Die Vaterland, la terre des pères. Les dirigeants du Troisième Reich comptaient laisser à leurs enfants un riche héritage: un empire prospère, des domaines ancestraux, des richesses et des noms de famille estimés. Mais ce sont un désert brûlé, la pauvreté, la honte et des noms inspirant l’effroi qu’ils leur ont légué. Leurs fils, filles et petits-enfants devaient décider toute leur vie comment disposer de cet héritage. Et aussi quelle attitude avoir à l’égard de leurs parents: vivre dans leur ombre ou en sortir.

Être un «père de famille» constituait l'une des conditions préalables pour obtenir le titre de véritable Aryen et le droit de se tenir à la tête du Troisième Reich. Tous les nazis influents ont montré au public une image brillante de leur vie: mariages solides, épouses fidèles et enfants angéliques à qui ont été biberonnées les grandes idées du Führer. Un autre procédé de propagande, d’ailleurs très efficace, était de publier régulièrement des photos ou images tirées de films d’actualité, sur lesquelles les plus proches collaborateurs d'Hitler apparaissaient entourés de familles modèles, admirant la jeune génération: des bébés touchants et joufflus et des adolescents réfléchis et charmants qui devraient constituer la future élite.

Emmy Göring et sa fille Edda lors d"une promenade, 1938.
© AP Photo

Il ne faudra pas longtemps pour que ces images et ces films d'actualité stupéfient les nouveaux spectateurs qui savaient la fin ignominieuse et la vie honteuse de chacun de ces grands criminels. Les gens se demanderont encore et encore comment il était possible pour les hauts dignitaires nazis de maintenir un mur indestructible entre deux sphères de leur vie, comment ils parvenaient à être à la fois des bourreaux inhumains et des pères tendres choyant leurs enfants et leur apprenant à distinguer le bien du mal.

Joseph Goebbels et ses filles Hilda et Helga lors d"une fête de Noël, 1937.
© AP Photo

Ces questions étaient inévitablement suivies par d'autres. Qu'est-il arrivé aux enfants des grands pontifes du Troisième Reich stigmatisés dans le monde entier? Que sont-ils devenus? Comment ont-ils construit leur propre vie? Comment ont-ils réagi en apprenant l'existence des crimes de leur père? Se sentaient-ils coupables et responsables de ceux dont ils étaient la descendance?

Pendant des années, les journalistes et écrivains ont littéralement traqué les descendants des dirigeants nazis, mais très peu ont accepté de les accueillir pour parler un peu de leur vie. Il y avait ceux qui avaient changé de nom de famille et essayé de disparaître. Il y en avait d'autres qui avaient décidé de vivre leur propre vie, en se séparant des actes de leur père, et de «ne pas y penser». Certains ont continué à idolâtrer leurs parents et ont soit refusé de croire leurs crimes, les croyant victimes d'une conspiration, soit partagé leurs croyances. D'autres ont choisi la voie de la réconciliation et ont essayé d'aimer quoi qu'il arrive et sans rien oublier: «oui, il a fait beaucoup de mauvaises choses impardonnables, mais c'était un père formidable». D'autres encore ont été ébranlés par les révélations sur leur vraie nature et ont renoncé à leur passé, consacrant leur vie au démasquage et au repentir.

Ils ont été interviewés, des articles et des livres ont été écrits sur eux et des documentaires réalisés. Certains ont écrit eux-mêmes des livres, dans l'espoir de s'expliquer, en s'adressant directement soit au monde, soit à leurs parents déjà décédés.

Le carrosse se transforme en citrouille

L'enfance, les premiers souvenirs des enfants de nazis de haut rang sont tous les mêmes: la richesse, le luxe, les possibilités illimitées, le chouchoutage sans fin et l'impression d'un monde parfait.

Le petit Niklas Frank, fils du «Bourreau de la Pologne» qu'était le gouverneur général de la Pologne occupée, s'est souvenu à jamais de plusieurs palais qui étaient devenus des domaines familiaux. Dans leurs couloirs, il conduisait sa petite voiture, coupant délibérément la route aux domestiques contraints de le supporter, exigeant des vieux serviteurs qu'ils montent et descendent de longs escaliers pour l'amuser. Dans leur propre voiture luxueuse, sa mère et lui faisaient la navette entre la Pologne et l'Allemagne, celle-ci n'arrêtant pas à sortir du pays les biens pillés.

On n'a jamais refusé quoi que ce soit à la petite Edda Göring: elle a été gâtée par tout le pays, sous la houlette de ses parents qui vénéraient leur fille unique. Dès sa plus petite enfance, elle est devenue propriétaire d'une importante collection de chefs-d'œuvre d'art et de joaillerie.

Enfant, le petit Adolf Martin Bormann était appelé par tout le monde «Krönzi», déformation de Kronprinz (prince héritier).

Adolf Hitler au baptême d"Edda, la fille de Hermann Göring.
© AFP PHOTO

Le petit Richard von Schirach considérait ses parents et son grand-père comme des divinités. Son grand-père Heinrich était l'ami personnel et le photographe du Führer, sa maman était pratiquement sa pupille, et son papa était l'homme qui avait fait des Jeunesses hitlériennes le rêve de tout enfant allemand et qui régnait désormais dans la belle Vienne.

La petite Gudrun Himmler, que son père avait surnommée «Püppi», était choyée par tous les amis et camarades du Reichsführer-SS. La possibilité d'aller avec son père à son travail était un plaisir pour elle: des camps magnifiquement entretenus, des gens polis en pyjama rayé, des expositions de dessins de prisonniers qui se corrigent sous la surveillance stricte mais gentille de papa.

Heinrich Himmler avec sa fille Gudrun, 1938.
© AP Photo

Les enfants de Rudolf Höss vivaient littéralement de l'autre côté de la clôture du camp principal d’Auschwitz. Ils disposait de nombreux jouets étonnants fabriqués par les prisonniers, d'une maison confortable avec des équipements dernier cri, d'une piscine et d'un beau jardin, où ils jouaient et cueillaient des fraises (seulement leur mère, qui appelait tout cela «le paradis sur terre», disait de les laver très soigneusement, car elles sentaient toujours un peu le brûlé et avaient parfois des morceaux de suie dessus).

Tout le monde se souvient de cette époque comme d'un paradis perdu. Tous les pères travaillaient très, très dur. Évidemment, c'est leur travail acharné et désintéressé pour la patrie qui leur a valu une vie si merveilleuse et prospère. Tous les enfants étaient élevés comme des princes: les bonnes manières, la santé, la lecture et la musique, des nourrices, des gouvernantes et des tuteurs privés, puis les meilleures écoles. Certaines de leurs espiègleries n’étaient vues que d’un œil. Le petit Niklas Frank n'a pas été puni pour avoir tiré la langue depuis la fenêtre d'une voiture de luxe à des enfants loqueteux et maigres lorsque sa mère l’avait emmené faire du «shopping» dans le ghetto de Cracovie. Comme c'était amusant quand les subordonnés de papa mettaient quelques sous-hommes méchants et maigres sur le dos d’un âne: l'animal se cabrait, son cavalier tombait dans la poussière et ne pouvait plus bouger, puis le suivant était traîné vers l’âne, et tout le monde autour riait aux larmes et on buvait ensuite du chocolat. Pourtant un jour son frère aîné Norman qui jouait au football dans une rue de Varsovie, a vu plusieurs personnes se faire tirer dessus. Au dîner, il s'est risqué à demander à son père ce que cela signifiait et celui-ci a jeté sa fourchette, a crié: «Je ne veux pas en entendre parler» et est sorti de table.

Ils avaient tous quelque chose à perdre: d'innombrables domaines, des maisons luxueuses, des meubles, des œuvres d’art, des bijoux, de l'argent, des voitures, des yachts, des vêtements de mode, des ménageries et des cinémas privés, des jardins, des domestiques gratuits, des divertissements sociaux. Puis aussi leur statut. Et, surtout, une image d'eux-mêmes.

À la fin de la guerre, il n'y avait plus d'illusions: leurs familles s'éloignaient de plus en plus du front, leurs mères trimballant des sacs à main remplis de bijoux, leurs frères aînés étant tués au front ou faits prisonniers. Et puis l'impossible s’est produit: l'Allemagne nazie a capitulé et leur enfance s'est finie avec elle.

L'exil du paradis

Tous les pères ont essayé de fuir. Certains en sont morts: celui de Gudrun Himmler a réussi à briser avec ses dents une fiole de poison pendant son examen par un médecin britannique. Certains ont disparu: personne ne savait où le père d'Adolf, Martin Bormann, était parti. Certains ont été arrêtés très brutalement: pour la première fois de leur vie, Höss, père de cinq enfants, et le père de Niklas Frank, ont senti ce qu’était d’être passé à tabac. Certains se sont rendus en essayant de conserver leur dignité: le père d'Edda Göring s'est approché de l'ennemi et s'est identifié. Beaucoup d'entre eux ont laissé à leur famille ces minuscules fioles comme dernier recours. Mais aucune des épouses n'a osé tuer les enfants. Seuls les parents des six petits Goebbels, dont le prénom de chacun commençait par un «H» en l'honneur de «Hitler» ont supprimé froidement leur progéniture avant de se suicider.

Joseph Goebbels avec sa femme et ses trois enfants, 1935.
© AP Photo

Certaines des mères ont été envoyées dans un camp. Les quatre von Schirach se sont ainsi retrouvés tout seuls, tandis qu'Adolf Martin Bormann est devenu orphelin parce que sa mère était morte d'un cancer dans un hôpital de la prison. Après la fermeture de son école en avril 1945, il a vécu quelque temps dans la famille d'un fermier avec de faux papiers, s'est converti au catholicisme et a été arrêté par les services secrets américains lors d'un service auquel il assistait en tant qu'enfant de chœur.

Henriette, femme de Baldur von Schirach, avec leurs enfants (de gauche à droite) Richard, 5 ans, Angelika, 14 ans, et Robert, 8 ans.
© AP Photo

Les jeunes Schirach ont finalement été emmenés quelque part à la campagne, où ils ont littéralement erré, cherchant de la nourriture dans les bois et les champs et portant des chaussures fabriquées à partir de pneus de voiture. De nombreux enfants ont fini dans des internats. Certains ont eu la chance de retrouver leur mère. Ils avaient même de quoi manger, elles vendaient les bijoux et les affaires des Juifs assassinés par leurs maris. Quelques-uns ont été recueillis par leurs grands-parents, souvent de fervents nazis.

Puis il est devenu possible de rendre visite aux pères en prison. C'était une expérience vraiment traumatisante pour chacun des enfants: leurs pères étaient certainement emprisonnés dans cet horrible endroit de manière injuste. Niklas Frank, âgé de six ans, l'a vu pour la dernière fois alors que tout le monde savait déjà qu'il allait être pendu, et il ne comprenait pas pourquoi celui-ci lui mentait en disant qu'ils allaient passer Noël ensemble. Le sort a voulu que Richard von Schirach rende visite à son père pendant les 20 années qui ont suivi: une fois par an, pendant une demi-heure à chaque fois. Il se préparait aux visites en notant ses questions, et pas une seule fois au cours de toutes ces années, son père ne lui en a posé, se contentant le plus souvent de lui conseiller d'écouter un tel ou tel opéra.

La plupart d'entre eux ont connu la pauvreté et parfois la misère, au moins au début. Et presque tous ont été confrontés à la première conséquence de leur parenté directe: si, il n'y a pas si longtemps, leur nom de famille ouvrait toutes les portes, celles-ci étaient désormais fermées pour eux.

Un génie sorti de la bouteille

La vérité sur leurs pères n'était pas immédiatement révélée. Pour certains, ce n'était pas un secret: les enfants de Rudolf Höss savaient qui il était et ce qu'il faisait (même s’ils n’étaient pas au courant de tous les faits) et ils le soutenaient pleinement. C'était l’idée qu’ils se faisaient de la loyauté.

Pour d'autres c'était plus facile. Manfred Rommel, fils du commandant préféré d'Hitler, surnommé le «Renard du Désert», a perdu ses illusions sur la personne de Führer et plus globalement sur le nazisme lorsque son père a été tué. Après la tentative d'assassinat de 1944, Hitler pensait qu'Erwin Rommel était au moins au courant des plans des conspirateurs malgré le fait qu'il se remettait chez lui de ses graves blessures. Sous les yeux de Manfred, des officiers de haut rang sont venus à la maison et ont emmené son père. Dans un ultime murmure, Rommel a chuchoté à son fils qu'il y avait eu une condition qui lui avait été posée: soit il se suicide, soit toute sa famille souffre. Rommel a pris le poison. Il a été enterré avec tous les honneurs: l'Allemagne entière était plongée dans le deuil. Selon la version officielle, le cœur du célèbre maréchal a lâché. Six mois plus tard, le jeune Manfred, âgé de 15 ans, a déserté sans éprouver de culpabilité.

Manfred Rommel, fils du maréchal Erwin Rommel, était maire de Stuttgart.
© AP Photo, Daniel Maurer

C'était encore plus facile pour Berthold Maria von Stauffenberg: son père, qui a participé à cette même tentative d'assassinat du Führer, était un héros aux yeux de ses enfants. Sa mère a expliqué que Сlaus l'avait fait pour l'Allemagne et la fin de la guerre. Ses enfants n'ont jamais eu honte de leur nom. Mais ils ont été agacés des années plus tard par le film Walkyrie: le personnage de leur père, catholique et aristocrate, y est interprété par Tom Cruise, scientologue et roturier.

Berthold von Stauffenberg, fils de Claus von Stauffenberg, suit les traces de son père et fait une carrière militaire.
© AP Photo

Monika Hertwig, fille du commandant du camp de Plaszow, Amon Göth, a connu bien pire. Enfant, elle croyait que son père et les prisonniers juifs de Plaszow vivaient comme une grande famille. Adolescente, elle était fière de ses parents héros: ils vivaient dans une belle maison, achetée à une femme juive qu'ils avaient aidée à s'échapper et à fuir à l'étranger. L'exécution de son père lui semblait être une immense injustice. Elle a eu des premiers doutes à l'adolescence, lorsque des rumeurs ont commencé à circuler selon lesquelles il avait été impliqué d'une manière ou d'une autre dans des meurtres. Lorsqu'elle a demandé combien de personnes il avait pu tuer, sa mère a vaguement répondu «quelques-unes», avant de cesser de répondre. Plus Monika grandissait, plus elle voulait connaître la vérité. Elle a découvert, par exemple, que la maison de son enfance avait été obtenue par chantage: Amon avait forcé sa propriétaire à la vendre à un bas prix, en lui promettant l'immunité pour une année et la possibilité de partir. Deux semaines après, la femme a été emmenée dans le camp et tuée. Puis Monika a vécu une expérience traumatisante: elle a vu un numéro sur le bras d'un barman dans un café qu'elle fréquentait occasionnellement. Par une terrible coïncidence, il s'est avéré qu'il s'était passé par Plaszow. Ne sachant pas encore ce que son père y faisait, Monica a prononcé son nom de famille, et la réaction de son interlocuteur a été terrifiante. Peu à peu, elle a appris toute la vérité: Amon avait tué au moins 500 personnes de ses propres mains et l'un de ses passe-temps favoris était de tirer le matin sur les prisonniers depuis le balcon.

Surtout sur les femmes avec de jeunes enfants, car il était curieux de savoir s'il réussirait à les tuer les deux avec une seule balle.

Lorsque La Liste de Schindler de Steven Spielberg est sorti, Monica a décidé qu'elle devait le voir. Son mari ayant refusé de l'accompagner, elle s'est rendue seule dans une ville voisine. Après avoir vu le film, dans lequel son père était incarné par Ralph Fiennes, elle est tombée malade.

Martin Bormann junior a découvert la vérité de façon progressive. En 1943, il a demandé à son père comment expliquer le national-socialisme en termes simples. Celui-ci a répondu simplement: «Satisfaire les désirs du Führer». Adolf Martin était un jeune nazi convaincu. Il a même fait ses études à la Reichsschule Feldafing du parti nazi au Tyrol. Après l'effondrement du Reich et la disparition de son père, il a renoncé à son prénom Adolf, mais a continué de croire que Bormann était innocent. Des images provenant de Bergen-Belsen (les fours, les cadavres d'enfants) ont constitué un tournant. Lorsque Bormann junior a découvert qu'il était prouvé que tout cela avait été fait sur les ordres de son père, il a finalement décidé de devenir prêtre (son père ne croyait pas en Dieu et détestait la religion).

Malgré tout, c’était un bon père

Les enfants du Troisième Reich qui ont grandi ont pour la plupart suivi le commandement suivant: honore ton père. En conséquence, ils ont choisi soit de fermer les yeux sur des choses évidentes, soit de les considérer comme des martyrs calomniés ou des victimes d'ordres criminels, soit d'accepter purement et simplement leur bon droit, leur infaillibilité et leur impartialité. Dans tous les cas, ils considéraient comme une trahison le fait de dire du mal de leurs parents. C'était plus facile pour ceux qui avaient grandi en sécurité dans les pays d'Amérique latine sous les ailes de pères criminels qui avaient réussi à s'échapper et à s'adapter. C’était plus dur pour ceux restés en Allemagne.

Baldur von Schirach avec son fils Klaus, 1966.
© AP Photo, Erdustru

Klaus von Schirach et Edda Göring, par exemple, ont simplement refusé de manière catégorique de parler de leurs pères. Gudrun Himmler est de fait devenu la reine d’une organisation nazie clandestine se ralliant à la cause de son père, tandis que Wolf Rüdiger Hess a passé sa vie à réhabiliter le nom du prisonnier à vie de Spandau, au détriment de son travail et de sa propre famille.

Rudolf von Ribbentrop, qui avait combattu de manière tout à fait désintéressée, reçu cinq blessures au front et plusieurs décorations, connaissait beaucoup de choses par son père et avait vu de ses propres yeux certains événements décisifs, était convaincu jusqu'à la fin de ses jours que son père avait été injustement exécuté. Il a même fini par écrire le livre Mein Vater Joachim von Ribbentrop (Mon père Joachim von Ribbentrop), où il analyse la politique étrangère du Troisième Reich et la contribution du chef de la diplomatie nazie.

Rolf Mengele, fils du médecin sadique surnommé «l’Ange de la Mort», qui a fait des expériences sur les prisonniers d'Auschwitz, savait très bien où son père se cachait. Josef Mengele était recherché par les services secrets du monde entier, principalement par le Mossad. Bien que son père ait ouvertement négligé son fils, et qu'après s'être enfui au Brésil, il ait divorcé de sa mère et épousé la veuve de son frère, et bien que Rolf sache tout de ses crimes, il n'a jamais trouvé la force de le dénoncer. Il considérait cela comme une «trahison de la famille». Devenu avocat, il était en contact avec son père, qui ne cachait pas qu’il n’avait pas de remords. Son fils lui est resté fidèle même après sa mort. L'opération complexe des agents israéliens qui ont suivi Mengele fils a abouti à une découverte choquante: le médecin était mort depuis quatre ans. Après cela, cependant, son fils s'est mis à se repentir et à s'excuser auprès du peuple juif.

Tous les membres de la deuxième génération de Höss partageaient les convictions du monstrueux commandant d'Auschwitz et rendaient un profond hommage à sa mémoire. Après la guerre, la situation n'a pas été facile pour eux: ils ont vécu dans la misère jusqu'à ce que le fils aîné Klaus trouve un emploi. Des années plus tard, dans les années 1980, lui, pauvre et alcoolique, mourra en Australie. Ingebrigitt a également émigré. Pendant longtemps, elle a caché à tout le monde de qui elle était la fille. Elle a travaillé comme mannequin en Espagne, puis a déménagé avec son mari aux États-Unis, où elle a trouvé un emploi dans un salon de beauté tenu par une femme juive. Elle a fini par avouer qui elle était, mais n'a pas été renvoyée et y a travaillé pendant 35 ans. Ses enfants et petits-enfants ne parlent pas allemand et ne connaissent pas Rudolf Höss. Aujourd'hui, elle est en train de mourir d'un cancer. Sa sœur aînée Heidetraut, dont on ignore où elle se trouve exactement en Allemagne, est également en phase terminale. La sœur cadette Annegret se cache, et le fils cadet Hans-Jürgen a rejoint les Témoins de Jéhovah en coupant tout contact avec sa famille: personne ne sait s'il est vivant ou non.

Le mariage de Joseph Goebbels et Magda Quandt. Derrière Goebbels on voit Harald Quandt, le fils des premières noces de Magda.
© AP Photo

Les membres du clan Quandt refusent catégoriquement toute déclaration publique. Ce sont les descendants directs de Magda Goebbels, qui constituent une branche fondée par le fils issu du premier mariage de celle-ci. Harald Quandt a été grandement aidé par son beau-père Josef, et le beau-fils a été à la hauteur des espérances en devenant un nazi convaincu. Il a servi dans la Luftwaffe, a été fait prisonnier de guerre par les Alliés. À son retour, il a reçu un fabuleux héritage: tout un empire industriel, qui a fait de lui le citoyen le plus riche d'Allemagne avec plus de 200 entreprises, usines textiles et pharmaceutiques, usines automobiles, une grande participation dans BMW. Harald a eu cinq filles, dont la fortune s'est considérablement accrue depuis. Ni leur père, qui est décédé dans un accident de voiture en 1967, ni elles n'ont jamais donné d'interview sur les Goebbels, en déclarant que cela était contraire à l'éthique. L'une des filles de Harald, Colleen-Bettina, s'est convertie au judaïsme et a épousé un Juif. Son fils, qui est le petit-fils de Magda Goebbels, s’appelle Haim: militaire de carrière, il habite en Israël.

Combattre un détraqueur

Reconnaître la culpabilité des pères et sortir de leur ombre avaient une particularité curieuse. La deuxième génération, celle des fils et des filles, a préféré, dans sa grande majorité, garder le silence. La génération des petits-enfants se sentait un peu plus libre, mais devait faire face à la condamnation unanime du clan en cas de reniement du grand-père. De toute façon, les quelques renégats qui avaient osé dénoncer publiquement les crimes commis n'étaient pas compris au sein de la famille.

C’est Niklas Frank qui a eu le sort le plus difficile: sa famille n'éprouvait aucune honte pour son père, le «Bourreau de la Pologne». Il a essayé de partager toutes ses terribles découvertes sur Hans Frank avec ses sœurs et frères, mais ceux-ci ne voulaient rien savoir. Le livre révélateur qu'il a écrit a été une catastrophe pour sa famille. L'ombre de son père a happé tout le monde. Convaincue depuis sa jeunesse qu'elle mourrait à l'âge de son père, Brigitta s'est suicidée à 46 ans. Sigrid a émigré en Amérique du Sud et est décédée lorsqu'elle a atteint l'âge de sa mère: elle n'a jamais complètement pardonné à son jeune frère ses révélations et leurs contacts ont été interrompus après une brève conversation téléphonique au cours de laquelle elle a fait une blague cynique sur le fait qu'elle ne croyait pas à l'Holocauste. Michael est mort d'alcoolisme en 1990. La vie était plus difficile pour le frère aîné Norman, qui continuait à aimer son père. Il savait que Hans Frank était un criminel, avait vu toutes les preuves, mais était incapable d'accepter qu'il soit coupable et que son exécution ait été légale. Cependant, Norman pensait que le fils d'un criminel de guerre ne devait pas avoir d'enfants et il n'en a pas eu. Une autre épreuve l’attendait. Sa femme s'était suicidée, ne supportant pas la présence invisible de son beau-père pendu dans ce mariage: Norman pensait constamment à son père et s'enfermait dans ces pensées. Après la mort de sa femme, il a essayé lui aussi de mettre fin à ses jours. Il a fini par mourir dans un état pitoyable, complètement dégradé.

Hilda Schramm, fille d’Albert Speer, architecte du Troisième Reich.
© AP Photo, Michael Sohn

Les six enfants d'Albert Speer, architecte en chef du Troisième Reich et ministre de l'Armement, se sont efforcés de s'abstenir de toute déclaration publique et de faire profil bas. À toute question, ils renvoient simplement aux mémoires et au journal de leur père. Ils n'ont pas eu à subir beaucoup de harcèlement et leur nom de la famille n'a pas suscité beaucoup d'antipathie chez qui que ce soit: c'est peut-être en raison du charme phénoménal du favori d'Hitler, qui avait autrefois conquis l'Allemagne nazie, ou parce que son impressionnant héritage architectural avait survécu, ou encore parce que, lors du procès de Nuremberg, il avait utilisé une stratégie brillante pour éviter autant que possible toute responsabilité. Quoi qu'il en soit, les enfants Speer n'ont jamais eu de mal à trouver du travail. Tandis qu'Albert Speer junior est devenu architecte comme son père, sa sœur Hilda, éditrice et sociologue, a choisi finalement la politique en aidant les victimes de l'antisémitisme sous le régime nazi. Le fils de Hilde, Moritz Schramm, vit au Danemark. Marié à une Danoise, il a un fils avec lequel il parle danois. Il est professeur à l'université du Danemark du Sud et spécialiste de la littérature allemande et danoise. Il adorait son grand-père, mais ne refuse pas de penser au mauvais passé de celui-ci. Et il a fini par choisir une curieuse stratégie: agir dans sa carrière différemment de ce qu'aurait fait Albert Speer, afin de ne pas devenir l'otage de la pernicieuse vanité familiale. Là où son grand-père aurait sauté sur l'occasion, son petit-fils a déjà refusé plusieurs promotions. Néanmoins, Moritz, sa mère et son oncle ne fréquentent pas les autres membres du clan, certains de ces derniers préférant faire passer Albert pour un martyr innocent.

La fille d'Amon Göth, Monika, a trouvé la force de couper tout lien émotionnel avec son père maniaque qui avait été pendu. Elle a dit la vérité sur lui dans des documentaires, a donné des interviews et a elle-même écrit un livre: Ich muss doch meinen Vater lieben, oder? (Je dois aimer mon père, non?). Entre-temps, sa mère, incapable de supporter la vérité sur son mari adoré, s'est suicidée à la fin des années 1980. Dans sa vie personnelle, Monika est également allée contre son père et ses croyances: en 1969, elle a eu une brève liaison avec un étudiant nigérian, qui est devenu le père de sa fille. L’enfant a été confiée à une famille adoptive, mais le lien avec elle n'a pas été rompu. Ce n'est qu'à l'âge de 20 ans que Jennifer Teege a rencontré sa mère biologique pour la première fois. Elle a appris la vérité sur son grand-père nazi de son livre. En 2013, la jeune métisse a écrit un livre Amon: Mein Grossvater hätte Mich erschossen (Amon: Mon grand-père m'aurait tuée).

Monika Hertwig, fille d'Amon Göth, commandant du camp de Plaszow. Image tirée du film documentaire Inheritance.
Monika Hertwig, fille d'Amon Göth, commandant du camp de Plaszow. Image tirée du film documentaire Inheritance.
© Chaîne POV / Youtube.com

Toute la vie de la fille du général de la Waffen-SS Karl Wolff, le plus proche collaborateur de Himmler, a été une contestation contre les opinions de son père. Née Helga Lili Wolff, elle est devenue connue sous le nom de Fatima Grimm, l'une des premières converties à l'islam en Allemagne. Mariée d'abord à un orientaliste musulman tchèque, puis à un Allemand, elle a édité et dirigé deux revues islamiques et traduit le Coran en allemand, avec des commentaires, en cinq volumes. Fatima a traversé une période de persécution: certains ne voulaient pas la côtoyer à cause de son père, d'autres à cause de son mari et de sa nouvelle foi. Parmi ces derniers, il y a eu Gudrun Burwitz (née Himmler), qui a rompu l'étroite amitié qui liait les deux femmes depuis l'enfance.

Les proches de Göring ont façonné leur vie de manière très différente: peut-être parce qu'ils n'étaient pas ses descendants directs tout en ayant un nom que le monde entier détestait. Sa nièce Elisabeth a eu la vie plus facile, car elle avait de quoi être fière: son père, Albert, le frère d'Hermann, avait sauvé plusieurs dizaines de Juifs pendant la guerre. Elisabeth, qui ressemble beaucoup à son oncle, est assez attachée à celui-ci, mais ne nie pas ses crimes. Quoi qu'il en soit, elle a vécu toute sa vie à Lima, au Pérou, mariée à un Péruvien, a eu deux fils et travaille comme agent pour le plus jeune, un chanteur d'opéra. D'ailleurs, à plusieurs reprises, elle, qui était traductrice, n'a pas obtenu de travail à cause de son lien de parenté avec Göring. Elle prend toujours de l'argent pour donner une interview sur son oncle.

Elisabeth Göring, nièce de Hermann Göring, fille de son frère Albert. Image tirée du film documentaire The other Göring (L"autre Göring) d’Emmanuel Amara.
© Docubay Documentaries

En revanche, Bettina, petite-nièce de Göring, a passé toute sa vie à essayer de se débarrasser de cette parenté douloureuse. Et, comme son frère, elle s'est délibérément condamnée à la stérilité pour ne pas perpétuer sa lignée: elle s’est fait stériliser à l'âge de 30 ans. Elle a également détruit toutes les photos de famille de Hermann Göring. Elle a dû rompre assez tôt avec sa famille: cette branche est restée fidèle aux idéaux nazis. Communiste, hippie, guérisseuse (à cause de son nom de famille, elle a dû perdre une cliente juive), elle a vécu pendant longtemps à Santa Fe, au Mexique, aussi loin que possible de la civilisation.

Bettina Göring (à gauche), petite-fille de Hermann Göring.
© AP Photo, Tsafrir Abayov

La petite-nièce de Himmler, Katrin, a également connu des moments difficiles. Elle n'avait pas parlé allemand à l'étranger depuis ses études et avait honte de son nom de famille. Puis elle a épousé un Juif israélien. Elle a été acceptée par la famille de son mari. Cette relation a survécu même à leur divorce et sa parenté avec le principal organisateur des massacres n'y a rien fait. En revanche, sa propre famille s'était éloignée d'elle depuis qu'elle avait écrit le livre Die Brüder Himmler (Les frères Himmler).

Katrin Himmler, petite-fille de Ernst Himmler, frère cadet de Heinrich Himmler. Image tirée du film documentaire Katrin Himmler: Family members of Heinrich Himmler (Katrin Himmler: Les membres de la famille de Heinrich Himmler).
© DocsOnline.tv

La percée la plus puissante a été faite par Rainer, le petit-fils de Rudolf Höss. Il est devenu célèbre en tant que juge de son grand-père: il a rompu avec sa famille, s'est repenti à Auschwitz, a écrit un livre et a même fait l’objet de persécutions par les néo-nazis, qui ne lui ont pas pardonné d'avoir refusé de devenir le nouveau «Führer». C'est du moins ce qu'il affirme. Mais la véracité des récits de Rainer n'inspire plus une confiance aveugle depuis qu’on a appris qu’il était impliqué dans un certain nombre d'escroqueries et que l'on sait maintenant qu'il a utilisé son histoire familiale à ces fins.

Découvrez les descendants les plus marquants des criminels nazis dans ce diaporama. Aussi différents soient-ils, ils ont un point commun: la puissance du nom de famille. Même après la mort, leurs pères ont continué à commettre des crimes, cette fois contre leurs propres fils et filles. Tels des détraqueurs de l’univers de Harry Potter, ils ont littéralement aspiré leur âme et leur individualité, les forçant à choisir «pour» ou «contre», à vivre «à leur image» ou «à contre-courant», à s'humilier, à se justifier, à prouver ou à combattre, à avoir honte de leur nom ou à en être fiers. Aucun de ces enfants et petits-enfants n'avait de critères ou d'étalon pour déterminer les proportions de leur appartenance, et aucun n'a pleinement réussi à vivre une vie indépendante.


Sources:
Tatiana Freïdensson, Les enfants du Troisième Reich.
Les enfants du troisième Reich, film documentaire.
Les enfants d'Hitler, film documentaire.