L'interrogatoire du témoin de l'accusation convoqué par le parquet soviétique, Friedrich Paulus, a duré deux jours. Le 11 février, l'interrogatoire était facile pour l'ancien commandant de la 6e armée: il n'a fait que répondre aux questions du procureur soviétique Roman Roudenko relatives à la manière dont Hitler et l'état-major général préparaient une attaque contre l'URSS. Mais le lendemain, les avocats des accusés ont attaqué Paulus. Pour eux, le maréchal prisonnier n'était qu'un traître à qui on ne pouvait faire aucune confiance.
11 février
«Paulus: Le 3 septembre 1940, j’ai occupé à l’OKW les fonctions de premier quartier-maître général à l’état-major et, en outre, j’étais chargé des ordres d’opérations qu’il me donnait. Au début de mon entrée en fonctions, je trouvai, entre autres, un travail non terminé concernant des opérations qui avaient trait à une attaque contre l’URSS.
[...]
Par suite de la décision d’attaquer la Yougoslavie, la date prévue pour l’attaque dut être retardée d’environ cinq semaines, c’est-à-dire reportée à la deuxième moitié du mois de juin. Cette attaque eut lieu en effet le 22 juin 1941.
Je prétends donc en conclusion que les préparatifs de cette agression contre l’URSS, qui se réalisa le 22 juin 1941, avaient déjà commencé à l’automne 1940.
Général Roudenko: De quelle façon et au cours de quelles circonstances la participation des satellites de l’Allemagne à l’agression contre l’URSS fut-elle assurée?
Le président: Un instant. Le témoin a-t-il indiqué la date? Il a dit que les préparatifs d’attaque avaient été faits. Ce que je voudrais savoir, c’est quand ils ont commencé.
Paulus: Je l’ai dit en commençant ma première constatation personnelle, qui remonte au 3 septembre 1940, au début de mes fonctions.»
12 février
«Nelte: En outre, vous avez dit hier, si je vous ai bien compris, qu’aucune information du service de contre-espionnage ne pouvait faire supposer que l’Union soviétique avait l’intention d’attaquer?
Paulus: Parfaitement.
Nelte: Quelqu’un a-t-il abordé ces questions dans les milieux de l’état-major?
Nelte: Oui, on en a parlé. On a également élevé de sérieuses objections à ce sujet, mais aucun renseignement concernant des préparatifs de guerre du côté de l’URSS n’a été porté à ma connaissance.
[...]
Nelte: Il est donc exact que vous-même, ainsi que le chef d’état-major Halder, connaissiez les faits qui permettaient de considérer la guerre contre la Russie comme une attaque criminelle et que, malgré cela, vous n’avez rien entrepris. Dans votre déclaration, vous avez dit que vous êtes devenu plus tard commandant en chef de la 6e armée. Est-ce exact?
Paulus: Oui.
Nelte: C’est donc en connaissance de ces faits que vous avez pris le commandement de l’armée qui a été engagée à Stalingrad. N’aviez-vous pas de scrupules à vous faire l’instrument d’une attaque que vous considériez comme criminelle?
Paulus: Étant donné la situation militaire à l’époque et l’extraordinaire propagande à laquelle nous étions soumis, j’ai cru alors, comme bien d’autres, faire mon devoir vis-à-vis de ma patrie.
Nelte: Vous connaissiez pourtant les faits?
Paulus: Je ne connaissais pas à l’époque les faits qui ne m’ont été révélés que plus tard, du fait que je commandais la 6e armée, et qui ont atteint leur point culminant à Stalingrad. De même, le caractère criminel de cette agression ne m’est apparu que plus tard, quand j’eus l’occasion de réfléchir sur l’ensemble des événements, dont je n’avais eu jusqu’alors qu’une vue fragmentaire.
[...]
Exner: Vous avez activement coopéré à ce plan d’opérations, vous l’avez mis à l’essai par des manœuvres. Voulez-vous nous dire en quoi se différencie votre activité, par exemple, de celle de Jodl?
Paulus: Je ne crois pas que ce soit à moi de répondre à cette question.
Exner: Je ne comprends pas. Ce travail était bien du ressort de l’état-major?
Paulus: Oui, c’était une tâche d’état-major qui me fut confiée par le chef de l’état-major.
Exner: Oui, et l’activité de Jodl, en sa qualité de chef de l’état-major de la Wehrmacht...
Paulus: La différence réside, je crois, en ce qu’il avait un aperçu général, alors que je ne pouvais voir que des fragments, à savoir les détails indispensables à mes travaux.
Exner: Mais il s’agissait dans les deux cas d’une préparation d’état-major en vue de la guerre?
Paulus: Oui.
[...]
Exner: Pourquoi, quand la situation à Stalingrad devint sans espoir, comme vous l’avez déjà dit aujourd’hui, n’avez-vous pas capitulé, malgré l’ordre contraire du Führer?
Paulus: Parce qu’on m’avait dit que le fait de tenir avec mon armée décidait du sort du peuple allemand.
Exner: Saviez-vous que vous jouissiez de la confiance spéciale de Hitler?
Paulus: Je ne le savais pas.
[...]
Exner: On dit que vous êtes ou que vous avez été professeur à l’Académie de Guerre de Moscou. Est-ce vrai?
Paulus: Ce n’est pas vrai non plus.
Exner: Avez-vous eu une autre position à Moscou?
Paulus: Je ne suis jamais allé en Russie avant la guerre.
Exner: Mais maintenant, en captivité?
Paulus: J’ai été, comme mes camarades, dans un camp de prisonniers.»
Participants à l'interrogatoire:
Friedrich Paulus, témoin
Roman Roudenko, procureur en chef soviétique
Jeffrey Lawrence, président du tribunal
Otto Nelte, avocat de Wilhelm Keitel Franz Exner, avocat d'Alfred Jodl
Source:
unicaen.fr