Brillant journaliste économique, Walther Funk a été «utile» aux nazis de deux manières. D’un côté, il a supervisé la presse allemande et a contribué à son asservissement. Il a également été chargé de l’économie du Troisième Reich, de la privation des Juifs de leurs droits et de la confiscation de leurs biens, y compris après leur mort. La fin de sa carrière fut peu glorieuse: Funk a perdu son ancienne influence et a sombré dans la boisson.

Homme d’affaires

Walther Emanuel Funk est né le 18 août 1890 à Trakehnen en Prusse orientale (aujourd’hui Iasnaïa Poliana, en région de Kaliningrad, en Russie) dans la famille d’un entrepreneur. Son oncle était le pianiste Alfred Reisenauer, élève préféré du compositeur hongrois Franz Liszt.

À partir de 1908, Funk a étudié le droit, l’économie, la littérature et la musique aux universités de Leipzig et de Berlin. En 1912, il est devenu docteur en droit. Il a ensuite travaillé comme journaliste pour divers médias, dont le Berliner National-Zeitung et le Leipziger Neuesten Nachrichten.

Procès de Nuremberg. Les accusés Julius Streicher, Walther Funk et Hjalmar Schacht. Dessin de Nikolaï Joukov, archives de Musée central des forces armées de la Russie
Procès de Nuremberg. Les accusés Julius Streicher, Walther Funk et Hjalmar Schacht. Dessin de Nikolaï Joukov, archives de Musée central des forces armées de la Russie
© ©, Nikolaï Joukov

En 1915, pendant la Première Guerre mondiale, Walther a été enrôlé dans l’armée, mais un an plus tard, il a été exempté en raison de problèmes de vessie.

En 1916, Funk est devenu rédacteur en chef de la section commerciale du Berliner Börsen-Zeitung. De 1921 à 1930, il en a été le directeur. Il est rapidement devenu l’un des principaux journalistes économiques en Allemagne: il a publié des articles dans de nombreux magazines spécialisés, a agi en tant qu’expert sur les questions économiques et a fait des rapports lors de congrès internationaux et de conférences d’affaires.

En 1919, Funk a épousé Louise Schmidt-Sieben, fille d’un entrepreneur. À l’en croire, il était déjà très désabusé dans ses relations avec le sexe opposé. «Mes maladies ont commencé lorsque j’ai attrapé la syphilis à l’âge de treize ans. C’était dans une cave à bière en Prusse orientale. Là-bas, des écoliers, et j’étais l’un d’entre eux, faisaient l’amour avec des serveuses dans une arrière-salle contre de l’argent», a-t-il expliqué au médecin de la prison de Nuremberg. Comme l’a noté l’interprète militaire Marguarita Neroutcheva, Funk aimait beaucoup parler aux gardes de ses aventures amoureuses. Il évoquait souvent les maisons closes et les établissements de divertissement berlinois à réputation douteuse, illustrant ses histoires de chansons obscènes: «Mais quelles splendides fêtes j’ai faites, se souvenait-il, tandis que ses lèvres épaisses et grasses s’étiraient invariablement en un sourire satisfait.

Nous avions les meilleurs vins, le meilleur champagne, tout ce qu’il y avait de meilleur. Et c’était vraiment des soirées inoubliables! Comme toujours, je mangeais et buvais beaucoup. Et, bien sûr, il y avait beaucoup de filles. Elles aussi étaient les meilleures. Des danseuses nues...»

Il a attiré l’attention des milieux financiers en 1920 avec un article dans lequel il analysait le rôle des banques dans la création des publications financières. Lorsqu’un ouvrage de Funk sur la réforme monétaire est sorti en 1923, l’Association de l’industrie allemande a présenté son travail au ministre des Finances Hans Luther et au président de la Reichsbank Hjalmar Schacht.

Hjalmar Schacht
Hjalmar Schacht
© Domaine public

Avec le soutien d’importants hommes d’affaires et de fonctionnaires, il est devenu en 1927 président du service de presse de la Bourse de Berlin et de la Chambre de commerce et d’industrie de Berlin. De 1928 à 1930, il a été l’un des directeurs du conseil d’administration de la Société pour la politique industrielle et sociale allemande. Parallèlement, il a établi d’étroits liens avec un groupe de pression de la région de la Ruhr, composé de douze grands industriels: la Ruhrlade (tiroir de la Ruhr).

Conseiller du Führer

Au printemps 1931, Funk a fait la connaissance d’Adolf Hitler qui, comme il s’en est souvenu plus tard, l’a beaucoup impressionné. Hitler a assuré à Funk que si les nazis arrivaient au pouvoir, ils ne mettraient pas en œuvre un programme économique populiste basé sur les idées de Gottfried Feder, un des fondateurs du NSDAP et un ardent critique du capitalisme. Ce programme prévoyait la nationalisation des trusts industriels, la libre confiscation des terres pour les besoins publics, la saisie des grands magasins et leur remise à bas prix aux petits producteurs, la peine de mort pour usure et spéculation et, enfin, une interdiction de vivre de revenus non gagnés. Le Führer a suggéré à Funk d’élaborer une politique économique alternative.

Reichsbank, 1931. Déchargement des billets de banque pour la destruction // Bundesarchiv, Bild 102-11823 / CC-BY-SA 3.0

Le 1er juin 1931, Funk a adheré au parti nazi et y a fait rapidement carrière grâce à ses contacts avec le capital et l’industrie. En mai, il est devenu rédacteur en chef d’un journal nazi. En juillet, sur la recommandation de Hjalmar Schacht, Hitler a nommé Funk son conseiller économique.

«L’accusé Funk, peu de temps après son adhésion au parti nazi, a commencé à avoir l’attitude de ceux qui appartenaient à un cercle restreint de conspirateurs nazis, a déclaré au procès de Nuremberg l’adjoint du procureur américain Bernard Meltzer, qui a présenté la preuve de la responsabilité individuelle de Funk. De plus, en tant que théoricien économique du parti pendant les jours cruciaux de 1932, il a apporté une contribution majeure à l’organisation du soutien de masse au parti en créant des slogans économiques pour lui.»

Grâce à Schacht et Funk, les nationaux-socialistes sont passés du socialisme, qui menaçait les intérêts des grands hommes d’affaires allemands, au capitalisme. La lutte des classes, selon les nazis, a été inventée par le Juif Karl Marx. Mais dans un État national, il ne peut y avoir d’opposition entre les propriétaires et les travailleurs salariés. Et, bien sûr, dans une société aussi juste, il n’y a pas besoin de syndicats. À leur place, le Front allemand du travail (Deutsche Arbeitsfront) dirigé par Robert Ley a été créé, unissant à la fois les travailleurs et les employeurs.

Le Président du Reich Paul von Hindenburg et le chancelier Adolf Hitler, 1933 // Bundesarchiv, Bild 102-14569 / CC BY-SA 3.0

C’est par l’intermédiaire de Funk que les sociétés de la Ruhrlade ont versé des millions de reichsmarks pour les besoins du NSDAP. C’est lui qui a assuré les contacts entre les nazis et des industriels aussi importants qu’Emil Kirdorf, Fritz Thyssen, Albert Vögler et Friedrich Flick. Ces derniers ont non seulement sponsorisé le parti nazi, mais également fait pression sur le Président allemand Paul von Hindenburg pour qu’il nomme Hitler chancelier du Reich.

«Il a contribué à la montée au pouvoir des conspirateurs nazis et à la consolidation de leur contrôle sur l’Allemagne, comme indiqué au premier paragraphe de l’acte d’accusation. Il a contribué aux préparatifs de guerre, indiqués au premier paragraphe de l’acte d’accusation. Il a participé à la planification militaire et économique et la préparation de guerres d’agression par les conspirateurs nazis et les guerres qui violent les traités, accords et assurances internationaux visés aux paragraphes I et II de l’acte d’accusation. Il a autorisé, dirigé et participé aux crimes de guerre visés au paragraphe III de l’acte d’accusation, et dans les crimes contre l’humanité visés au paragraphe IV de l’acte d’accusation, y compris, en particulier, les crimes contre les personnes et les biens liés à l’exploitation économique des territoires occupés», a énuméré le procureur américain Sidney Alderman en lisant l’acte d’accusation à Nuremberg.

Chargé de la presse

Après l’arrivée au pouvoir des nazis, en février 1933, Hitler a nommé Funk son assistant. En mars 1933, il est devenu secrétaire d’État du nouveau ministère de l’Éducation du peuple et de la Propagande. Le chef du département, Joseph Goebbels, n’était pas ravi de cette nomination mais pour le Président von Hindenburg, un journaliste économique respectable devait contrebalancer la figure du ministre, que le Président considérait avec méfiance. Au ministère, Funk était responsable des départements I et IV: département administratif et département de la presse allemande. De plus, il avait le statut de porte-parole du gouvernement allemand et commentait les actions de Hitler pour les médias.

«Il était l’âme du ministère et sans lui, Goebbels n’aurait pas pu le créer. Goebbels m’a dit un jour que Funk était son meilleur collaborateur, a déclaré Max Amann, président de la Chambre de la presse impériale, dans un témoignage lu au procès de Nuremberg. Funk exerçait en fait un contrôle sur tous les médias: presse, théâtre, radio et musique. En tant que chef de la presse de ce ministère, il rencontrait quotidiennement le Führer et tenait des conférences de presse quotidiennes, au cours desquelles il donnait des instructions sur les documents qui devaient être publiés dans la presse allemande.»

D’autres traits pourtant le caractérisaient également. «Notre nouveau chef, Funk, était une personne qui semblait très étrange pour le milieu de l’appareil bureaucratique traditionnel. C’était un journaliste qui a sombré dans la boisson. Il a déjà travaillé à la Berliner Börsen Zeitung mais il a été licencié il y a quelques années pour sa paresse, se souvenait Wolfgang Putlitz, ancien fonctionnaire du ministère. Gras et adipeux, les yeux de porcelaine larmoyants de Funk transperçaient par-dessous ses paupières gonflées ceux qui l’entouraient. Les paroles coupées, souvent sans rapport entre elles, qui jaillissaient de sa bouche baveuse étaient marquées du sceau indélébile d’un dialecte caractéristique de la périphérie de la Prusse orientale. Hindenburg, chez qui Funk présentait un rapport tous les jours, lui a très vite donné le surnom de "Mon Trakehner pur sang " [race de cheval de selle élevé à Trakehnen, ndrl]. Funk était inapte au travail régulier et assidu.»

Bâtiment de la Reichsbank à Berlin
Bâtiment de la Reichsbank à Berlin
© Domaine public

Le 15 novembre 1933, Funk, en plus de ses fonctions, a été élu vice-président de la Chambre impériale de la culture (dont Goebbels est devenu président). Ce soi-disant syndicat unissait tous les travailleurs créatifs du Troisième Reich et contrôlait de près leurs activités. Sans adhésion à la Chambre, aucun Allemand ne pouvait travailler comme écrivain, artiste, musicien, acteur ou journaliste.

Du vol dans la vie au vol après la mort

La carrière de Funk dans l’Allemagne nazie ne s’est pas limitée à la propagande. En novembre 1937, en raison d’un désaccord avec Hitler, le ministre de l’Économie, Hjalmar Schacht, architecte du système financier du Troisième Reich, a démissionné. Il a été remplacé en janvier 1938 par Funk, qui a occupé alors simultanément le poste de commissaire général aux Affaires économiques. Moins d’un an plus tard, il a succédé à Schacht à la présidence de la Reichsbank et, à partir d’août 1939, en tant que membre du Conseil des ministres de la Défense du Reich, il a été chargé des mesures militaro-économiques.

Au procès de Nuremberg, Funk s’est justifié en disant qu’il n’avait rien fait de sa propre initiative et qu’il n’avait fait que suivre les instructions de Hitler et du «nazi numéro deux» Hermann Göring: «Je devais faire ce que Göring disait de faire.» Mais la pression ne peut pas expliquer à elle seule les ordres que Funk lui-même donnait.

Funk a joué un rôle clé dans l’éviction des Juifs de la vie économique du Troisième Reich et à leur expropriation
Funk a joué un rôle clé dans l’éviction des Juifs de la vie économique du Troisième Reich et à leur expropriation
© Domaine public

Il a participé activement à l’éviction des Juifs de la vie économique du Troisième Reich et à l’expropriation de leurs biens (rappelons que Hjalmar Schacht a résisté à l’antisémitisme d’État de toutes les manières possibles). Rédigées par Funk, la troisième ordonnance sur la loi sur la citoyenneté du Reich du 14 juin 1938 et l’ordonnance sur l’enregistrement des biens juifs du 6 juillet 1938 ont interdit aux Juifs allemands de pratiquer une quelconque activité économique.

«L’État et l’économie ne font qu’un. Ils devraient être régis par les mêmes principes. La meilleure preuve en est les récentes mesures visant à résoudre le problème juif en Allemagne, avait déclaré Funk dans le Frankfurter Zeitung du 17 novembre 1938. Vous ne pouvez pas expulser les Juifs de la vie politique et en même temps leur permettre de vivre et de travailler dans le domaine économique.»

«Le 3 décembre 1938, le prévenu a signé un décret qui prévoyait des mesures supplémentaires de répression économique sévère contre les Juifs, permettant la confiscation et la liquidation forcée de leurs biens, a souligné Bernard Meltzer. L’accusé Funk lui-même a reconnu sa responsabilité dans la persécution économique des Juifs et a exprimé ses regrets à ce sujet.»

En tant que président de la Reichsbank, Funk recueillait les bijoux en or collectés dans les camps de concentration
En tant que président de la Reichsbank, Funk recueillait les bijoux en or collectés dans les camps de concentration
© Domaine public

Le 9 août 1940, les Juifs allemands ont découvert que non seulement, ils n’avaient plus la possibilité de gagner de l’argent, mais aussi qu’ils ne pouvaient plus en dépenser: Funk leur avait interdit l’accès à leurs comptes bancaires. En 1942, un vol du vivant du propriétaire a été complété par un vol à titre posthume. Le banquier en chef du Troisième Reich a conclu un accord secret avec le Reichsführer-SS Heinrich Himmler selon lequel les valeurs des Juifs tués dans les camps de la mort ne devaient pas être rendues à leurs proches, mais envoyées à la Reichsbank. La banque conservait les pièces et les billets de banque et envoyait les bijoux, montres et autres effets personnels aux prêteurs sur gages municipaux de Berlin, remboursant aux SS les «frais» d’expédition et de livraison.

«En tant que ministre de l’Économie, Funk a accéléré le rythme de production des armements, et en tant que président de la Reichsbank, il a déposé des couronnes en or provenant des dents des victimes des camps de concentration, a déclaré le procureur en chef des États-Unis, Robert Jackson, dans son discours de clôture. C’est sans doute la source de revenus la plus effrayante de l’histoire des banques.»

L’«Union européenne» à la mode nazie

«Il est clair que l’accusé Funk exerçait un pouvoir énorme sur des domaines importants de l’économie allemande, dont l’organisation et la gestion visaient à préparer la guerre, a fait valoir Bernard Meltzer. La machine militaire allemande autrefois puissante, qui a été construite sur la base d’une préparation économique minutieuse, devait également son existence aux activités de l’accusé Funk, subordonnée aux intérêts de l’agression nazie.»

Le ministre de l"économie du Reich, Walther Funk (à droite), remet à Franz Heiler la Croix de chevalier pour services rendus à l"Allemagne // Bundesarchiv, Bild 183-J30376 / CC-BY-SA 3.0

Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Funk a été chargé de la gestion de l’économie des États occupés: d’abord de la Pologne, puis des pays de Scandinavie, du Benelux et du nord de la France. Le 25 juillet 1940, il a prononcé un discours sur «la réorganisation économique de l’Europe».

Le plan Funk (ainsi nommé par les journalistes) a été développé avec la participation du secrétaire d’État du ministère de l’Économie Gustav Schlotterer. Il prévoyait la domination économique de l’Allemagne en Europe. Les monnaies européennes devaient se débarrasser de l’étalon-or, leur taux de change fixé de manière rigide, les barrières douanières entre les États supprimées et la région de la Ruhr unifiée avec le nord de la France et les pays du Benelux en un «espace économique unique». Le ministre espérait sincèrement que de telles méthodes apporteraient la prospérité non seulement à l’«économie de la Grande Allemagne», mais aussi aux pays occupés.

Hitler a apprécié le plan et, à l’hiver 1942, il a distingué les activités du ministre de l’Économie du Reich avec la Croix du Mérite de guerre du 2e degré.

De la mobilisation à l’effondrement

Mais très rapidement l’Allemagne a dû se serrer la ceinture. Le 4 février 1943, Funk a fermé toutes les entreprises industrielles, les établissements commerciaux et les établissements de restauration qui n’avaient pas d’importance militaire. De fait, c’était un aveu que les choses allaient mal au front. Jusqu’alors, l’Allemagne, contrairement à l’Union soviétique, ne mettait pas toute son économie au service de la guerre, ce qui faisait qu’à l’arrière, une vie plus ou moins ordinaire continuait. Les défaites militaires ont relégué aux oubliettes la vie confortable.

Alfred Hugenberg, Robert Ley, Joseph Goebbels et Walther Funk lors de la célébration du 25e anniversaire de la société de production et de distribution cinématographique UFA, 1943 // Bundesarchiv, Bild 183-J05504 / CC-BY-SA 3.0

En septembre 1943, Funk est devenu membre de l’état-major de la planification centrale du ministère des Armements et de la Production de guerre. Cependant, dès 1944, lorsque les troupes soviétiques se sont avancées pour libérer l’Europe, il perdait de plus en plus son influence. Le ministre des Armements, Albert Speer, a exprimé ouvertement son mécontentement à l’égard du travail de Funk, qui n’a pu gérer ni les enjeux économiques ni les enjeux politiques. Autrefois plein d’ambitions, le ministre de l’Économie, qui était déjà porté sur la boisson, s’est mis à boire sans limite en laissant passivement la situation échapper à tout contrôle.

Une anecdote illustre cet état de fait de manière éloquente: l’actrice suédoise Zarah Leander, qui travaillait en Allemagne, voulait faire amener des meubles anciens et des œuvres d’art dans son pays natal mais n’arrivait pas à obtenir l’autorisation. Elle a alors décidé de contacter Funk et l’a invité dans sa villa berlinoise.

«Quand Funk a levé sa coupe de champagne pour porter un toast, Zarah Leander lui a demandé si le ministre buvait vraiment cette boisson de femme, raconte la biographe de l’actrice Anna Maria Sigmund.

"En fait, je préfère les boissons plus fortes. Du schnaps, par exemple, ou de la vodka", avait répondu Funk.

"Formidable, moi aussi", a déclaré l’actrice qui a alors lancé au ministre le défi de rivaliser avec elle. Funk, qui avait pourtant entendu parler des talents de buveur de la star mais n’y croyait pas trop, a accepté. En plaisantant, ils ont convenu que le perdant exaucerait le vœu du vainqueur. Pour le ministre nazi, qui était à jeûn, un demi-litre de vodka a suffi. Leander, qui mangeait avec professionnalisme des sardines dans une huile spécialement préparées pour cette occasion, a gagné. Le lendemain, elle était assise dans le bureau de Funk avec des papiers de douane et lui a demandé poliment mais fermement de les signer. Le ministre, qui se sentait malade de ses excès de la veille, a apposé sans mot dire sa signature.»

Le procès de Nuremberg. Sur le banc des accusés: au premier rang, Wilhelm Frick, Julius Streicher, Walther Funk // National Archives USA
Le procès de Nuremberg. Sur le banc des accusés: au premier rang, Wilhelm Frick, Julius Streicher, Walther Funk // National Archives USA
© Domaine public

Plus tard, Funk a payé cher ses débauches passées. Ses nerfs à vif lui ont rendu le bruit et la lumière insupportables. Il a dû recourir à des injections de morphine et de cocaïne et prendre de fortes doses de somnifères dans l’espoir de vaincre son insomnie chronique et son anxiété.

Bien qu’Hitler, dans son testament politique du 29 avril 1945, lui ait conservé le poste de ministre de l’Économie du Reich, la chaise sous lui avait déjà brûlé. Le nouveau Président du Reich Karl Dönitz a compris qu’il ne pouvait plus y avoir d’économie civile dans un pays occupé par les troupes soviétiques et les alliés occidentaux. Le 1er mai 1945, Speer est devenu ministre de l’Économie et Funk a pris sa retraite.

En juin 1945, il a été arrêté par l’armée britannique dans la région de la Ruhr. En novembre, il a comparu devant le tribunal de Nuremberg.

«Il est clair que l’accusé Funk a été impliqué à chaque étape du programme des conspirateurs depuis le moment où ils ont pris le pouvoir jusqu’à leur défaite finale. Il a toujours agi efficacement, peut-être parfois plus secrètement que d’autres, et a contribué à la mise en œuvre du programme nazi, qui prévoyait dès le début l’utilisation de la terreur et de la violence impitoyables à l’intérieur et, si nécessaire, à l’extérieur de l’Allemagne. Nous affirmons qu’il porte une énorme responsabilité directe pour les crimes contre l’humanité, les crimes contre la paix et les crimes de guerre», a récapitulé Bernard Meltzer.

L'accusé Walther Funk au procès de Nuremberg. Dessin de Nikolaï Joukov, archives de Musée central des forces armées de la Russie
L'accusé Walther Funk au procès de Nuremberg. Dessin de Nikolaï Joukov, archives de Musée central des forces armées de la Russie
© ©, Nikolaï Joukov

Cependant, Funk a tenté de se justifier de toutes les manières possibles:

«Jamais de ma vie je n’ai fait quelque chose, consciemment ou inconsciemment, qui justifierait de telles accusations. Si, par ignorance ou par erreur, j’ai commis les actes énumérés dans l’acte d’accusation, ma culpabilité doit être considérée du point de vue de ma tragédie personnelle, mais pas comme un crime.»

Et quand un documentaire sur les camps de concentration a été projeté dans la salle d’audience, il a fondu en larmes et a déclaré qu’il n’avait pas «la moindre idée des chambres à gaz sur roues ni d’autres atrocités». Il était, peut-être, le seul de tous les accusés qui répétait constamment qu’il avait honte.

«Parmi nous tous, il n’y en a pas un qui, la conscience tranquille, puisse déclarer qu’il n’a aucune responsabilité morale pour ce qu’il a fait. Je vous ai déjà dit que ma conscience ne me laisse pas tranquille depuis que j’ai signé cette loi sur l’expropriation des biens juifs. Que je sois coupable devant la loi pour cela ou non, c’est une autre affaire. Mais la responsabilité morale, elle m’incombe. Il n’y a aucun doute à ce sujet. [...] À l’époque, j’aurais dû écouter ma femme. Elle m’a suggéré de jeter ce portefeuille ministériel en enfer et de déménager dans un appartement de trois pièces: cela aurait été mieux que de participer à des affaires aussi honteuses... Si nous avions travaillé tous ensemble et refusé un jour de participer à cette abomination, nous aurions peut-être pu éviter le pire. La culpabilité morale n’a épargné aucun d’entre nous. Je ne peux même pas imaginer que ce tribunal puisse acquitter au moins un d’entre nous.»


Sources:
Konstantin Zalesski, Qui était qui dans le Troisième Reich: Dictionnaire encyclopédique biographique.
Olga Fedianina, Le destin d’un homme fasciste.
Gustave Mark Gilbert, Le Journal de Nuremberg.
Putlitz, W. G., Unterwegs nach Deutschland. Erinnerungen eines ehemaligen Diplomaten.
Marguarita Néroutcheva, Quarante ans de solitude. Notes d’une interprète militaire.
Anna Maria Sigmund, Les femmes du IIIe Reich.
unicaen.fr
Ernst Hanfstaeng, 15 Jahre mit Hitler. Zwischen Weißem und Braunen Haus.
Walther Funk — Beamte nationalsozialistischer Reichsministerien // Beamte nationalsozialistischer Reichsministerien.
Thomas Sandkühler, Europa und der Nationalsozialismus. Ideologie, Währungspolitik, Massengewalt.
Christopher Kopper, Bankiers unterm Hakenkreuz.
Heinz Handler, Vom Bancor zum Euro. Und weiter zum Intor?
Dieter Suhr, Hugo Godschalk, Optimale Liquidität. Eine liquiditätstheoretische Analyse und ein kreditwirtschaftliches Wettbewerbskonzept.
Harold James, International Monetary Cooperation Since Bretton Woods.