Mauthausen en avril 1941
© Bundesarchiv

Kaltenbrunner: C’est faux et je puis en réfuter les moindres détails. […]
Amen: Je demande que le document n° PS-3845 (USA-795) soit présenté à l’accusé. […] Connaissez-vous Tiefenbacher, Albert Tiefenbacher?
Kaltenbrunner: Non.
Amen: Puisque vous avez le document, vous pouvez voir qu’il resta au camp de concentration de Mauthausen, de 1938 au 1er mai 1945 et qu’il fut employé au four crématoire pendant trois ans pour transporter les cadavres [...] A la deuxième moitié de la première page, vous trouverez la question :

“Question: Vous souvenez-vous de Eigruber?

Réponse: Eigruber et Kaltenbrunner étaient originaires de Linz.

Question: Les avez-vous jamais vus à Mauthausen?

Réponse: J’ai vu Kaltenbrunner très souvent.

Question: Combien de fois?

Réponse: II venait de temps en temps et passait par le four crématoire.

Question: Mais combien de fois, à peu près?

Réponse: Trois ou quatre fois.

Question: Au cours d’une de ses visites, l’avez-vous entendu dire quelque chose à quelqu’un?

Réponse: Quand Kaltenbrunner arrivait, la plupart des détenus devaient disparaître et seules certaines personnes lui étaient présentées.”

Est-ce vrai ou non?

Kaltenbrunner: C’est absolument faux.
Amen: Je vais vous montrer maintenant le troisième document et vous pourrez alors nous donner une brève explication; je demande que le document n° PS-3846 soit montré à l’accusé; ce document est déposé sous le numéro USA-796. [...] Connaissez-vous Johann Kanduth, qui est l’auteur de cette déclaration sous serment?
Kaltenbrunner: Non.

Des prisonniers du camp de concentration allemand de Mauthausen.
Des prisonniers du camp de concentration allemand de Mauthausen.
© Sputnik, Anatoly Lambros

Amen: Vous observerez dans cette déclaration sous serment qu’il habitait Linz et qu’il fut détenu au camp de concentration de Mauthausen du 21 mars 1939 au 5 mai 1945. Outre son travail de cuisinier, il fut employé, à partir du 9 mai au four crématoire, où il s’occupait du chauffage pour l’incinération des cadavres. Si vous passez à la page 2, vous y lirez, en haut:

“Question: Avez-vous vu Kaltenbrunner au cours d’une de ses visites à Mauthausen?

Réponse: Oui.

Question: Vous souvenez-vous de la date?

Réponse: En 1942 et 1943.

Question: Pourriez-vous donner des indications plus précises, le mois peut-être?

Réponse: Je ne me souviens pas de la date.

Question: Vous ne vous souvenez que de cette visite, en 1942 ou 1943?

Réponse: Je me souviens que Kaltenbrunner est venu trois fois.

Question: En quelle année?

Réponse: Entre 1942 et 1943.

Question: Dites-nous rapidement ce que vous pensiez de ces visites de Kaltenbrunner dont vous avez parlé, c’est-à-dire qu’avez-vous vu, qu’avez-vous fait, quand avez-vous vu qu’il assistait ou non à ces incinérations?

Réponse: Kaltenbrunner était accompagné de Eigruber, Schulz, Ziereis, Bachmaier, Streitwieser et de quelques autres personnes; Kaltenbrunner entra en riant dans la chambre à gaz. Puis les gens furent amenés des cachots pour être exécutés; trois sortes d’exécutions eurent alors lieu: la pendaison, la mort par une balle dans la nuque et la chambre à gaz; après cette démonstration et quand les vapeurs se furent dissipées, nous avons dû enlever les corps. […]

Kaltenbrunner: Puis-je répondre maintenant?
Amen: Est-ce exact ou non, accusé?
Kaltenbrunner: j’affirme solennellement sous serment que pas un seul mot de ces affirmations n’est vrai. [...]»

Que signifie le terme «traitement spécial»?

«Amen: Accusé, vous avez entendu au cours de ce procès employer l’expression “traitement spécial”. Avez-vous entendu cette expression devant ce tribunal?

Les noms des personnes décédées dans le camp sont affichés sur des plaques lumineuses spéciales et des livres commémoratifs dans le musée situé dans le complexe hospitalier sur le territoire de l'ancien camp de concentration nazi de Mauthausen en Autriche.
Les noms des personnes décédées dans le camp sont affichés sur des plaques lumineuses spéciales et des livres commémoratifs dans le musée situé dans le complexe hospitalier sur le territoire de l"ancien camp de concentration nazi de Mauthausen en Autriche.
© Sputnik, Vladimir Fedorenko

Kaltenbrunner: Cette expression a été employée devant moi plusieurs fois par jour au cours de mon interrogatoire préliminaire, parfaitement.
Amen: Savez-vous ce qu’elle signifie?
Kaltenbrunner: Je pense– sans pouvoir m’expliquer très exactement cette expression– qu’il s’agissait d’une condamnation à mort non pas prononcée par un tribunal, mais à la suite d’un ordre de Himmler. […]
Amen: Avez-vous jamais discuté, avec le Gruppenführer Müller de l’Amt IV, de l’application du traitement spécial à certaines personnes?
Kaltenbrunner: Non. Je sais que le témoin Schellenberg prétend...
Amen: Je demande que l’on montre à l’accusé le document PS-3839, que je dépose sous le numéro USA-799. […] Lisons donc, à partir du milieu de la page, la phrase qui commence par:

“Au sujet du traitement spécial, j’ai connaissance des faits suivants:

À l’occasion des réunions des chefs de section (Amtschefs), le Gruppenführer Müller demandait fréquemment à Kaltenbrunner s’il fallait traiter spécialement tel ou tel cas ou si la question du traitement spécial se posait. La conversation se déroulait par exemple de la manière suivante:

Müller: Obergruppenführer, je vous prie, pour le cas B, faut-il appliquer le “traitement spécial” ou non?
Kaltenbrunner: Oui, ou soumettre le cas au Reichsführer-SS pour qu’il prenne une décision.

Ou bien:

Müller: Obergruppenführer, il n’est arrivé aucune réponse du Reichsführer-SS au sujet du “traitement spécial” pour le cas A.
Kaltenbrunner: Réclamez.

Müller remettait une pièce à Kaltenbrunner et lui demandait des instructions décrites ci-dessus. Quand Müller avait une conversation de ce genre avec Kaltenbrunner, il ne mentionnait que les initiales, de sorte que les personnes assises à la table ne savaient jamais de qui il s’agissait.”

Puis les deux derniers paragraphes: “tant Müller que Kaltenbrunner ont, en ma présence, demandé le “traitement spécial” pour certains cas, ou proposé que le cas soit soumis au Reichsführer pour approbation du “traitement spécial”. J’estime que dans 50% des cas environ, le “traitement spécial” a été approuvé.»

Les faits contenus dans cette déclaration sont-ils exacts ou non?

Ernst Kaltenbrunner

Kaltenbrunner: Le contenu de cette déclaration n’est pas exact, dans le sens que vous lui donnez, Monsieur le Procureur. Vous allez voir immédiatement que l’expression tragique de “traitement spécial” est employée ici d’une façon absolument humoristique. Savez-vous ce que sont Walsertraum, dans le Walsertal, ou Winzerstube à Godesberg et leur relation avec le terme "traitement spécial"? “Walsertraum” est l’hôtel de montagne le plus élégant et le plus mondain de toute l’Allemagne et la Winzerstube, à Godesberg, est un hôtel bien connu où furent tenues de nombreuses conférences internationales. Dans ces deux hôtels, furent logées des personnalités de marque, telles que M. Poncet et M. Herriot, etc. Ils recevaient le triple de la ration normale d’un diplomate, c’est-à-dire neuf fois la ration d’un Allemand en temps de guerre. Ils recevaient tous les jours une bouteille de champagne, correspondaient librement avec leur famille, pouvaient recevoir des colis de leur famille restée en France. Ces internés recevaient de fréquentes visites, et l’on s’enquérait de tous leurs désirs. Voilà ce que nous appelions le “traitement spécial”».


Source:
unicaen.fr

La rédaction remercie l'avocat Sergueï Mirochnitchenko, chercheur en droit international, pour son aide dans la préparation de cet article.