Interrogatoire du témoin Joseph Orbeli Archives d’État de la Fédération de Russie, F. R-7021, op. 128, D. 279, L. 16 / Photo d'Evguéni Khaldeï / Portail Web «Сrimes nazis en URSS»
Joseph Orbeli:
«Pendant de longs mois, ces bâtiments [de l’Ermitage et du Palais d’hiver] ont été soumis à un bombardement aérien et à un tir d’artillerie systématiques. Deux bombes d’avion et environ trente projectiles d’artillerie sont tombés sur l’Ermitage. Ces obus causèrent des dommages étendus aux bâtiments. Quant aux bombes, elles ont détruit le système de canalisations et de conduites d’eau de l’Ermitage.
En observant les destructions causées à l’Ermitage, je voyais en même temps devant moi le bâtiment de l’académie des Sciences qui se trouvait sur l’autre bord du fleuve, notamment le musée d’Anthropologie et d’Ethnographie, le musée de Zoologie et le musée de la Marine qui étaient situés à côté dans les locaux de l’ancienne Bourse. Tous ces bâtiments ont été soumis à un tir extrêmement nourri d’obus incendiaires et je voyais les points d’impact depuis une fenêtre du Palais d’hiver.
Le tir d’artillerie a causé de gros dommages à l’Ermitage. L’un des obus a détruit l’entrée principale et endommagé la statue de l’"Atlanta".
Un autre obus, après avoir percé le plafond de la salle des Armoiries, l’une des plus belles du Palais d’hiver, y a causé des dommages étendus. Deux obus sont tombés dans l’ancien manège du Palais d’hiver où étaient réunis les carrosses de la Cour qui dataient des XVIIIe et XIXe siècles. L’un de ces projectiles a détruit quatre carrosses du XVIIe siècle, extrêmement précieux, et un carrosse de parade du XIXe siècle. Un autre obus a troué le plafond de la salle des Monnaies et celui de la salle des Colonnes, dans la partie principale de l’Ermitage, dont un balcon fut également détruit.
En même temps, un bâtiment annexe de l’Ermitage, rue Solianoi, l’ancien musée Streglitz, a été atteint par une bombe aérienne qui l’a sérieusement endommagé, le rendant inutilisable. Une grande partie des collections qui se trouvaient dans ce bâtiment fut abîmée. […]
J’ai pu me rendre compte en détail de ce qui était advenu des monuments de Peterhof, de Tsarskoïe Selo et de Pavlovsk. Dans ces trois villes, j’ai vu les traces des dommages importants causés à ces monuments. Il est difficile d’énumérer toutes ces destructions car il y en a trop. Toutes révèlent la préméditation.»
Hans Laternser, avocat de l’État-major général et de l’OKW, et Robert Servatius, avocat de Fritz Sauckel, ont essayé de suggérer au témoin l’idée selon laquelle les avions allemands avaient ciblé non pas les musées, mais des sites militaires et des ponts.
«Laternser: Pouvez-vous me dire si à proximité de l’Ermitage et du Palais d’hiver il y a des industries, en particulier des industries d’armement?
Orbeli: Autant que je sache, dans le voisinage de l’Ermitage il n’y a aucun établissement de nature militaire. Si vous voulez parler des bâtiments de l’État-major, ils se trouvent de l’autre côté de la place du Palais et ont beaucoup moins souffert des bombardements que le Palais d’hiver. Les bâtiments de l’État-major, qui sont situés de l’autre côté de la place du Palais, n’ont été, à ce que je crois, touchés que par deux obus.
Laternser: Savez-vous si, à proximité des bâtiments que vous avez nommés, se trouvaient des batteries d’artillerie?
Orbeli: Sur toute la place près de l’Ermitage et du Palais d’hiver, il n’y avait aucune pièce d’artillerie étant donné que dès le début, des mesures avaient été prises pour éviter les vibrations inutiles auprès des monuments culturels et artistiques. […]
Servatius: Avez-vous des connaissances d’artillerie suffisantes pour pouvoir juger si le but était vraiment le château ou le pont?
Orbeli: Je n’ai jamais été artilleur, mais je pense que si l’artillerie allemande visait un pont, elle ne l’aurait pas touché avec un seul obus tout en atteignant avec trente autres le palais qui se trouvait de l’autre côté. De ce point de vue, je suis artilleur.
Servatius: C’est votre conviction en tant qu’artilleur profane. Encore une question: la Neva était occupée par la Flotte. À quelle distance du Palais d’hiver étaient les bâtiments qui se trouvaient sur la Neva?
Orbeli: Sur cette partie de la Neva, il n’y avait pas de bâtiments militaires d’où l’on tirait. Toutes les unités militaires se trouvaient sur une autre partie de la Neva, loin du Palais d’hiver.»